Mettre la « vieille classe politique » en retraite et amorcer une transition de 4 à 5 ans pour « poser les bases d’une vraie démocratie », c’est l’ultime souhait du Dr. Hyacinthe Wendlarima Ouédraogo, enseignant-chercheur en Histoire et Patrimoine culturel à l’Université de Gaoua, acteur de la société civile au Burkina Faso, fondateur du Mouvement conscience nouvelle (MCN) et membre du Groupe d’Initiative pour la Refondation de la Patrie (GIRP). Dans une interview accordée à www.minute.bf le 4 février 2022, il donne sa lecture de la situation nationale marquée par l’arrivée au pouvoir du Mouvement patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) depuis le 24 janvier dernier. Il appelle le président Paul Henri Sandaogo Damiba à « s’assumer comme Thomas Sankara l’avait fait » afin d’écrire une page de l’histoire du pays en tant que principal acteur. Lisez plutôt !
Minute.bf : Quelle lecture faites-vous sur le changement brusque de régime intervenu depuis le 24 janvier 2022 au Burkina Faso ?
Dr. Hyacinthe W. Ouédraogo : Le Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) nous a servi une gouvernance chaotique durant tout son avènement à la tête de la nation. Depuis 2016, avec les espoirs différés de l’insurrection populaire, on s’attendait quand même à ce que le Burkina Faso amorce une nouvelle page de son histoire, une page d’une bonne gouvernance, une page pour assez de solutions aux nombreuses crises qui minent le Faso. Mais, contrairement à cela, nous avons assisté à la multiplication des crises, les contre-performances, si bien qu’avec la situation sécuritaire chaotique, on sentait venir la chute du régime, car, comme vous avez pu le constater, l’année 2021 a été marquée par de nombreuses crises qui étaient aussi des signes avant-coureurs que le pouvoir était aux abois. Lorsque les tenants du pouvoir affirmaient qu’il n’y aura pas de coup d’Etat parce que « l’armée est républicaine », cela veut dire beaucoup de choses.
Voilà pourquoi, quand le coup d’Etat est arrivé, les gens ont applaudi. Je crois que, que ce soit la classe politique, au sein des Organisations de la Société civile (OSC) ou de l’opinion publique, majoritairement, les gens ont acclamé le coup d’Etat. Pourtant, c’est le même peuple qui, en septembre 2015, s’était opposé au coup de force du Régiment de Sécurité présidentielle (RSP), qui, aujourd’hui, acclame. Ce n’est pas à dire que nous avons reculé démocratiquement. Cela veut simplement dire que les aspirations du peuple n’ont pas trouvé des réponses. Je m’inscris dans cette logique : entre deux maux, il faut choisir le moindre. Le moindre mal, c’est qu’on estime qu’avec cette prise de pouvoir, il y aura assez de réglages pour que le Burkina Faso assiste enfin à une amorce pour une bonne gouvernance.
Minute.bf : Quelles sont vos attentes vis-à-vis des militaires pour le peuple burkinabè?
Dr. Hyacinthe W. Ouédraogo : Mes attentes sont nombreuses. Mais la priorité des priorités, c’est de souhaiter que ce nouveau pouvoir s’inscrive dans la libération totale du territoire burkinabè. Dans ce contexte avec une partie du territoire sous le coup de l’insécurité qui a engendré des millions de déplacés, on ne peut pas développer le pays. On ne peut pas circuler ni entreprendre librement. Les écoles et les hôpitaux sont fermés, dans la plupart des zones à haut risque. Donc, je pense que la première priorité, c’est de régler cette question d’insécurité.
Je ne pense pas qu’on puisse vaincre le terrorisme en un ou deux ans, mais il y a des victoires que l’armée doit engranger pour montrer la bonne volonté de ce nouveau pouvoir. Ils ont eux-mêmes dit que c’est surtout la crise sécuritaire qui justifie leur prise de pouvoir. Donc, d’abord, c’est de trouver des solutions à cette crise sécuritaire qui est l’attente du peuple burkinabè.
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Au-delà de cela, il faut aussi parler reconstruction et refondation. Il faut tracer de nouvelles lignes, dégager des sillons pour construire une nation forte. Depuis 60 ans, on a dit que nous sommes indépendants mais nous ne le sommes pas. Nous pensons que ces militaires-là vont jeter les bases d’une véritable refondation, de la construction d’une nation indépendante, d’une politique de rupture vis-à-vis de la France, d’une politique de rupture vis-à-vis de cette gouvernance chaotique des responsables politiques qui font des promesses qu’ils n’accomplissent même pas. Il faut rompre avec cela.
