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Dr Serge Noël Ouédraogo, enseignant chercheur : « Il faut agir en bonne intelligence avec la CEDEAO »

Publié le mardi 8 fevrier 2022  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Dr Serge Noël Ouédraogo, enseignant chercheur
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Le sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique au Burkina, en Guinée et au Mali, d’Accra en date du 3 février 2022 n’a pas pris de nouvelles sanctions contre les nouvelles autorités burkinabè. L’enseignant chercheur au Département d’Histoire et Archéologie de l’Université Joseph-Ki-Zerbo, Dr Serge Noël Ouédraogo décrypte la décision de la structure sous régionale à travers cette interview.

Sidwaya (S) : Comment appréhendez-vous la décision de la CEDEAO de ne pas infliger de nouvelles sanctions au Burkina Faso ?

Dr Serge Noël Ouédraogo (S. N. O.): Je ne suis pas surpris que le sommet extraordinaire de la Conférence des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO sur la situation politique au Burkina, en Guinée et au Mali, d’Accra le 3 février 2022, n’ait pas pris de nouvelles sanctions à l’encontre du Burkina Faso et n’ait pas infligé de sanctions individuelles aux nouvelles autorités. Sans surprise, la première série de sanctions infligées au Burkina Faso, à la suite de la consommation définitive de l’interruption d’un régime arrivé au pouvoir de manière démocratique, ont été maintenues. Ces sanctions, dans la logique de la tolérance zéro de l’accession au pouvoir suprême par des voies autres que celles constitutionnelles, ont consisté, quasi mécaniquement (donc sans surprise) à suspendre le Burkina Faso de toutes les instances de l’organisation sous-régionale. Le changement de régime étant consommé, la CEDEAO a envoyé en mission, à Ouagadougou, des personnalités militaires (chefs d’Etats-majors) et politiques (ministres et diplomates). Lesdits missionnaires ont rendu compte à qui de droit. De ce qui est révélé par la presse, ils ont apprécié la bonne disposition des nouvelles autorités à œuvrer de concert avec la Communauté internationale, pour le retour à l’ordre constitutionnel. Ils ont aussi constaté le bon état physique et psychique de l’ancien Président Roch Marc Christian Kaboré et ont eu, du concerné, les informations sur les conditions de rédaction de sa lettre de démission. Visiblement, les missionnaires ont fait des rapports non défavorables aux nouvelles autorités. Il est fort probable que par d’autres canaux formels ou informels, la CEDEAO ait pris le pouls de la situation réelle du pays. La signature, le 3 février 2022, du décret prévoyant la mise en place de la commission technique d’élaboration de projet de textes et de l’agenda de la Transition, participe à la décrispation. Il faut maintenant continuer à agir en bonne intelligence avec la CEDEAO pour que la première série de sanctions soit la dernière.

S : Pensez-vous que cette décision découle d’un engagement des nouvelles autorités qui disent œuvrer pour un retour à l’ordre constitutionnel ?

S. N. O. : Les décisions prises obéissent, d’une part à l’analyse objective des récents changements, d’autre part aux premiers signaux envoyés par le nouveau président du Faso. Le changement de régime a été assez particulier du point de vue de l’absence d’effusion de sang, quand bien même il y aurait eu des blessés, de l’absence de traque des anciens dirigeants, seul l’ancien président du Faso est cependant privé, temporairement je présume, de sa liberté. L’adresse à la Nation du lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba, Président du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), le 27 janvier 2022, a certainement été analysée sous toutes les coutures. L’acte fondamental du MPSR évoque dans son préambule, un « attachement aux valeurs et principes démocratiques contenus dans les instruments internationaux et régionaux auxquels le Burkina Faso a souscrit ». Aussi, dans son Titre 3, Article 25 « Il [le MPSR] assure la continuité de l’Etat en attendant la mise en place des organes de la Transition. Il assure la continuité et la gestion des affaires de l’Etat, même en cas d’indisponibilité du gouvernement». Des rencontres tous azimuts ont été menées ou envisagées par le nouveau président, avec les forces vives de la Nation. Les discours de rassemblement et l’absence de chasse aux sorcières ont dû impressionner et ont été perçus comme étant des signaux très positifs. On note une promesse de retour à une vie constitutionnelle normale dans un délai raisonnable. Le temps permettra de connaître les contours précis de ce délai raisonnable. Il faut aussi noter que de nombreuses voix se sont élevées pour demander à la CEDEAO de ne sanctionner ni l’Etat du Burkina Faso, ni les nouvelles autorités. Ces voix proviennent, tant des partis politiques y compris certains de l’ex- majorité comme l’UNIR/MPS, mais aussi des organisations de la société civile et des leaders d’opinion. D’aucuns pensent que l’ex-président du Faso aurait, lui aussi, plaidé dans ce sens lorsqu’il en a eu l’occasion. Tous ces éléments et bien d’autres, ont à ce stade, milité en faveur des nouvelles autorités. Ce capital de « confiance » ou de « tolérance » (c’est selon) ne devra pas être vendangé. Mais qu’on ne s’y trompe pas, il faudra d’autres signaux plus importants et surtout une bonne lisibilité de l’horizon vers le retour à une vie démocratique normale.

