Le procès du dossier Thomas Sankara et 12 autres compagnons s’est poursuivi, le mercredi 1er décembre 2021, avec l’interrogatoire des témoins, Pr Serge Théophile Balima, Michel Toé, Patrice Nana, Gabriel Tamini.
Chargé de la communication à la présidence du Faso sous le Conseil national de la révolution (CNR), Pr Serge Théophile Balima a été le premier à témoigner à la barre, le mercredi 1er décembre 2021, sur l’affaire de l’assassinat du Président Thomas Sankara et ses 12 compagnons. Le 18e sur les 111 témoins, Pr Balima, 72 ans, a livré sa version des faits. L’enseignant-chercheur en communication, dans sa déposition, a indiqué que le 15 octobre 1987, il s’est rendu à la présidence. « C’est autour de 15h55 que le président Thomas Sankara m’a appelé dans son bureau. J’ai constaté que sa sécurité était presque inexistante. C’est seulement son chauffeur Der Somda qui était présent ». Lorsqu’ils étaient en train d’échanger, le président Sankara a reçu deux appels.
Le premier était celui d’une femme qui disait : « Thomas où es-tu ? Sauve-toi, on va te tuer ». Le deuxième appel, était celui d’un homme et il (Sankara, NDLR) a répondu que « Nous sommes au conseil, nous n’attendons que toi ». « Dès que le président a bougé, j’ai entendu un coup de feu. Quatre minutes après c’était des tirs nourris. J’ai alors compris que quelque chose n’allait pas et j’ai dit à mon collègue qui était avec moi qu’il faut qu’on sorte », a-t-il dit. Quand ils sont parvenus à sortir les mains en l’air, il a vu des militaires positionnés et couverts de poussière. L’ancien chargé de la presse internationale au sein de la communication de la présidence du Faso a précisé que c’est après avoir « jonglé » pour arriver chez lui que, sa femme l’a informé par l’intermédiaire du défunt Arba Diallo que les militaires sont passés à la présidence dans la matinée pour demander aux civils de ne pas venir au service dans l’après-midi. A l’en croire, Thomas Sankara l’avait appelé à son bureau au sujet d’un article paru dans une presse privée à Dakar au Sénégal et intitulé « Thomas Sankara, sur le chemin de Touré ? ». En tant que chargé de la communication, a-t-il souligné, il avait dans son commentaire apprécié, que c’était un article sans objet. Le président l’avait néanmoins instruit de préparer une mission à Dakar pour protester contre la publication.
Les confidences du roi de Tenkodogo
Répondant aux questions du parquet militaire, le témoin a apporté des éclaircissements sur les confidences du roi de Tenkodogo qui prédisait le sort du président Sankara. M. Balima a indiqué qu’il a été reçu, le 3 octobre 1987 par le roi de Tenkodogo qui lui a dit que ses voyants ont prédit l’assassinat du président. Mais grâce aux rituels, le drame qui devait se produire à Tenkodogo a été évité. Mais, selon le chef, le danger était toujours présent. A la barre, Serge Balima a reconnu les valeurs que Sankara incarnait. « C’était un homme que les attributs du pouvoir n’intéressaient pas. Il était honnête, transparent, intransigeant sur le comportement exemplaire ». Michel Toé, 52 ans, commerçant de profession et délégué médical au moment des faits, a suivi M. Balima à la barre. Le témoin, lors de sa déposition, a révélé des confidences que le colonel-major à la retraite, Jean Pierre Palm lui avait faites. « Il m’a dit, tu sais, notre coup a échoué, on n’a pas pu avoir Fidèle Toé ». Jean Pierre Palm a également dit, sous le ton de la confidence, qu’il y avait deux commandos le 15 octobre 1987, s’est-il rappelé.
Le premier était dirigé par Hyacinthe Kafando et le deuxième était dirigé par lui-même et ce, au cas où le premier échouait, a précisé Michel Toé, frère de Fidèle Toé. Au cours de la confrontation, M. Palm a rejeté les déclarations du témoin. « Les Toé ont un problème. Ils pensent que je suis celui qui a arrêté André Ki », a-t-il lancé. Il a expliqué qu’il était affecté à Bobo à cette période et c’est dans le cadre de l’affaire du dossier Sankara qu’il a connu Michel Toé. Le troisième témoin du jour a été l’adjudant-chef major à la retraite, Patrice Nana, 67 ans. Le sergent-chef, au moment des faits a expliqué que le 15 octobre 1987 il s’est rendu au Secrétariat du Conseil national de la révolution pour prendre son ordre de mission parce qu’il devait aller à Bobo. C’est en repartant qu’il a entendu les tirs. « Il y avait des soldats à la porte, j’ai informé que ça tirait puis, j’ai continué mon chemin ». A l’en croire, c’est au secrétariat national des Comités de défense de la révolution (CDR) qu’il apprendra le drame. Il a affirmé avoir pris part à la réunion du 15 octobre 1987 à 9 heures, mais sans être informé à l’avance. « C’est à cette réunion que j’ai su qu’il y avait quelque chose de grave. J’ai demandé à ce qu’on les convoque pour les entendre », a-t-il confié.