« Je pense que la première priorité, c’est de régler cette question d’insécurité… »
Il faut qu’enfin, on prenne en compte les vraies aspirations du peuple, à savoir : une éducation qui reflète nos valeurs endogènes ; une économie tournée vers nos potentialités… Il y a assez de domaines où nous tentons de ressembler à l’Occident alors que nous avons nos propres atouts que nous devons valoriser.
Peut-être que cette transition va durer 2, 3 ou 5 ans… J’avais déjà dit ici que le Mali s’inscrit dans la bonne dynamique parce qu’on ne construit pas une démocratie en allant aux élections directement. Il faut d’abord asseoir les bases même de cette démocratie, inculquer au peuple une conscience nationale et s’assurer que ceux qui vont remporter les élections ne vont pas acheter le pouvoir avec leur argent mais, vont plutôt le conquérir parce qu’ils ont de vrais projets de société. On ne peut pas faire tout cela en 1 ou 2 ans. Il faut au minimum 4 ou 5 ans pour permettre à ce nouveau pouvoir-là de brouiller l’ancien système, de faire perdre les repères des vieilles pratiques.
Je pense qu’avec la gouvernance qu’on nous a servie depuis 1987 jusqu’à maintenant, il faut avoir le courage de dire à ces acteurs politiques d’aller au garage politique. L’avènement du MPSR doit être le terminus de certains hommes politiques. Ils aiment le Burkina Faso, ils ont de la compétence, ils ont fait ce qu’ils pouvaient faire, c’est maintenant l’heure d’aller à la retraite politique. Ils peuvent conseiller les jeunes, apporter leur contribution en restant dans l’ombre mais pas en jouant les rôles de premier plan.
Pour moi, il appartient au MPSR d’asseoir aussi cette politique-là, de mettre en place des codes qui vont barrer la route à certains qui ne veulent pas aller au repos. Depuis 30 ans, c’est pratiquement les mêmes hommes, ce sont des changements de partis. On passe du Congrès pour la Démocratie et le Progrès (CDP) au Mouvement du Peuple pour le Progrès (MPP) et du MPP à cette mouvance. Qu’est-ce qu’ils peuvent nous proposer aujourd’hui ? J’étais d’accord quand j’ai appris que lors de la rencontre entre le président Damiba et les hommes politiques, il a été clair avec eux en leur mettant presqu’en garde. Ce n’était pas de les inviter à voir comment ils participeront à la transition mais de leur situer leur responsabilité dans la crise que traverse le Burkina Faso, et surtout leur faire savoir que même si certains d’entre eux seront appelés dans l’équipe de la transition qui sera mise en place, cela sera fait sans considération des chapelles politiques, mais plutôt en tenant compte des compétences de chacun, et surtout de leur intégrité.
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Minute.bf : Vous désirez une rupture dans la gouvernance, d’une part avec la politique française et d’autre part avec la vieille classe politique. Pensez-vous que cela est la solution pour le développement du Burkina ?
Dr. Hyacinthe W. Ouédraogo : Cela fait 60 ans que notre orientation vers la France ne nous a pas donné des réponses satisfaisantes. Aujourd’hui nous sommes plus dépendants de la France et de l’aide extérieure que la Haute-Volta ne l’était en 1960. Il y a plus de pauvreté, plus de crise sociale, etc. que 60 ans passés. Pour notre collaboration, je ne récuse pas la relation bilatérale avec la France mais je dis que nous devons relancer cette politique que Thomas Sankara avait voulu mettre en place. Je crois que le Mali est en train de s’inscrire dans cette dynamique. Dans le contexte actuel, si c’est pour organiser les élections et faire venir un autre pouvoir, nous allons reproduire les erreurs de la transition de 2014 alors qu’on dit que l’histoire doit nous servir de repère pour ne pas que ce soit un éternel recommencement. Donc ici, il faut qu’on fasse une rupture dans notre politique avec la France. Même la présence de l’armée française au Burkina Faso, les accords de coopération militaire et de défense doivent être revus. Nous pouvons accepter leur collaboration, leur soutien mais nous ne pouvons pas compter sur un autre État pour notre sécurité, pour connaître notre propre système de défense, pour connaître notre projet portant sur la sécurité ; et il faut qu’on développe cela de façon graduelle.
