Au Burkina Faso, le handicap touche plus de 168000 personnes. Malgré la persistance des pesanteurs socioculturelles négatives sur le handicap : malédiction divine, incapacités, charge sociale, les personnes en situation de handicap tentent, tant bien que mal, à se faire « une place au soleil ». Très souvent victimes d’exclusion, de préjugés, la majorité d’entre elles rencontre toujours des obstacles au sein de la société pour accéder pleinement à leur droits (à l’éducation, à la formation professionnelle, à l’emploi...). Voyage au cœur d’un milieu où les personnes en situation de handicap luttent contre vents et marées, pour promouvoir leurs droits.
« A l’âge de neuf mois, par coïncidence, ma demi- sœur et moi, nous sommes tombés malades. Mes parents nous ont conduits au camp Guillaume pour des soins. Le lendemain, ma demi-sœur qui marchait déjà, ne le pouvait plus. Et moi qui faisais quatre pattes aussi. Finalement, il a été dit à mes parents que c’était l’injection qui avait été mal administrée. Mais avec le temps, j’ai compris que c’était la poliomyélite », raconte Zoénabou Savadogo.
Pour affronter les dures réalités de la vie, Zoénabou Savadogo s’est spécialisée dans l’artisanat. Handicapé motrice, elle est secrétaire permanente et comptable de la coopérative des artisans handicapées Tigoung Nonma (l’union fait la force) créée en 2005 avec la collaboration de l’ONG Handicap Solidaire-Suisse. Forte d’une soixantaine de membres, elle regroupe des personnes en situation de handicap qui œuvrent dans le domaine de l’artisanat. Souvent victime de diverses discriminations, Zoénabou Savadogo affirme que la situation des personnes en situation de handicap est surtout marquée par d’importantes inégalités qui entravent leur épanouissement socioéconomique. « En 1986, j’ai voulu prendre part au concours des agents itinérants de santé. Et la directrice de l’école nationale de la santé m’a fait savoir, avec deux autres personnes en situation de handicap, que nous ne pouvons pas être des agents de santé, parce qu’ils se déplacent beaucoup ». Elle ajoute : « munie de ma carte d’invalidité en 2006, je n’ai pas pu bénéficier des soins. Malgré le sceau de l’Etat sur cette dernière, on a refusé de me consulter. J’ai versé des larmes ce jour, non pas parce que je n’avais pas l’argent pour me soigner, mais pour la simple raison qu’on m’a négligé malgré les avantages que cette carte devait me procurer ».
Des difficultés à la pelle
Selon le recensement général de la population et de l’habitation de 2006, le Burkina Faso compte 168 094 personnes en situation de handicap, soit 1,20% de la population totale estimée à 14 017 262 habitants. A en croire le coordonnateur de programme à l’ONG Handicap Solidaire, Alfred Ouédraogo, la plupart des difficultés auxquels ils sont confrontés sont, entre autres, l’accès aux infrastructures publiques, à l’éducation et aux soins de santé. A cause de leur handicap, dit-il, ils ne peuvent avoir accès aux transports publics, aux édifices. Les infrastructures n’étant pas conçues pour la commodité d’utilisation. La situation, relève Alfred Ouédraogo, est pire dans les zones rurales où les enfants handicapés sont généralement confinés à la maison, en raison d’anciennes croyances traditionnelles qui les considèrent comme une malédiction divine. « Pendant des siècles, les gens ont pensé que le handicap, c’est la malédiction, la faute de l’autre, des ancêtres. Quand il y a des pesanteurs sur le handicap, c’est difficile de changer les mentalités », soutient Ousséni Badini, du Cadre de concertation des ONG intervenant dans le domaine du handicap au Burkina (CCI/Handicap).
Pour un changement de mentalités, plusieurs organisations non gouvernementales militent pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap. On peut citer, entre autres, Light for the world, Handicap Solidaire, Handicap International. Leur combat, précise Ousséni Badini, est surtout axé sur le respect du droit à l’égalité, à la vie, à la liberté, de la vie privée, l’accès à l’éducation et aux soins de santé, le droit au travail, la participation à la vie culturelle et politique. C’est la raison pour laquelle, Fredy Ouédraogo explique que Handicap solidaire œuvre au renforcement des capacités, à la promotion du sport, la réalisation des activités économiques, l’amélioration des conditions de mobilité, à travers l’octroi de moyens de déplacement, des fauteuils roulants, tricycles et surtout pour une éducation interne, afin d’exhorter les personnes en situation de handicap à abandonner la mendicité. « Les ONG jouent un rôle important dans la promotion des droits des personnes en situation de handicap. Ce sont les premiers acteurs qui nous ont donné la chance de s’exprimer, revendiquer nos droits et à avoir des aptitudes et même de sortir de l’ignorance », lance le coordonnateur du programme de l’ONG Handicap Solidaire.
L’emploi, un autre combat
Selon les organismes de promotion des droits des personnes en situation de handicap, tous les êtres humains doivent être respectés dans leur dignité. Souleymane Ouédraogo ne dira pas le contraire. Handicapé visuel depuis 1984, il a perdu la vue par suite d’une rougeole. Mais, à force de détermination et d’efforts, il a pu poursuivre ses études. Après quatre années à l’Unité de formation et de recherche en sciences juridiques et politiques de l’Université de Ouagadougou, il en sort nanti d’une maîtrise en droit des affaires.
Après plusieurs tractations, insiste-t-il, il a pu obtenir un emploi au Ministère des droits humains et de la promotion civique en qualité d’attaché en étude et analyse. Bien qu’il éprouve le sentiment d’avoir réussi, M. Ouédraogo déplore le sort de nombreux handicapés qui ne pourront jamais réaliser leurs rêves. « Quand j’ai voulu prendre part au concours de la fonction publique, on m’a fait savoir qu’aucune disposition légale n’est prise pour me permettre de postuler à ces concours. J’ai même fait recours à la presse, aux avocats pour avoir gain de cause, parce que la mesure était arbitraire. Avec le plaidoyer des associations, des ONG, j’ai été intégré dans la fonction publique sur mesures nouvelles », déclare-t-il.
