Les hommes politiques, en Guinée, continuent de jouer avec le feu. En instrumentalisant leurs militants, surtout la frange jeune, sur des bases ethniques, à des fins politiciennes et électoralistes, ils mettent gravement en péril l’unité nationale. C’est sur ce socle en effet de l’appartenance à une même Nation, que peut se bâtir une Guinée démocratique et apaisée.
Mais, comme on le voit avec les violences à répétition dans la capitale, à quelques jours des élections législatives, la paix sociale semble être le dernier des soucis de certains acteurs politiques. La classe politique, marquée par un clivage profond entre les deux adversaires que sont l’opposant Cellou Dalein Diallo et le président Alpha Condé, est à la base des échauffourées fréquentes dans le pays. Le pire, c’est que ce sont essentiellement les jeunes qui sont utilisés dans cette guerre, en politiciens. Dans ces conditions, on se demande bien quelle Guinée ils veulent pour demain. Car si cette jeunesse, appelée à porter le destin futur du pays, sont nourris à la sève de la haine, de la division et du tribalisme, c’est le chaos perpétuel assuré pour la Guinée. Quand des jeunes grandissent avec l’idée que l’ethnie est la seule référence de vie dans la société, ils ne seront jamais de bons citoyens. On forme ainsi des esprits formatés par le régionalisme et l’ethnicisme, incapables de penser et d’agir en tant que citoyens d’une Nation d’abord et avant tout. C’est là tout le danger qui guette la Guinée. Depuis des lustres, le pays s’est complu dans des divisions qui l’empêchent de se réconcilier avec lui-même. Et les adultes sont en train de passer le honteux flambeau aux plus jeunes.
On avait pourtant cru que l’avènement de la démocratie mettrait fin à ces divisions basées sur l’ethnie. On croyait enfin venue l’heure de la confrontation des idées dans la paix et le respect mutuel. Mais que nenni ! La présidentielle en elle-même a charrié les germes néfastes du recours aux discours ethnicistes. Le grand malentendu originel, né de l’ère Sékou Touré, persiste donc, ainsi que le rappelle Human Rights Watch dans un rapport de 2011 consacré à la Guinée : « Lors d’un complot particulièrement sanglant, le « Complot peul », ou complot des Foulbés de 1976-77, des intellectuels Peuls respectés, dont Boubacar Telli Diallo, ex-secrétaire général de l’Organisation de l’unité africaine, et d’innombrables autres personnes, furent emprisonnés, exécutés ou sont morts en détention.
Ces violences provoquèrent un exode massif hors de Guinée de membres du groupe ethnique peuhl et ont [depuis] instauré un pénible sentiment de méfiance entre les Peuls et le deuxième plus important groupe ethnique de Guinée, les Malinkés, auquel appartenaient Touré et bon nombre de ses principaux alliés politiques au sein du PDG ». Après la présidentielle, les législatives cristallisent à nouveau les passions. Le chemin vers le 28 septembre (qui rappelle de douloureux souvenirs pour les Guinéens), date fixée pour ces législatives, est à nouveau parsemé de cadavres et de blessés. La violence politique prend le pas sur le débat d’idées. Ce scrutin est certes d’un enjeu majeur pour Cellou Dalein Diallo et Alpha Condé, mais il ne saurait justifier l’usage d’une arme de destruction massive comme l’ethnicisme. La situation est critique, à l’instar de ces craintes confiées par Mamadou Kaly du Cercle d’orientation pour la consolidation de la paix, une ONG locale, à l’agence IRIN : «Nous avons assisté à des tensions ethniques par le passé, mais jamais d’une telle ampleur. » Car le mal ne s’arrête pas qu’en Guinée. Il se dissémine aussi dans toute la diaspora. En divisant en effet les Guinéens de l’intérieur, la classe politique divise aussi ceux de l’extérieur. La propagation du phénomène ethnique devient dès lors sans limite. C’est une dérive à laquelle il faut mettre fin par une acceptation du jeu démocratique.
La Guinée a jusqu’à présent pu éviter de basculer dans une guerre civile. Mais, il ne faut pas s’entêter à tenter le diable. Cela peut conduire à l’irréparable .