Les Burkinabè abandonnent de plus en plus les costumes (veste-cravate) pour les tenues traditionnelles, notamment le faso danfani ou le koko dunda. A Bobo-Dioulasso, couturiers, vendeurs et acteurs du domaine donnent des raisons de ce changement de goût vestimentaire.
La IVe édition de la rencontre nationale du cadre de concertation et d’orientation pour le dialogue Etat/secteur privé a eu lieu, les 1er et 2 octobre 2021 à Bobo-Dioulasso. A l’ouverture des travaux, les participants, des plus hautes autorités au citoyen lambda, étaient vêtus en koko dunda pour les uns et en faso danfani pour les autres. Seules quelques personnalités, qui du fait de leur fonction ou de leur métier, étaient habillées en costume-cravate. En effet, depuis l’avènement du koko dunda, il y a près de 5 ans de cela et du faso danfani, les vestes tendent à disparaître des cérémonies et autres manifestations. Les Burkinabè ne se gênent plus d’arborer leurs tenues traditionnelles tant en privé que dans les lieux publics. Ce « déclassement » des costumes des garde-robes ne fait pas l’affaire des vendeurs qui tirent leur pitance de ce commerce, même s’ils jugent ce changement salutaire. C’est le cas de Yacouba Togola.
Il est vendeur de vestes et accessoires depuis une vingtaine d’années à Bobo-Dioulasso. Pour lui, cette période de fin d’année, marquée par le froid et les fêtes, est propice à l’écoulement des vestes. Il pouvait engranger entre 50 000 et 75 000 F CFA. Mais depuis que les Burkinabè n’ont d’yeux que pour le koko dunda, il lui est difficile de vendre, ne serait-ce qu’une veste par jour. Malgré cette mévente, Yacouba Togola loue l’engouement des Burkinabè pour le koko dunda ou le faso danfani. « Le koko dunda et le faso danfani sont devenus comme des tenues officielles à la place des vestes. Cela fait partie de l’évolution du pays. C’est nous les Burkinabè qui fabriquons ces pagnes. Nous prions pour que chacun de nous gagne sa part », a-t-il confié. Outre les vendeurs, les couturiers font aussi les frais du désintéressement des Burkinabè pour les vestes. Paulin Millogo, styliste et promoteur de mode au secteur 17 de Bobo-Dioulasso, ne confectionne aujourd’hui qu’une dizaine de vestes à base de tissu par mois alors qu’auparavant il en fabriquait une vingtaine.
Le faso danfani, une identité vestimentaire
Tout comme Yacouba Togola, Adama Tapsoba, un couturier, apprécie également cet intérêt des Burkinabè pour la tenue locale. A l’entendre, les vestes sont cependant exigées par des institutions ou des sociétés. « En matière de mode, chaque temps a ses exigences. Le koko Dunda et le faso danfani sont propres au Burkina et aux Burkinabè. C’est une bonne chose. Cela n’impacte pas trop sur nos activités car chacun a son marché », a-t-il précisé. Mais qu’est-ce qui explique l’abandon des vestes pour les tenues traditionnelles ? A entendre Paulin Millogo, le koko dunda et le faso danfani « font tendance, ils sont moins chers et de qualité. » Pour le couturier et spécialiste en textile et habillement, Aboubacar Ouédraogo, l’abandon des vestes au profit du koko dunda et du faso danfani est dû au fait que les Burkinabè se sont décomplexés dans l’habillement. C’est pour cela que les vestes et autres costumes ne se portent plus dans les cérémonies. Pour lui, la veste n’est pas de notre réalité culturelle et n’est pas adaptée à notre climat.