Le pasteur Gabriel Tamini
A la suite de Patrice Nana, c’est le journaliste à la retraite, Gabriel Tamini, membre du l’Union communiste burkinabè (UCB), au moment de faits qui a été auditionné. « Le 15 octobre 1987, j’étais à mon domicile quand les tirs ont éclaté », a déclaré le témoin. Pour lui, c’était la tourmente. C’est dans cet état d’esprit qu’il a aperçu un véhicule qui venait à vive allure chez lui autour de 17h 30. C’était le défunt Salif Diallo, a-t-il relaté. A l’entendre, il n’a pas réfléchi deux fois avant de se faire embarquer parce qu’il s’agissait d’une opportunité de prendre la fuite. « Dans le véhicule, je lui ai demandé qu’est-ce qui se passait ? Il m’a répondu qu’il y a eu des tirs au Conseil de l’Entente et que Sankara était mort ». Il a ajouté que c’est Salif Diallo qui l’a conduit au domicile de Blaise Compaoré, où Henri Zongo et Jean Baptiste Lingani étaient présents avec d’autres militaires. « Ils m’ont dit de les accompagner à la radio », a-t-il laissé entendre. Selon le témoin, c’est au moment de la déclaration qu’il s’est rendu compte de la note. Répondant aux questions des avocats de la partie civile, le témoin Gabriel Tamini a relevé qu’il n’est plus communiste. « Je suis devenu un pasteur », a-t-il déclaré. M. Tamini a indiqué qu’il a été copté par Watamou Lamien pour être membre de l’UCB et que par la suite il a été désigné membre du Conseil national de la Révolution.
A ses dires, lorsque les coups de feu ont retenti le 15 octobre 1987, le premier réflexe qu’il a eu était de fuir, car il se sentait en insécurité. Pourquoi Salif Diallo est-il venu vous chercher ? A cette question, le journaliste membre du CNR a fait savoir qu’il pensait à une fuite au regard de la situation. Mais Salif Diallo l’a assuré que c’est Blaise Compaoré qui désirait le voir. A l’en croire, ils sont allés au domicile de Blaise Compaoré où Salif Diallo a échangé avec Blaise Compaoré. « C’est par la suite que j’ai suivi des militaires pour la radio nationale où les communiqués ont été lus par Omar Traoré», a-t-il précisé. A la question de savoir pourquoi le témoin a lu le communiqué du Front populaire alors qu’il était sous le coup d’une suspension depuis septembre 1987 ? Gabriel Tamini a indiqué que les responsables du Front populaire pensaient probablement qu’il pouvait mieux le faire eu égard à son militantisme au sein du CNR. Toutefois, le témoin a dit regretter avoir été le porte-parole, car il y avait des excès de langage dans le communiqué. Au regard des réponses du témoin, les avocats de la partie civile, Me Ambroise Farama et Guy Hervé Kam, ont formulé une requête afin qu’un mandat d’arrêt soit dressé contre M. Tamini conformément aux dispositions de l’article 120 du code de justice militaire.
« Pour nous, les déclarations de M. Tamini sur le lieu où il a trouvé Blaise Compaoré avant d’aller à la radio sont fausses. Tout le monde s’accorde à dire que Blaise Compaoré était au Conseil de l’Entente quelque temps après les évènements où il s’est entretenu avec plusieurs personnes avant de se rendre à la radio », a-t-il justifié. Le parquet militaire de son côté s’est opposé à la requête de la partie civile : « On ne peut pas mettre en accusation quelqu’un qui au départ était mis en accusation et par la suite on estime qu’on ne lui reproche rien. Ce dernier intervient à ce procès en tant que témoin. Il n’est pas possible que l’on veuille encore qu’il passe de témoin à accusé ! ». La Chambre, après avoir suspendu l’audience pour quelques minutes pour analyse, a finalement récusé la requête de la partie civile aux motifs que les déclarations ne paraissaient pas invraisemblables. Une décision à laquelle Me Kam a dit s’en tenir. Cependant il a estimé qu’il y a manifestement des faux témoignages. « Nous avons constaté que certains témoins sont dans cette démarche. Et nous allons à chaque fois le relever », a rassuré l’avocat.