Maintenant, quant à la classe politique, je ne suis pas contre les hommes politiques, ce sont nos devanciers, ce sont nos parents, ce sont des gens qui ont travaillé pour le Burkina Faso, ils ont du mérite comme je l’ai déjà dit mais l’expérience nous a prouvé que pendant ces 30 dernières années ces hommes se sont plus battus pour leurs intérêts égoïstes, pour des faits partisans que pour l’intérêt national. La preuve est qu’à chaque régime il y a des retournements de veste et même actuellement, des gens qui étaient au MPP, ont commencé à démissionner et à retourner leur veste. C’est donc dire qu’il n’y a pas d’idéologie, il n’y a pas une vision à long terme pour développer le Faso. Pour moi ces gens n’iront jamais à la retraite politique tant qu’il n’y aura pas des mesures fortes pour les y contraindre. C’est de cela que je parle. Il faut que les règles qui seront fixées permettent l’émergence d’une nouvelle classe politique. Je crois que ces gens, ce n’est pas à leur vieillesse qu’ils vont trouver des solutions pour le Burkina Faso.
« Comme Sankara s’était assumé, il doit lui aussi s’assumer… »
Minute.bf : Mais concrètement, si vous aviez le nouveau président Paul Henri Damiba en face de vous, qu’est-ce que vous lui direz de faire ?
Dr. Hyacinthe W. Ouédraogo : Je lui dirai de faire ce que notre déclaration au sein du GIRP a prévu. Je vais résumer en disant au président de s’assumer. Le coup d’État n’a pas été fait en consultant tout le monde. Il est vrai qu’il y a eu des gens qui ont été consultés, mais c’est dans un cercle restreint de personnes de confiance. Je lui dirai que demain si la transition échoue, c’est lui on va voir et il a sa page d’histoire à écrire.
Comme Sankara s’était assumé, il doit lui aussi s’assumer. Je crois qu’il a plus de marge de manœuvre que le président Thomas Sankara, vu l’engouement populaire qu’il a, vu les leçons qu’il peut tirer de l’expérience de la révolution. Pour moi, lui et son équipe doivent s’assumer. Il y a des hommes compétents qu’ils peuvent toucher partout. Je crois qu’il ne faut pas qu’ils s’enferment dans la logique de la vengeance et des règlements de comptes. On ne construit pas une nation dans la vengeance. Il ne faudrait pas qu’ils s’inscrivent dans la logique de plaire à tout le monde. Les larges concertations peuvent apporter des conseils mais s’il faut faire l’inclusion pour l’inclusion, au lieu de bâtir et tracer les sillons, on va plutôt contenter des gens qui n’ont pas la même vision que lui.
Dans son premier discours à la nation, il a répété 4 fois le terme refondation, c’est quelque chose qui m’a marqué parce que notre groupe avait déjà parlé de refondation et on s’inscrivait dans cette dynamique.
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Minute.bf : Concrètement qu’est-ce que vous mettez dans le panier de refondation ?
Dr. Hyacinthe W. Ouédraogo : La refondation, c’est de revoir les fondamentaux de la société burkinabè. Une société de paix, de prospérité, victorieuse, une société où chaque citoyen a sa place et son mot à dire. Ça, c’est d’abord la vision. Quand on parle de refondation, on refonde pour aller vers quelque chose. Il faut d’abord qu’on définisse ce qu’on veut pour le Burkina Faso, pas dans un ou deux ans, mais dans 30, 40, 50 ans. Qu’est-ce qu’on veut que le Burkina soit dans cette vision ? Il n’y aura pas de refondation si on ne connait pas les aspirations profondes des masses populaires. Le plus souvent ce sont des choses qui sont liées à nos valeurs, qui sont liées à notre histoire. Qu’est-ce que les gens aspirent à avoir demain ? A partir de cela, on va tracer les nouveaux sillons et je suis sûr d’une chose : la refondation, c’est revoir le système de gouvernance, rétablir la confiance entre les gouvernés et les gouvernants. C’est de voir dans ce système de gouvernance s’il faut aller dans cette démocratie des élections qui n’est pas d’ailleurs de la démocratie. Quelle est le type de gouvernance qui correspond aux aspirations du peuple, qui correspond à notre sociologie, à notre philosophie, à la société burkinabè ? Depuis 1991 on nous a imposé la démocratie française et on appelle cela démocratie, pourtant ce n’est pas de la démocratie. Il faut qu’on redéfinisse : est-ce que nous voulons des élections ? Comment on doit faire ces élections ? Il faut qu’on redéfinisse le mode électoral et tout cela c’est dans le système de gouvernance qui doit aussi prendre en compte notre système de justice, la répartition des richesses nationales qui est aussi un élément fondamental de la refondation. Ce n’est pas que le Burkina n’a pas de richesse, la pauvreté est la simple expression d’une mauvaise gestion et d’une mauvaise répartition des richesses nationales. Il faut qu’on redéfinisse tout cela. Pourquoi aujourd’hui le villageois dans son champ, qui travaille pour supporter les besoins du Burkina Faso sur le plan alimentaire n’a pas droit à 1000f à la fin du mois et c’est le fonctionnaire qui a droit à 300 000 f ou 400 000 f ? Pourquoi ces paysans n’ont pas accès aux banques pour des prêts ? Il y a de l’argent mais comment est faite la répartition ?
