Directeur régional de l’IRSS au Centre-Ouest et chef de l’Unité de recherches cliniques de Nanoro, Pr Halidou Tinto a été déclaré par le « Internationale Achievements Research Center » basé au Canada, meilleur scientifique en sciences de la santé de l’année 2021. Premier Burkinabè à recevoir cette prestigieuse distinction, il nous parle dans cet entretien, des prouesses qui lui ont valu cette reconnaissance internationale parmi d’autres chercheurs du monde. Il s’agit de ses travaux sur le candidat vaccin R21/Matrix-M sur lequel beaucoup d’espoirs sont désormais fondés pour l’élimination du paludisme en Afrique…
Sidwaya (S) : Comment aviez-vous accueilli cette distinction de meilleur scientifique en sciences de la santé et médicale ?
Halidou Tinto (H.T) : Au moment de recevoir ce prix, j’ai une pensée pour ceux qui ont participé à ma formation et qui ont guidé mes premiers pas dans le monde de la recherche. Je pense particulièrement au Pr Tinga Robert Guiguemdé à qui je rends un grand hommage. Car, c’est lui qui m’a pris comme un fils en 1995 et m’a inculqué les valeurs (rigueur et discipline) qui m’ont permis aujourd‘hui d’être le chercheur dont le monde entier parle. Je n’oublie pas également le Pr Jean-Bosco Ouédraogo avec qui j’ai effectué mes premiers apprentissages au laboratoire et sur le terrain dans le domaine de la chimiorésistance et qui, avec le Pr Guiguemdé m’ont beaucoup soutenu dans la construction de l’Unité de recherches cliniques de Nanoro qui fait aujourd’hui la fierté. J’ai accueilli cette distinction avec beaucoup de joie et de fierté pour mon pays. Parce qu’en avril 2021, le nom du Burkina avait rayonné également à la suite des résultats que notre centre à Nanoro et ses partenaires de l’Université d’Oxford avaient publié dans la revue scientifique « Lancet ». Je pense que c’est surtout ce résultat qui a impacté sur le choix de ma personne en tant que premier responsable du centre ayant œuvré à présenter pour la première fois, dans l’histoire de l’humanité, un vaccin qui pouvait protéger jusqu’à 75% sur une année. Je pense que ces résultats et la publication qui en est suivi dans le « Lancet » a beaucoup pesé pour que je sois désigné pour être primé comme lauréat de ce prix. C’est ma personne et notre équipe de recherches qui sont honorées, mais également l’ensemble de la nation parce que c’est le nom du Burkina qui est une fois de plus cité sur le plan international.
Pour ses efforts dans la lutte contre le paludisme, Pr Halidou Tinto a reçu cette attestation de l’« Internationale Achievements Research Center » basé au Canada.
S : Que représente cette récompense pour vous et votre équipe qui travaillent d’arrache-pied depuis plusieurs années pour mettre au point ce vaccin tant recherché contre le paludisme ?
H.T : Cela représente une consécration parce que cela fait plus de 10 ans que nous travaillons dans le domaine de la vaccinologie du paludisme et savoir que ces travaux sont reconnus au-delà de l’Afrique par une institution aussi prestigieuse que l’IARC ne peut que nous stimuler et nous convaincre que nous sommes sur la bonne voie et que les travaux que nous menons ont un impact sur le vécu du monde.
S : Quels sont les travaux qui vous ont valu cette distinction internationale ?
H.T. : C’est l’ensemble de mes travaux durant l’année 2021 qui prend en compte non seulement le vaccin R21/Matrix-M, mais également toute ma capacité à partager les connaissances avec le monde scientifique à travers les publications dans les revues internationales. Pour 2021, je suis déjà à plus de 30 publications alors que nous ne sommes pas encore en décembre. Ces publications permettent aussi aux autres chercheurs d’avoir des informations clés pour booster leurs recherches. C’est le premier élément qu’ils ont pris en compte. Ils ont également pris en compte, ma contribution au renforcement des capacités de la science en Afrique à travers la formation. Depuis la création de Nanoro en 2009 jusqu’à nos jours, j’ai formé en tant que promoteur ou co-promoteur plus de 20 doctorants en PhD. Or, un PHD, c’est 4 ans de formation et c’est le plus haut niveau en matière de formation académique. Cela a quand même un impact très important sur la pérennisation de ce que nous avons bâti durant toutes ces années. Je l’ai toujours dit, nous allons réussir notre développement non pas parce que nous avons du pétrole, de l’or ou du diamant, mais plutôt parce que nous avons pu produire et valoriser des ressources humaines de qualité. Ma contribution dans ce domaine a donc également été prise en compte. En somme, c’est tout ce que j’ai fait durant l’année 2021 dans le domaine de la recherche, la formation des jeunes et du partage des connaissances dans le monde scientifique qui ont prévalu à ma désignation pour ce prix. Pour l’ensemble de ma carrière, je suis à plus de 220 publications. Or, il me reste encore plus de 10 ans pour aller à la retraite et donc j’espère pouvoir atteindre au moins 500 publications d’ici ma retraite. Ainsi, je sentirai que j’ai vraiment impacté sur la science sur le plan mondial et cela me permettra de vivre une retraite paisible.
