Enseignant de droit public à l’Université Thomas-Sankara, Dr Aboubacar Sango, analyse l’élection de Alassane Bala Sakandé à la tête du Mouvement du peuple pour le progrès, et les enjeux pour 2025.
Sidwaya (S) : Alassane Bala Sakandé, l’actuel chef du Parlement, a été élu président du Mouvement du peuple pour le progrès. Que pensez-vous de ce changement générationnel ?
Dr Aboubacar Sango (A.S.) : Il faut rendre hommage au président Simon Compaoré. Cela fait une trentaine voire une quarantaine d’années qu’il anime la vie politique nationale. M. Compaoré fait partie des grands stratèges politiques burkinabè. On l’a parfois jugé sur sa façon de communiquer. Il l’a encore démontré lors des dernières élections législatives et présidentielle. De ce point de vue, il connaît bien le terrain politique, les turpitudes. J’espère qu’il écrira ses mémoires.
Lorsqu’on regarde la composition du bureau, il n’y a pas de rupture. Il y a eu un juste milieu entre l’ancienne et la nouvelle génération. Le Président Alassane Bala Sakandé est de la nouvelle génération. Il est encadré d’anciens hommes politiques. Quand on regarde comment les décisions sont prises dans les partis d’obédience gauchiste, il sera obligé de toujours trouver le juste milieu.
C’est bien que la jeunesse actuelle du MPP ait pris la relève de Simon Compaoré. En plus de cela, il y a d’autres jeunes qui ont fait leur entrée dans le parti notamment l’actuel président du CSC, Mathias Tankoano, le ministre Stanislas Ouaro qui devient 4e vice-président. Le parti a trouvé la formule pour qu’il n’y ait pas une rupture générationnelle.
S : Président de l’Assemblée et du MPP. Que fera Alassane Bala Sakandé de sa victoire ?
A.S. : Ce n’est pas nouveau que le président du parti soit président de l’Assemblée nationale. La preuve, Roch Marc Christian Kaboré a été président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et chef du Parlement. De façon générale au Burkina Faso, l’on peut cumuler les deux fonctions. Le dynamisme de Bala Sakandé dépendra de la façon dont il va faire le jeu du consensus à l’Assemblée nationale.
Au parlement, l’on aura le Chef de file de l’Opposition politique, le CDP qui sera en face du chef de parti au pouvoir, le MPP. Le président du MPP devient Chef de la majorité et Président de l’Assemblée nationale alors que le gouvernement est responsable devant celle-ci. Compte tenu de son dynamisme et de sa fougue, l’on peut aussi craindre qu’il continue de marcher sur les compétences du gouvernement. L’on peut également redouter des chocs de leadership. Bien attendu, ce sont des personnalités qui ont l’expérience de la gestion du pouvoir. Le succès de ce nouveau bureau dépendra de la manière dont chacun fera profil bas. C’est un attelage qui peut réussir.
Mais le succès dépendra surtout de la personnalité du Président de l’Assemblée nationale. Lorsque Roch Marc Christian Kaboré était Président de l’Assemblée nationale, il n’y avait pas eu de choc avec le gouvernement, car il était une personnalité consensuelle alors que le président Bala Sakandé est une personnalité clivante. Sans être président du parti, il gênait déjà suffisamment l’Exécutif. Peut-être que cette double casquette va l’amener à recentrer l’Assemblée nationale autour de ses missions classiques.
L’enjeu pour lui, ce sont les élections de 2025. Aura-t-il suffisamment le temps pour gérer l’Assemblée nationale. Gérera-t-il le parti au détriment du Parlement. Attendons de voir ! Quand l’on aspire à gérer le pouvoir d’Etat, l’on fait tout pour avoir le comportement qui peut nous amener à concilier différentes positions. De toute façon, M. Sakandé a toujours gérer l’Assemblée nationale de façon consensuelle même s’il a eu souvent des positions critiques envers le gouvernement qui choquaient des analystes. Va-t-il continuer dans cette dynamique ? L’avenir nous le dira.
S : C’est un activiste qui remplace un autre. Bala Sakandé pourra-t-il concilier la fougue de sa jeunesse aux desiderata de la vieille garde de son parti ?
A.S. : Il n’a pas le choix. En prenant la tête du MPP, Alassane Bala Sakandé affiche son ambition d’être président du Faso. De ce point de vue, il aura besoin de la vieille garde pour se faire élire. Après Salifou Diallo, Simon Compaoré est l’un des plus grands stratèges politiques du Burkina Faso. Le président Sakandé est obligé de contenter cette vieille garde et de ne pas la jeter dans la poubelle de l’histoire.
Il doit impliquer cette ancienne génération pour gagner les élections de 2025. Par ailleurs, il doit se mettre aujourd’hui dans la peau d’un homme d’Etat afin de se préparer pour être président du Faso. Il sera tellement confronté à des questions complexes que le militantisme seul ne suffira pas pour faire de lui un bon président ou un président.