Sur notre système éducatif, il s’agira de définir ce que nous voulons comme citoyen de demain avec les enfants d’aujourd’hui. Quel type d’homme nous voulons dans 20 ans, 30 ans. On doit assigner cette mission à l’école, faire de l’école un laboratoire qui fabrique les citoyens de demain. Sankara l’avait compris quand il avait commencé à établir les pionniers de la révolution (…) Partout, il y avait cette jeunesse de l’école primaire à qui on apprenait à chanter les hymnes de la révolution, les chants des terroirs, à faire des défilés ; c’était pour inculquer en eux l’image d’un Homme intègre, d’un homme travailleur. Aujourd’hui quand on prend nos livres de l’école primaire, qu’est-ce que ces livres apprennent à l’enfant burkinabè pour qu’il soit un citoyen qui défend le Burkina Faso ? Dans cette refondation, il faut qu’on désintègre tout le système éducatif pour mettre en place un nouveau système tourné vers nos valeurs. Si aujourd’hui il y a des chômeurs, ce n’est pas la faute des jeunes mais c’est le système qui ne leur a pas appris ce qu’ils peuvent faire avec le sable du village, avec la brousse du village, ou avec le soleil. Est-ce qu’on ne pouvait pas, rien qu’à partir de la classe de la 6e, avoir dans tout le Burkina Faso des écoles qui vont former des gens à fabriquer des plaques solaires ? C’est notre soleil, c’est notre richesse naturelle la plus abondante. On devrait former des gens à la fabrication des plaques solaires et on y investie beaucoup d’argent pour développer ce secteur. On vient d’investir 100 milliards de FCFA dans les élections mais cela n’a abouti à rien. Ces 100 milliards auraient pu permettre de lancer des entreprises de fabrication des plaques solaires. Cela va créer de l’emploi et ces plaques vont produire de l’énergie solaire. Avec une industrie développée dans ce domaine, il arrivera un temps où on n’aura même plus besoin de couper nos arbres pour alimenter parce que le soleil qu’on a pourrait servir d’électricité, d’énergie dans les foyers.
De la politique écologique, est-ce qu’on parle de refondation si notre désert est en train d’avancer à ce rythme ? Il y a assez de réalités ; quand on prend le système de défense, aujourd’hui il y a une insuffisance de poste de police ou de gendarmerie nationale sur tout le territoire national. Quand moi je quitte Léo pour Ouagadougou, de Léo, si ce n’est pas à Sapouy, à 100 kilomètres, vous ne verrez pas un poste de police ou de gendarmerie. 60 ans plus tard on n’a même pas pu quadriller le territoire national et on dit qu’il y a le chômage. Pourquoi ne pas recruter autant de jeunes pour veiller à ce que l’Etat soit effectif. Il y a assez de chose qu’il faut mettre dans le panier de la refondation. C’est tout un programme, il faut qu’on lui donne un contenu idéologique et politique. Tout doit d’abord passer par la révolution des mentalités : l’image que le Burkinabè a de lui-même, la mentalité du Burkinabè en terme d’intégrité. Aujourd’hui, le constat est que le Burkinabè n’est pas un Homme intègre. Il n’y a pas de refondation si on ne crée pas un autre citoyen. Tout cela était inscrit dans la politique de la révolution. L’intégrité doit venir aussi du sommet parce qu’on aime à dire que l’exemple du sommet coule facilement vers la base.