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Filière lait à Dori : L`insécurité « fermente » les recettes

Publié le vendredi 7 janvier 2022  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Le savon à la laiterie « Sahel kossam Naye »
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Dans les mini laiteries à Dori, chef-lieu de la région du Sahel, l’entrepreneuriat féminin bat de l’aile à cause de l’insécurité. Conséquences, ralentissement du marché, baisse de la production et réduction accrue du nombre de personnels. Constat à « Kossam Naï Bodedji », « Pamiral-Omboriré », « Sahel Kossam Naye », situées respectivement aux quartiers, Cité des forces vives, Zamalafia et Petit-Paris de la ville de Dori.

A la laiterie « Sahel Kossam Naye », située à Petit-Paris, secteur 2 de Dori, il commence à faire frisquet ce matin du mercredi 8 décembre 2021. Couvertes de pull-over, des enfants au dos, des femmes s’activent à la fabrication de savon à base de lait. Une tâche à la chaîne. Pendant que certaines sont à la confection, d’autres sont chargées de mettre le logo « Kossam Naye ». Elles s’expriment dans la langue locale, le fulfuldé.

Sous le hangar jouxtant le magasin de stockage, la trésorière, Balguisa Dicko, a l’air agacée. « Bonjour madame ! Vous ne vous sentez pas ? », demandons-nous. Les recettes de l’entreprise font dormir d’un œil, répond-elle, le visage mélancolique. Cela fait plus d’un an que ses clients potentiels à Arbinda, Seytenga et Gorgadji, pour des raisons sécuritaires, ont rompu la collaboration. « Les routes ne sont pas accessibles. Les clients ont peur d’être attaqués par des hommes sans foi ni loi sur le chemin.

Avant, je pouvais envoyer dans ces localités dix cartons de savon et recevoir la valeur monétaire à travers une transaction mobile. Maintenant, même les transporteurs se méfient de ces localités », explique-t-elle difficilement. L’insécurité au Sahel, tout comme d’autres régions victimes des actes barbares, influence négativement les activités génératrices de revenus des femmes.

Les employées de son entreprise qui comptent sur la rémunération mensuelle de 25 000 F CFA pour s’occuper de leurs familles respectives sont dorénavant confrontées à une double peine. Non seulement, elles sont dépourvues de rémunération, mais aussi, dans l’impossibilité de mener d’autres activités dans les villages environnants de Dori.

« Depuis la création de l’entreprise en 2015, elles étaient rémunérées à 25 000 FCFA le mois jusqu’en 2019. Actuellement, nous n’arrivons plus à écouler nos produits pour les prendre en charge. Depuis le mois d’août, nous ne parlons plus de salaire ici. Nous partageons les petits bénéfices que nous gagnons souvent », déplore-t-elle.

Dans ces moments inattendus, difficile pour Balguisa Dicko de retenir ces femmes, majoritairement analphabètes obligées de faire recours aux mini-laiteries pour s’occuper de leurs foyers. Au nombre de 30 au départ, 15 d’entre elles ont été remerciées. Désormais au chômage, elles ressentent les effets de l’insécurité dans leurs activités quotidiennes. Dans sa tenue multicolore, bébé au dos, Fatoumata Diallo a été « licenciée » en octobre 2019 sans préavis. Sans gène, elle relate le calvaire dans sa vie au foyer.

Une journée noire
« C’était une journée noire quand la trésorière m’a annoncé la nouvelle. Je me suis posé la question, ce que j’allais faire avec mes cinq enfants qui sont à ma charge. Mon époux ne travaille pas aussi. Je prie Dieu pour le retour de la paix afin que nous puissions vaquer à nos occupations », souhaite-t-elle. Ses enfants, Alou, Safiatou, agés de 14 ans et 17 ans, qui fréquentaient au lycée municipal de Dori, en classe de 5e et 2de C, se retrouvent désormais dans la nature.

La seule source de revenu de la famille, selon elle, provient de la lessive dans les ménages. Avec cette ressource, elle paie les produits de première nécessité. L’insécurité avec son lot de corollaires a entrainé la fermeture des écoles et plongé l’entrepreneuriat des femmes du Sahel dans l’incertitude. Aminata Barro est une accoucheuse de profession. Admise à la retraite en 2012, elle a décidé de s’aventurer dans l’entrepreneuriat en 2018. La soixantaine, veuve et mère de trois enfants, elle a créé la laiterie « Pamiral-Omboriré », située à Zamalafia, au secteur 5 de Dori pour venir en aide aux veuves et femmes déplacées, victimes des attaques terroristes.

Son ambition commence lorsqu’en 2019, elle a été sélectionnée par le Programme alimentaire mondial (PAM) pour approvisionner en lait les établissements préscolaires de la région. Elle n’avait jamais imaginé que la recrudescence des attaques terroristes avec ses


Tout comme dans les autres laiteries, les collecteurs de lait déplorent la quantité fournie.
conséquences désagréables allait gâcher son projet. « Nous étions six femmes au départ. Nous préparions uniquement le gapal (lait à base de mil, Ndlr) pour le revendre. Avec le soutien du PAM, j’étais obligée d’augmenter le nombre du personnel à 31.