S : Parlant de publications scientifiques, quel est le domaine de la santé sur lequel ont porté les vôtres ?
H.T. : Depuis des années, je suis spécialiste du paludisme. Mais, ces dernières années, nous avons essayé de faire évoluer notre portfolio de recherches pour aborder d’autres thématiques. Avec tout ce que nous sommes en train de faire comme recherches pour proposer des solutions pour la lutte contre le paludisme, nous pensons que dans quelques années, cette maladie ne sera plus un problème de santé publique majeur pour nos pays. S’il n’est plus un problème de santé publique, cela voudra dire que les autres pathologies fébriles seront certainement d’un grand intérêt. C’est pourquoi, depuis ces cinq dernières années, nos travaux au-delà du paludisme portent également sur d’autres infections fébriles qu’elles soient bactériennes ou virales. Mais, nous diversifions également notre portfolio pour aborder des questions non moins importantes comme les maladies cardio-métaboliques pour comprendre les facteurs génétiques et environnementaux qui régissent la survenue et la gravité de ces maladies à travers une initiative appelée H3Africa soutenue par le National Institutes of Health (NIH) aux Etats Unis. Pour arriver à éliminer les maladies, il faut poser de bons diagnostics. Et dans nos publications, nous sommes en train de travailler pour proposer aux populations de nouveaux outils diagnostics innovants comme alternative aux méthodes de diagnostic actuels qui ont de nombreuses limites. En résumé aujourd’hui, nos travaux vont donc au-delà du paludisme pour aborder d’autres questions très importantes de santé qui couvrent aussi bien les infections bactériennes, les maladies chroniques comme le diabète, l’hypertension…
S : Est-ce que les résultats de ces travaux sont prometteurs ?
H.T. : Les résultats sont prometteurs. Dans le domaine des Tests de diagnostic rapide (TDR) du paludisme par exemple, nous sommes en train de valider en phase 3 un nouveau test comme alternative aux TDR actuels dans nos formations sanitaires. Et nous espérons que ce test sera meilleur que ceux actuellement utilisés et viendront remplacer ces derniers dans quelques années pour le diagnostic du paludisme dans nos formations sanitaires. Nous sommes en train également de travailler sur des tests qui utilisent des méthodes digitales toujours pour le diagnostic dont les résultats peuvent être transmis simplement par le téléphone portable. L’idée ici est de profiter de la bonne couverture des populations en matière de téléphone portable pour utiliser cette plateforme pour des diagnostics dans le domaine des différentes pathologies fébriles.
En attendant, un vaccin contre le paludisme, les populations sont invitées à dormir sous moustiquaire.
S : Avoir un prix international est un gros manteau. Quel sera désormais votre nouveau challenge ?
H.T. : Lorsqu’on vous met à ce niveau, cela veut dire qu’on vous a placé la barre très haut. Il faut soit monter plus haut ou au moins vous maintenir au même niveau. Je le dis toujours aux jeunes, le plus difficile, ce n’est pas de monter (car vous pouvez monter rapidement) mais le plus grand défi c’est de monter plus haut. Si vous ne pouvez pas faire mieux, au moins, il ne faut pas redescendre. Et c’est là, le défi auquel nous allons faire face dans les prochaines années. Cependant je pense qu’avec les nombreux jeunes que je forme actuellement, je suis en train de fournir tout doucement les moyens pour relever ce défi quand j’irai à la retraite. C’est-à-dire que le niveau auquel, on nous a mis pourrait être maintenu et perpétuer par ces jeunes dans l’avenir afin que l’image du Burkina continue de briller. Et je n’ai pas beaucoup de craintes parce qu’ils sont tous très bien formés chacun dans son domaine. J’ai coutume de dire à ceux qui me rendent visite à Nanoro, que j’ai la chance d’avoir autour de moi, des gens qui sont meilleurs que moi. C’est ce qui me permet de me maintenir.