S : N’y-a-t-il pas ici une politique de deux poids deux mesures, lorsqu’on se réfère au cas du Mali qui a été sanctionné ?

S. N. O. : Les nouvelles autorités ont eu la bonne idée de ne pas surfer sur un chauvinisme, c’est-à-dire un nationalisme excessif. Elles paraissent se situer dans la logique consistant à ne pas défier la CEDEAO et le reste de la communauté internationale mais plutôt à demander leur accompagnement. Les parts de souveraineté librement consenties aux institutions confèrent aux pays membres, des droits mais aussi des devoirs. On ne peut intégrer des organisations dans le cadre du multilatéralisme et avoir des réflexes de vie autarcique sans en subir des contrecoups. De nombreux propos, tenus par les nouvelles autorités, montrent que jusque-là, le Burkina Faso est dans la demande d’un accompagnement et non dans la défiance. N’oublions pas qu’après le renversement du Président Ibrahim Boubacar Keïta, le Mali a été naturellement exclu des instances, enjoint à mettre en place des structures de transition. De manière brève, les relations entre la CEDEAO et l’Etat malien se sont envenimées dans les circonstances telles que l’arrestation du président et du Premier Ministre de la transition par les tombeurs d’Ibrahim Boubacar Keïta et l’expulsion du représentant de la CEDEAO au Mali (décision extrême et faute assez grave). Il y a aussi la volonté de rallonger de 5, sinon de 4 ans, la durée de la transition après les assises nationales et le climat de défiance vis-à-vis de la CEDEAO et du reste de la Communauté internationale dans un contexte de patriotisme exacerbé, de panafricanisme revendiqué et de diatribes anti-CEDEAO. C’est ainsi que le sommet a pris la décision, diversement appréciée, de sanctionner sévèrement les autorités maliennes, mais aussi, en qualité de victime collatérale, le peuple dont une partie soutient les nouvelles autorités. Il y a aussi que ; dans un espace intégré, tout le monde souffre. Les effets se font sentir dans le prix de certaines denrées, notamment au Sénégal. L’approvisionnement de nos pays est presque à flux tendu. Ces sanctions, d’une telle sévérité, se veulent généralement temporaires, le temps que les autorités reviennent à de meilleurs sentiments, fassent des propositions plus acceptables. Dans une récente interview, le président sénégalais Macky Sall disait : « Les sanctions sont l’arme ultime. Jamais la CEDEAO n’avait essayé de sanctionner d’emblée des dirigeants comme elle l’a fait au Mali par exemple » Rappelant que le Burkina Faso n’a, pour le moment pas été soumis à aucune sanction [la suspension du Burkina Faso des instances n’étant pas de véritables sanctions] de la part de la CEDEAO, il affirme qu’« on ne cherche pas à sanctionner à tout prix ». Par ailleurs, il faut observer que ce sont les Etats-Unis plutôt, qui ont suspendu les activités du Millennium challenge corporation (MCC) à la suite du coup d’Etat intervenu le 24 janvier 2022. Dans le fonds, à la lumière de l’histoire, les embargos (quels que soient leurs instigateurs, comme à Cuba en 1962, en Irak en 1990) ont rarement donné de résultats probants. Ce sont surtout les concertations et les compromis qui sont salutaires dans la résolution des crises inter-étatiques. Tirant leçon de l’exemple malien, les nouvelles autorités burkinabè, certainement mieux avisées, ne défient pas les partenaires traditionnels du pays. Bien au contraire, elles demandent leur compréhension, accompagnement et soutien pour que le Burkina Faso soit « sauvegardé » et « restauré » (si vous me permettez ce jeu de mot inspiré du nom de la structure créée par les autorités actuelles : Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR). Cependant, aucun blanc-seing n’est accordé aux nouvelles autorités burkinabè. Jusqu’au retour à l’ordre constitutionnel normal, elles seront l’objet d’un marquage serré de la CEDEAO. Il y a un effet de « contagion » que chaque pays redoute et le putsch manqué en Guinée Bissau est illustratif.

S : La CEDEAO invite le nouveau pouvoir à établir un calendrier clair pour un retour à l’ordre constitutionnel. Quel pourrait être le schéma salutaire pour une sortie de crise ?