L’objectif était de faire en sorte que ces femmes puissent entreprendre même étant ailleurs », allègue-t-elle, la tête tournée vers le laboratoire de traitement de lait. En effet, le local n’étant pas aux normes exigées par l’institution internationale, elle a dû contracter un prêt de deux millions F CFA dans une institution bancaire de la place. La somme empruntée a permis à la présidente de disposer d’un laboratoire d’analyse, de chambres de refroidissement, de stockage et de toilettes.

Pendant que ses employées, vêtues de blouse s’apprêtaient à rendre propre le matériel de chauffage, la présidente nous conduit dans la salle réservée à la vente. « Mes clients étaient les fonctionnaires et ceux qui travaillent dans les différents projets, car la région est inondée d’ONG. Toutes ces personnes qui rentraient les weekends se procuraient nos produits pour leurs familles.

Avec la situation actuelle, la ville s’est vidée des étrangers », lâche-t-elle. Avec la crise sanitaire, son projet avec le PAM est interrompu. Elle ne reçoit plus de commandes de ses produits de la part des établissements. Sur 31 femmes, neuf résidentes à Dori y sont restées. La majorité des femmes déplacées qu’elle avait engagées ont rejoint définitivement leurs tentes, aux quartiers Wendou et Yanrala. Le hic, Aminata Barro n’arrive plus à gérer quelques charges de l’entreprise, notamment le local qu’elle débourse 100 000 F CFA par mois pour l’occuper.

A cette allure, la laiterie risque de mettre la clé sous le paillasson. « Le propriétaire de la cour ne sait pas qu’il existe la maladie à coronavirus et l’insécurité. Il ne cherche plus à comprendre la rentabilité de notre entreprise. C’est son argent qui l’intéresse. Cela fait presque une année qu’il me poursuit. Où vais-je avoir l’argent ? », se demande-t-elle. Elle se rappelle que souffrant d’une maladie qui l’a contrainte à être hospitalisée, elle a été convoquée par la banque pour rembourser sa dette. En plus de sa pension, elle a dû vendre ses biens pour éponger une partie de ses dettes.

Difficile accès des matières premières
Les éleveurs ayant pris la poudre d’escampette désertant ainsi leurs villages, des femmes et leurs enfants en fuite dans certaines localités, difficile d’approvisionner la matière première. « Nos produits étaient livrés dans les alimentations, dans les communes et dans les villages. Actuellement, il est difficile d’accéder à ces lieux. Les clients sont devenus uniquement les autochtones », explique-t-elle, tête baissée.

D’une vente estimée à plus de 100 000 FCFA par semaine, l’entreprise peine à écouler 30 000 FCFA de ses produits. Le nombre de collecteurs de lait a diminué dans les villages. Selon la présidente de « Kossam Naïs Bodedji », Hadidiatou Hama, certains villages se sont vidés des troupeaux. Les collecteurs de lait dans ces localités fuyant les attaques terroristes


La responsable de la laiterie « Pamiral-Omboriré », Aminata Barro, déplore la morosité du marché.
se sont reconvertis dans les sites d’orpaillage en Côte d’Ivoire, Guinée, Ghana… Les éleveurs sont contraints de vendre leur bétail à vil prix, les moutons à 10 000 FCFA et les bœufs à moins de 100 000F CFA. Les zones de pâturage sont réduites.

« La plupart des points d’eau permettant aux animaux de s’abreuver sont occupés par les terroristes », s’offusque la responsable de la laiterie « Kossam Naïs Bodedji ». Conséquence, le prix du litre de lait, qui se négociait auparavant à 250F CFA, a connu une hausse de 100F CFA. Elle explique que son technicien agroalimentaire a rompu le contrat pour des raisons d’arriérés de salaire. La distribution de ses produits se limite dorénavant dans les mini-alimentations de la ville de Dori.

Le comble pour elle, c’est lorsque les produits sont mal conservés ou se périment, la perte devient énorme et peut atteindre 50 000 FCFA. « Je recevais des commandes de clients du Niger, Essakane et Arbinda. La semaine passée, je devais livrer du yaourt, du gapal et du fromage à Falagountou. Pour des raisons de sécurité, le marché est resté fermé. Au Niger, il y a une cliente qui prenait nos produits à Terra pour aller à Niamey. Malheureusement, avec la situation, elle ne peut plus se déplacer », regrette-t-elle.