S : Il y’ a quelques mois l’OMS a autorisé le déploiement du vaccin RTSS dont vous êtes l’un des artisans. Comment aviez-vous accueilli cette décision ?
H.T. : Jai accueilli cette nouvelle avec beaucoup de satisfaction. Lorsque vous êtes un chercheur, votre souhait est que les résultats de vos travaux aillent au-delà des laboratoires pour pouvoir améliorer le quotidien des populations. Lorsque vous faites un travail et qu’à la fin cela abouti à un outil utilisé par nos populations de Falagountou, Ouahigouya, Dédougou…et que vous voyez que les enfants qui sont en train d’être vaccinés le sont grâce à votre contribution, car ayant participé au processus de développement de ce vaccin, il n’y a pas meilleure satisfaction que cela. Cependant j’ai constaté à travers les réseaux sociaux que les populations font une confusion entre le RTSS qui a été recommandé par l’OMS et le R21/Matrix-M que nous testons actuellement en phase 3 et qui a démontré une efficacité de 77%.
S : Quelle est cette confusion ?
H.T. : Le vaccin RTSS qui a été recommandé par l’OMS pour un usage à grande échelle est le vaccin de première génération que nous avons testé, il y’a un peu plus de 10 ans. En effet, ce vaccin qui a été synthétisé par la firme pharmaceutique GSK avait fait l’objet d’un essai clinique de phase 3 dans 11 sites répartis dans 7 pays africains, dont le Burkina avec le site de Nanoro. Au bout de cinq ans de travaux qui ont commencé en 2009 pour se terminer en 2013, nous avons pu démontrer que ce vaccin (avec une dose de rappel) protégeait sur une année à 56% et sur 4 ans à 39%. L’OMS en son temps a dit que certes cette efficacité de 39% était modeste, mais du fait que nous ne disposons pas encore de vaccin contre le paludisme, cela pouvait être un bon départ en attendant que les chercheurs continuent de travailler au laboratoire pour proposer un vaccin qui pourrait protéger à 75% à l’horizon 2030. C’est-à-dire un vaccin de 2e génération. C’est ainsi que l’OMS a décidé de déployer ce vaccin en phase-pilote dans trois pays (Ghana, Kenya et Malawi) pour voir si ce vaccin allait reproduire la même efficacité en condition de vie réelle. Cela était nécessaire avant de recommander le déploiement de ce vaccin à large échelle. Car nous avons travaillé dans des conditions idéales où tout était bien contrôlé au cours de l’essai clinique de phase 3 alors que dans la vie quotidienne de notre système de santé et des populations, il sera difficile de reproduire ces mêmes conditions à cause des coupures de courant, des frigos qui tombent en panne. C’est ainsi qu’au cours de cette phase-pilote, le vaccin a été administré à plus de 800 000 enfants qui ont été suivis pendant 4 ans avec le constat que ce vaccin arrivait à réduire les cas de paludisme grave de 30% et qu’il pouvait être administré en même temps que les autres vaccins du Programme élargi de vaccination (PEV) sans un impact négatif sur ces derniers. C’est donc sur cette base que l’OMS a entrepris de recommander l’utilisation de ce vaccin à grande échelle. Car avec 30% d’efficacité on réduit le risque de mortalité dû au paludisme grave d’un tiers quand on sait qu’il y a plus de 400 000 décès par an, dont 60%, concernent les enfants de moins de 5 ans. En résumé, l’OMS a décidé sur la base des résultats de cette phase pilote qu’on aille avec ce vaccin en attendant les résultats de la phase 3 du candidat vaccin de 2e génération (R21/ Matrix-M) qui est actuellement en cours d’essai clinique de phase 3 au Burkina, Mali, Kenya et Tanzanie.
S : A quand les premières doses du RTSS pour les enfants du Burkina ?
H.T. : Pour que ce vaccin soit disponible, il faut investir de l’argent pour la production et la distribution. Car nos populations ne pourront jamais avoir les moyens de s’en procurer dans la mesure où il faut au moins 4 doses qui coûteraient entre 15 et 20 dollars. L’OMS est rentrée en contact avec Gavi (la structure qui gère le déploiement des vaccins) pour définir le mécanisme de financement qui va permettre de mobiliser les ressources financières nécessaires au déploiement de ce vaccin en Afrique qui peut durer encore au moins deux ans, c’est-à-dire à l’horizon 2023.
S : Le gouvernement a déjà manifesté son intérêt pour le vaccin RTSS ?