Comme Souleymane Ouédraogo, plusieurs personnes, à cause de leur handicap (visuel, moteur, physique..) n’ont pas encore goûté au fruit de leurs efforts scolaires et universitaires. C’est le cas de Martine Bilgo, titulaire d’une maîtrise en droit public international à l’Université de Ouagadougou. Handicapée visuelle, elle a toujours vu les portes de la fonction publique se refermer devant elle après sa formation complémentaire dans une école de formation des enseignants du primaire de la capitale burkinabè. « J’ai pu m’inscrire dans une école de formation des enseignants du primaire, l’école de formation des enseignants du primaire sise au quartier Tanghin (EFEP). A l’inscription, on m’a demandé de signer un engagement au cas où j’obtenais mon diplôme et que l’état refusait de m’employer, que je ne poursuive pas l’école en justice. Je leur ai dit que ça ne souffrait pas de débat. Ce n’est pas à eux de m’employer, mais de me former et me délivrer un diplôme en bonne et due forme », s’indigne-t-elle.
Pour la rentrée académique 2013-2014, confie-t-elle, l’Etat burkinabè a décidé de recruter 5 000 enseignants. « Au regard des modalités de candidature, je suis exclue. Car on me demande de n’être atteinte d’aucun handicap incompatible avec l’activité pédagogique. J’ai fait un stage pratique d’un an à l’Association burkinabè pour la promotion des aveugles et malvoyants(ABPAM) et suivi avec succès, le stage pratique », explique-t-elle, tout en précisant que son handicap n’est pas incompatible avec la fonction d’enseignante. Toutes les démarches auprès des autorités en charge de l’éducation pour avoir gain de cause, sont restées vaines.
Il faut une application stricte des textes
Pour Mahamadi Nikiéma, membre de l’ABPAM, pour résoudre la problématique de l’emploi des personnes en situation de handicap, au-delà de la volonté politique, une application stricte des textes législatifs et réglementaires s’impose. Mais aussi, le respect de l’article 30 de la loi N°12-2010/AN portant protection et promotion des droits des personnes handicapées qui stipule que : « Toute personne handicapée a droit à un emploi dans le secteur public et privé, si elle possède les compétences nécessaires à l’exercer. Dans ce cas, le handicap ne saurait constituer un motif de discrimination ou de rejet de candidature ». Ce qui permettra, selon M. Nikiéma, d’éviter à des centaines de personnes handicapées, pour la plupart vêtues de haillons, assis dans des fauteuils roulants ou se déplaçant sur des béquilles, de s’adonner à la mendicité. Propos que soutient Ousséni Badini. Même s’il reconnaît que certaines personnes sont vraiment dans l’incapacité de travailler, à cause du degré de leur handicap, il estime que la majorité doit se départir de ce phénomène qui ternit l’image des personnes en situation de handicap. « Les mentalités ont été longtemps entretenues par une vision caritative du handicap. Aussi, on a longtemps considéré que les personnes en situation de handicap comme des gens qu’il faut assister et soutenir financièrement », relève Ousséni Badini. Il poursuit : « Mais l’assistance, on doit pouvoir s’en affranchir. Souvent, on voit des personnes qui n’ont pas un handicap prononcé, qui sont plus ou moins aptes à travailler, mais malheureusement, tombent et persistent dans la mendicité ». Au plan national et international, plusieurs textes législatifs et réglementaires ont été adoptés pour une meilleure inclusion des personnes en situation de handicap dans le processus de développement.
Au plan international, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté en décembre 2006, la Convention relative aux droits des personnes en situation de handicap. Cette convention vise à promouvoir, protéger et assurer à toutes les personnes en situation de handicap la pleine et égale jouissance de tous les droits de l’homme et de toutes les libertés fondamentales. Pour Ousséni Badini, avec la ratification de la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, le 23 juillet 2009 par le Burkina Faso, on note l’émergence d’une volonté politique. A cet effet, plusieurs initiatives ont été développées par les autorités politiques pour faire des engagements pris, une réalité. Il cite, entre autres, l’adoption de la loi n°012-2010/AN du 1er avril 2010 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées, les décrets du 15 février 2012 portant création, attributions, organisation et fonctionnement du Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées (COMUD/Handicap) et son secrétariat permanent. « Le gouvernement, en collaboration avec le ministère de l’action sociale et de la solidarité nationale a pris des mesures pour réintégrer dans la vie sociale tous les citoyens. Le gros challenge qui reste à relever, c’est cette opérationnalisation de toutes ces mesures en faveur des personnes handicapées », insiste le vice-président de la coopérative Tignoung Nonma, Evariste Sorgho. C’est pourquoi, le ministre de l’Action sociale et la solidarité nationale, Alain Zoubga, a fait savoir qu’en marge de la 68e session de l’Assemblée générale des Nations unies qui se tiendra le 23 septembre 2013 à New York, le Burkina Faso défendra le principe du développement inclusif, la dignité humaine. « A New York, nous allons nous battre, autant que faire se peut, pour que la coopération internationale ait une véritable place autour de la défense des intérêts des personnes en situation de handicap », a soutenu M. Zoubga.
Membre du groupe de plaidoyer, Alfred Ouédraogo souhaite, pour sa part, que les textes législatifs et réglementaires votés en faveur des personnes en situation de handicap soient appliqués afin de mettre fin aux barrières sociales, culturelles et environnementales pour leur permettre de s’épanouir.