A entendre le spécialiste, le koko dunda ou le faso danfani se porte à tout moment et ne fait pas transpirer. « Dans le temps, nos intellectuels se sont ‘’occidentalisés’’ à travers les vestes. On en a fait un effet de mode de telle sorte que quand tu es intellectuel et que tu ne portes pas de veste, tu n’es pas vu comme tel. Les gens ont maintenant compris que la veste ne fait pas forcement l’intellectuel. Depuis lors, les Burkinabè portent des koko dunda ou faso danfani adaptés à nos réalités et reflétant notre identité vestimentaire », a signifié Aboubacar Ouédraogo. Pour lui, l’abandon des vestes ne joue pas forcement sur leurs activités. « Il faut s’adapter. En matière de mode, c’est cyclique. Pour un créateur, il faut s’attendre au changement et s’adapter. Les professionnels du domaine s’adaptent à la tendance pour avancer », a conseillé le couturier spécialiste. L’adaptation semble être aujourd’hui le maitre-mot des couturiers. Cela a amené Paulin Millogo à faire des vestes à partir des pagnes faso danfani ou koko dunda. « Avec le koko dunda ou le faso danfani, on peut faire beaucoup de choses. C’est pour cela que les gens ont tendance à abandonner les tissus ordinaires pour les adopter. Depuis lors, nous confectionnons des vestes avec ces pagnes », a-t-il soutenu.
Plaider pour une formation des tisseuses
L’engouement des Burkinabè pour le koko dunda ou le faso danfani fait l’affaire des acteurs du domaine. Eloi Sawadogo, président national des acteurs du koko dunda est l’un d’eux. Pour lui, le pagne se porte bien sur le marché. « L’engouement du koko dunda vient de la volonté du peuple et des autorités qui encouragent et valorisent les produits locaux. Le peuple burkinabè a compris que pour faire bouger les choses, il faut consommer ce que nous produisons. C’est pour cela que le koko dunda et le faso danfani sont en train de prendre de l’ampleur sur le marché », a-t-il estimé. A entendre M. Sawadogo, le problème du coût élevé, souvent reproché à ces tenues, n’altère pourtant pas l’engouement des Burkinabè. « Le coût s’explique par le fait que les teinturiers et les promoteurs sont entrés dans une autre dynamique et utilisent des tissus neufs pour la teinture. Néanmoins, les acteurs réfléchissent pour pouvoir définir un coût qui soit accessible à tous », a-t-il indiqué. Le président de l’association qui compte plus de 500 membres, a invité les Burkinabè à faire confiance aux acteurs de la filière et à consommer les produits locaux. C’est aussi l’avis de Seydou Bawa qui vend le faso danfani depuis plus de cinq ans. Pour lui, le faso danfani ou le koko dunda sont des produits burkinabè qui font vivre de nombreuses personnes. Les clients de M. Bawa sont en grande majorité des fonctionnaires mais aussi des Ivoiriens et des Maliens.
Il a souhaité une formation des tisseuses pour offrir aux clients des pagnes et habits de qualité. Paulin Millogo a abondé dans le même sens, avant d’inviter les tisseuses à améliorer la teinture. Pour améliorer la qualité de ces pagnes, le ministère du Développement industriel, du Commerce, de l’Artisanat et des Petites et Moyennes entreprises, à en croire le président national des acteurs du koko dunda, a doté les acteurs de matériels adaptés. C’est toujours dans cette dynamique que les autorités en charge du commerce ont labellisé ces deux pagnes en vue d’accroître leur compétitivité et leur valeur marchande, de lutter contre la contrefaçon et la concurrence déloyale, de sauvegarder l’identité culturelle et d’améliorer conséquemment leur qualité. Le facteur qualité est, d’ailleurs, l’élément sur lequel s’appuie Sanata Ouédraogo, une cliente rencontrée dans une boutique de vente de pagne faso danfani. « Les pagnes koko dunda ou faso danfani sont de bonne qualité. Ils sont adaptés à nos réalités et les gens apprécient quand nous les portons », a-t-elle dit. Elle a invité les Burkinabè à consommer davantage les produits locaux pour le développement de leur pays.