S. N. O. : Le schéma prendra nécessairement en compte les ambitions des nouvelles autorités et le nécessaire accompagnement de la Communauté internationale, avec au premier rang, l’organisation sous-régionale, mais aussi en bonne posture, l’Union africaine, l’ONU à travers le représentant spécial du secrétaire général et chef du bureau des Nations unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel, etc. Nécessairement, des concessions pourraient être faites par les nouvelles autorités par rapport à leur projet initial, en termes de délai pour un retour à une vie constitutionnelle normale, d’instances à mettre en place pour conduire la transition, etc. Les « professionnels » de la politique, théoriciens ou praticiens et surtout les hommes et femmes de bonne foi, sont attendus pour l’identification du schéma salutaire. Parmi les schémas envisageables, il y a par exemple la mise en place d’une transition inclusive, la prise en compte de la diversité des acteurs politiques et de toutes les forces vives dans le processus devant conduire au retour à l’ordre constitutionnel à travers des élections libres, transparentes et ouvertes à tous. Des organes exécutif et législatif pourraient être établis. Nous serons alors plus ou moins sur le modèle de la transition d’après la dernière insurrection, dont il faudra éviter les erreurs. L’expérimentation d’une transition dont les organes excluraient les partis politiques et peut-être aussi les organisations de la société civile dont beaucoup sont, manifestement politiquement teintées, mais qui incluraient des personnalités civiles et militaires sans affiliation partisane connue et active. Le caractère inclusif de ce type de transition n’est pas garanti, des doutes sur les personnalités choisies (d’ailleurs par qui, comment et pourquoi ?) amèneraient à scruter à la loupe les décisions et à opiner continuellement sur la neutralité de cette transition. Avec le décret n°2022-015/MPSR/PRES portant « création, attributions, composition et organisation de la composition technique d’élaboration de projet de textes et de l’agenda de la Transition » et au regard des résultats attendus, de la méthodologie de travail, des personnalités civiles et militaires rassemblées et du principe du bénévolat de leurs tâches, l’espoir d’un schéma salutaire, bien mûri et consensuel est permis. Quelle que soit l’option choisie, il faudra agir vite, produire des résultats tangibles, limiter les oppositions et rejets en recherchant, autant que faire se peut, un consensus minimal. Une transition, par essence, se veut assez limitée dans le temps et dans les ambitions. Plutôt que d’atteindre des résultats probants sur tout, elle réussira si des acteurs neutres, agissant dans l’intérêt supérieur de la Nation sont aux commandes et tracent de vrais sillons pour un Burkina Faso refondé, géré par des hommes politiques choisis par la voie des urnes et agissant dans le cadre d’institutions fortes et de contre-pouvoirs efficaces.

S : Avez-vous un appel à lancer à la Communauté internationale dans la gestion de cette crise ?

S. N. O. : Comme beaucoup de Burkinabè d’ici et de la diaspora, je souhaite un accompagnement de la Communauté internationale afin que le processus enclenché aboutisse. Le recouvrement de l’intégrité territoriale, le retour de l’Etat (dans toute son envergure habituelle) et des Personnes déplacées internes (PDI) dans les zones désertées et la refondation de la gouvernance se feront, certes et principalement, par les efforts des acteurs nationaux (civils et militaires) animés d’un grand zèle patriotique, mais aussi par l’accompagnement de nos partenaires. La Communauté internationale jouera immanquablement plusieurs rôles dans l’accompagnement du processus en cours. Il s’agit notamment de la mise en place d’une instance formelle ou informelle d’accompagnement, de l’acceptation d’une proposition raisonnable de calendrier et du financement partiel et observation des élections de fin de transition. En rappel, après l’insurrection de 2014, le Groupe international de suivi et d’accompagnement de la transition pour le Burkina Faso (GISAT-BF) a été mis en place. Co-présidé par les représentants de haut niveau de l’UA, de la CEDEAO et des Nations unies, le GISAT-BF a œuvré en étroite collaboration avec le Groupe de contact de la CEDEAO au Burkina Faso. Allons-nous vers une formule semblable ? Wait and see. Du fait de ces soucis avec les nouvelles autorités maliennes et guinéennes, la CEDEAO voudrait faire du Burkina Faso un bon élève. Nous gagnerons à ne pas trop nous écarter des standards en matière de transition tout en mettant en avant nos spécificités (intégrité territoriale menacée, besoins pressants de réconciliation, retour des PDI et de l’Etat dans certaines zones du pays) pour obtenir une durée raisonnable, donc négociée (en interne et en externe), pour la période de transition (en évitant des demandes extrêmes à la malienne). Au demeurant, l’attitude de la Communauté internationale vis-à-vis du Burkina Faso dépendra du comportement des autorités burkinabè de Transition, de la définition d’un chronogramme acceptable, d’une diplomatie appropriée au contexte actuel. Vivement, que les violons soient bien accordés, pour une issue heureuse et sans remous de la transition qui est amorcée, donc un retour à une vie constitutionnelle normale dans un Burkina Faso libéré ou en passe d’être libéré de l’hydre terroriste.
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