H.T. : Je ne pense pas qu’un pays peut ne pas être intéressé de réduire la mortalité liée au paludisme d’un tiers pour sa population. Naturellement, le Burkina est preneur. En plus, le vaccin a été testé au Burkina. Ce sera dommage que le Burkina ne puisse pas être parmi les premiers pays à accéder à RTSS. Les 7 pays africains, tel le Burkina, le Ghana, le Gabon, la Mozambique, la Tanzanie, le Kenya et le Malawi qui ont participé à l’essai clinique de phase 3 ayant conduit à la recommandation d’utiliser ce vaccin à grande échelle, ont unanimement demandé (au début de l’essai en 2009) aux bailleurs de fonds et au fabricant du vaccin qui est GSK que si ce vaccin se revelait efficace, nos pays devaient être prioritaires pour y accéder. Nous espérons que cet engagement sera tenu et que ces pays seront les premiers à voir leurs enfants bénéficier de ce vaccin.
S : Le R21 a prouvé son efficacité à 77%. Où en sommes-nous avec la 3e et dernière phase ?
H.T. : Un vaccin devient intéressant lorsqu’il vous protège dans la durée. Avec le vaccin RTSS, nous sommes allés sur 4 ans de suivi et l’intention avec R21 c’est d’aller sur la même durée pour pouvoir dire que l’un est meilleur par rapport à l’autre. Nous venons de commencer la phase 3 de R21 en avril 2021 dans 4 pays (Burkina, Mali, Kenya, Tanzanie) sur 4800 enfants, contrairement à la phase 2 qui avait été conduite uniquement au Burkina Faso et sur seulement 450 enfants. L’objectif de cette phase 3 est d’aller au-delà du Burkina Faso pour voir si dans d’autres pays d’Afrique avec des profils épidémiologiques complètement différents de celui du Burkina, on va reproduire exactement la même efficacité de 77% obtenue en phase 2. Cette phase 3 va durer pendant 2 ans, c’est-à-dire jusqu’à l’horizon 2023 avec la perspective d’aller jusqu’à 4 ans dans le futur. L’idée que nous avons avec cette étude est la suivante : si au bout de 2 ans ou même une année, nous arrivons à démontrer que nous reproduisons la bonne efficacité obtenue en phase 2, nous allons plaider auprès des autorités sanitaires mondiales d’aller très rapidement en s’inspirant de ce qui s’est fait avec la COVID/19 pour demander une autorisation temporaire d’utilisation du vaccin pendant que nous continuons le suivi. Parce que chaque minute de perdue correspond à des enfants qu’on perd et cela à mon avis est inacceptable.
S : Le Burkina prévoit-il d’utiliser ce vaccin avant la fin des travaux d’essais cliniques ?
H.T. : Au Burkina Faso, nous avons déjà contacté le ministère de la Santé pour lui dire que si, au bout d’une année de la phase 3, le vaccin reproduisait la même efficacité que celle observée en phase 2, nous ne devrons plus attendre. Le Burkina peut entreprendre d’initier une phase-pilote d’implémentation du vaccin comme cela a été fait par l’OMS dans les trois pays de sorte qu’on sélectionne des districts sanitaires au Burkina, où ce vaccin sera positionné, administré aux enfants pour voir comment il va se comporter s’il est mis dans notre système de routine de santé. Cela permettra au Burkina de gagner du temps au lieu d’attendre tout le long processus nécessaire à une décision de l’OMS d’utiliser ce vaccin. Le Burkina doit prendre ses responsabilités et avancer et nous encourageons le gouvernement à travailler avec notre équipe et la DPEV dans cette perspective de mise en œuvre d’une phase- pilote dans notre pays à l’horizon 2023.
S : Déjà quels sont les premiers résultats de la 3e phase ?
H.T. : A ce stade, il est difficile de se prononcer parce qu’on vient de commencer il y a juste quelques mois. Il faut attendre au moins un an, probablement en juin 2022 pour voir la tendance en termes d’efficacité, de tolérance et de sécurité d’utilisation du vaccin et dire s’il est promoteur ou pas.
S : Que dire alors à tous les Africains qui fondent l’espoir sur ce vaccin ?
H.T. : C’est de leur dire que nous n’avons pas encore de vaccin parce que ce produit est en phase d’essai clinique. Donc, il faut encore patienter afin que nous fassions la preuve que les résultats en phase 2 qui sont prometteurs sont confirmés sur le plan de l’efficacité, la sécurité avant de crier victoire quant à la mise éventuelle de ce vaccin sur le marché. Il faut donc être patient, car la recherche est un long processus et le plus important est de s’assurer que ce que nous allons proposer à la fin comme produit soit utilisé en toute sécurité.