Le talonnement de la banque Avant que l’insécurité n’ait pignon sur rue, Mme Hama précise que son chiffre d’affaires a chuté parce qu’elle pouvait vendre plus de 1 000 litres de yaourt ou de lait par jour. Aujourd’hui, elle a du mal à faire une recette de 50 000 FCFA par jour. Le drame, poursuit-elle, les prix des matières premières tels le petit mil et le sucre ont augmenté. De 21 000 F CFA, le prix du sac de sucre est passé à 25 000 F CFA et celui du mil de 24 000 F CFA à 30 000 FCFA.

Pour faire face aux multiples charges, la patronne de « Kossam Naï Bodedji » a mis en vente ses deux véhicules de livraison. En plus, elle est acculée par la caisse populaire l’invitant à rembourser son prêt de 8 millions F CFA. Ce qui a contraint Mme Hama à réduire son personnel de 45 femmes, 19 collecteurs à 16 femmes et 7 collecteurs, plongeant des familles dans le désarroi.

L’éducation qui sauve
Comme tous les autres secteurs, l’insécurité a touché la filière élevage au Sahel. Selon Amadou Hama, membre de l’association des éleveurs de Dori et collecteur de lait dans les laiteries, l’élevage tout comme ses produits dérivés est anéanti par le terrorisme dans la région. Le ressortissant de Banga, une commune dans la province du Yagha, déclare qu’il a l’habitude de livrer 70 litres de lait par jour aux laiteries. Avec les attaques dans les localités (Seytenga, Gorgadji, Arbinda…), il ne peut plus aller au-delà de 12 litres. Marié et père de cinq enfants, son vœu est le retour de la paix au Burkina Faso.


En plus de la vente des produits laitiers, la trésorière de la laiterie « Sahel Kossam Naye », Balguissa Dicko, alphabétise ses employées.
Malgré les multiples conséquences dues au terrorisme qui fragilisent l’économie des laiteries, les transformatrices sont résilientes. Pour la trésorière de « Sahel kossamNaye », Balguissa Dicko, son entreprise a développé une stratégie en début novembre 2021 pour retrouver sa performance d’antan. Avec l’appui de l’UNICEF, l’entreprise a reçu un contrat de 3 mois de livraison de savon dans les camps des Personnes déplacées internes (PDI).

Elle fait la promotion de l’éducation en matière d’hygiène et de santé, en langue nationale fulfuldé aux employées et aux femmes déplacées avec le soutien de « Tin Tua », une association non gouvernementale de développement. Rémunérée mensuellement à 100 000 FCFA, elle aide ces femmes à se prendre en charge et à promouvoir leur auto-développement.

Accompagner les laiteries
Outre les équipements du PAM à la laiterie « Pamiral-Omboriré », la responsable, Aminata Barro, a bénéficié de blouses de l’Association NoddeNooto (A2N) et de petit mil offert par le Conseil régional des unions du Sahel (CRUS) pour relancer ses activités. Dans sa retraite, elle compte développer des initiatives pour accompagner les orphelins des femmes déplacées.

Pour ce faire, elle lance un appel aux personnes de bonne volonté afin qu’elles volent au secours des laiteries qui souffrent. Pour permettre aux acteurs de la filière lait de promouvoir leurs produits, le responsable technique de l’Association pour la promotion de l’élevage en savane (APESS), Albert Ouoba, a expliqué que la Plateforme d’innovation lait (PIL) a été créée en 2019.

Au regard de la réduction des zones de pâturage, son association a mis à la disposition des mini-laiteries, une banque d’aliments pour bétail. Ce système consiste à soutenir les fournisseurs qui sont des éleveurs à travers des « crédits pasteurs » sur la base d’un fonds de garantie. « C’est pour permettre aux éleveurs d’avoir des prêts dans l’optique de chercher de l’aliment pour bétail en qualité et en quantité pour pouvoir stimuler la transformation du lait », a dit Albert Ouoba.


La zone de pâturage des animaux est limitée à Dori, selon le responsable technique de l’APESS, Albert Ouoba.
Le mode de production de l’élevage n’étant pas de type industriel, alors, les éleveurs doivent profiter de la générosité de la nature pour pouvoir bénéficier des avantages. Dans un rayon de 5km de la ville, difficile de se promener, explique-t-il. « Non seulement vous risquez de tomber sur des engins explosifs, ou bien vos animaux risquent d’être emportés. En plus, les femmes qui pouvaient trouver du lait dans les exploitations familiales au-delà de 15km ne peuvent plus s’y rendre parce que toutes ces familles ont été touchées par l’insécurité. Elles sont revenues en ville », déplore M. Ouoba.

Pour relever les défis, l’APESS compte stimuler la production en facilitant l’octroi de vaches laitières aux ménages. Elles peuvent, selon lui, produire 3 à 4 litres de lait par jour. Ce qui va permettre aux familles de bénéficier du minimum d’argent pour faire face à la situation difficile actuelle. L’un des messages de ces femmes battantes, c’est le retour de la quiétude pour qu’elles puissent relancer leurs activités.

Oumarou RABO
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