Adama Wade est journaliste, fondateur du groupe de médias Financial Afrik, basé à Dakar au Sénégal et spécialisé sur le traitement de l’information économique et financière sur le continent africain. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, M. Wade évoque les motivations à l’origine de la création de Financial Afrik, les enjeux et les défis des médias africains face aux mutations technologiques. Il appelle la presse africaine à « sortir de sa zone de confort, du corporatisme étroit » pour se réinviter un nouveau modèle économique en phase avec les impératifs du numérique, du marché.
Sidwaya (S) : Pouvez-vous nous présenter votre journal, Financial Afrik ?
Adama Wade (A.W) : Financial Afrik est fondé en 2013 à partir de Casablanca, Nouakchott et Dakar. L’objectif de ce media multi support est d’une part de combler le gap de l’information financière en Afrique. D’autre part, de participer à l’intégration des marchés financiers africains au-delà des barrières linguistiques. C’est dans ce cadre que Kapital Afrik a été lancé en 2018 en tant que version anglaise de Financial Afrik. De même, depuis 2018, nous organisons les Financial Afrik Awards, un événement qui réunit le gotha financier africain autour d’une thématique et différentes activités dont les trophées décernés à ceux qui se seront distingués dans leurs domaines respectifs.
S : Pouvez-vous développer davantage les motivations qui étaitent à l’origine de la création de Financial Afrik, un média spécialisé sur les questions économiques et financières en Afrique ?
A.W : Les motivations sont simples : fournir de l’information financière de qualité à partir de l’Afrique pour combler le gap. L’information est à la base de la vie de l’entreprise, de la formation des prix et du fonctionnement des marchés. Un média qui publie depuis l’Afrique est affranchi du préjugé extérieur de la même manière qu’une agence de notation locale qui noterait un pays en monnaie locale le ferait sans surpondérer le risque de change. Certes, le chemin est long pour que les médias africains arrivent à contrebalancer l’image hypertrophiée d’un continent à risque avec des ressources humaines peu formées. Imaginez quelle image aurait la France dans le monde si l’on ne devait la voir qu’à travers CNN !
S : Financial Afrik a le plus souvent la primaire des informations économiques et financières alors que l’on sait que l’accès à l’information et aux documents publics et privés constitue une contrainte réelle pour les journalistes en Afrique. Quel est votre secret ?
A.W : L’accès à l’information relève de la qualité des réseaux, du professionnalisme et de la confiance des partenaires. La finalité d’un journal n’est pas de produire du scoop mais de générer du sens. Nous sommes des producteurs nets de sens et en cela nous ne devons publier que des informations ayant une utilité sociale. Il arrive que l’arbitrage soit difficile entre publier ou ne pas le faire. Au-delà de toutes les considérations, il faut modestement, sans jamais se prendre pour un juge, un procureur, encore moins un avocat, garder le fil parfois très mince de l’intérêt général et de l’utilité sociale.
C’est vrai, l’information financière est une denrée rare et il faut un certain nombre de critères pour y avoir accès. Mais, nous devons en convenir, de plus en plus d’acteurs financiers sont conscients de l’importance de la communication financière. Au-delà des obligations légales de publication des états financiers, les entreprises cotées en Bourse par exemple essaient de communiquer en permanence sur leurs initiatives. En fait, les acteurs économiques ont compris que c’est l’information qui fait la valeur.
S : Les médias en Afrique sont beaucoup présents sur les sujets politiques. Quel est l’état des lieux du journalisme économique en Afrique ?
A.W : Je paraphraserais l’autre en disant que tout est politique. La finance s’appuie sur la tendance politique qui détermine le risque associé, rehausse ou rabaisse la note du pays, corse ou allège les polices d’assurance, augmente ou diminue les taux d’intérêt, accélère ou décélère le cours du pétrole. Etc. Un coup d’Etat est un événement financier à part entière, vu l’ampleur induite sur la valeur des actifs et les agitations dans les marchés des taux et des actions. Quant au journalisme politique tout court, il a sa place dans des pays africains où les logiques de lutte pour le pouvoir l’emportent encore largement sur les enjeux de développement. Loin derrière le journalisme politique, le journalisme économique fait ses pas se heurtant à un contexte habitué à une logique inversée de l’information servie depuis l’extérieur. Comment n’en serait-il pas le cas si les minerais extraits du sol africain sont cotés à Vancouver et à Sydney et non pas à Ouagadougou ou à Accra. Mais, ce schéma extraverti est en train de s’inverser avec le développement des marchés financiers locaux, des agences de notation, des groupes bancaires africains et la prise de conscience de l’importance de façonner l’image de l’Afrique d’abord à partir de l’Afrique.
S : L’avenir du journalisme en Afrique réside-t-il dans la spécialisation ?
A.W : Le journalisme doit épouser les logiques du marché et sortir de sa zone de confort, du corporatisme étroit car il a perdu son monopole de fournisseur exclusif de l’information. La planche du salut passe par une meilleure prise en compte du marché mondial de la vente de l’information sur internet tout en réinventant un modèle de la presse papier qui ne peut perdurer si le distributeur doit lui prendre jusqu’à 40% du produit des ventes de journaux tout en le facturant les invendus. Nous devons revoir la production et la vente de nos news en lorgnant les marchés développés.
S : La rentabilité des entreprises de presse africaines n’est pas la chose la mieux partagée. Quel est le secret de Financial Afrik qui tient la route depuis sa création ?
A.W : Les médias africains sont confrontés à un environnement d’exercice difficile. Des cadres appropriés devraient les aider à se transformer en entreprises modernes, capables de sécuriser leurs employés et de fournir un produit bancable. Financial Afrik n’a pas de secret et doit à l’instar de tous les médias africains être conscient de la révolution inéluctable post Covid, celle du télétravail et du travail à distance, pour ajuster son modèle économique.
S : L’avènement du numérique, des réseaux sociaux, est venue compliquer davantage la situation de la presse en Afrique notamment privée. Face à ces mutations technologiques, quel modèle économique pour les entreprises médiatiques africaines ?
A.W : Je dirais que les réseaux sociaux constituent un contrepouvoir face aux pouvoirs des médias. Le feed-back immédiat des internautes oblige le journaliste à plus de rigueur, ce qui est louable tant que cela ne se transforme pas en un conditionnement du journaliste par ces réseaux sociaux. La recherche effrénée du clic ne doit pas nous transformer en des vendeurs du sensationnel et des faits divers. Nous devons résister à la tentation de vouloir séduire le lecteur en nous concentrant sur les faits, c’est à dire la raison d’être du journalisme. Cela dit, les réseaux sociaux donnent aux médias la possibilité d’amplifier leur audience et de toucher une catégorie de lectorat jeune et par essence loin des médias.
S : Parlant de mutations dans le domaine médiatique, il est de plus en plus question de datajournalisme. Est-ce un phénomène de mode ou un passage obligé pour les médias africains ?
A.W : Le data journalisme est un genre rendu possible par l’abondance des données, la nécessité de l’analyse et la contrainte d’ergonomie. Le lecteur a besoin de saisir l’info en un clic. Toute la gageure étant pour le média à trouver les bonnes inspirations pour des contenus compétitifs, qui ne consomment pas beaucoup de temps et qui soient simples.