Ils sont parmi nous. Souvent écrasés par nos regards méprisants. Abandonnés à eux-mêmes, ils sont parfois obligés de faire le tour des poubelles pour chercher à manger. Pourtant, il suffit d’un peu d’attention et de prise en charge conséquente pour que ces ’’rejetés’’ de notre société retrouvent leur dignité. Dans les provinces du Passoré et du Yatenga, des structures font de la réinsertion sociale et économique, leur cheval de bataille.
En cette journée du vendredi 7 mai 2021, alors que le soleil est au zénith dans la cité de Naaba Kaongo, de gros ’’nuages’’ de poussière couvraient la rue 2.12 située entre l’ancienne cathédrale et la direction régionale de la police de la ville. Le bruit des bulldozers se mêle aux vrombissements des moteurs d’engins lourds. Tout laisse à croire que d’ici quelques mois, cette poussière fera place au bitume. Le garage de Zakaria Ouédraogo qui longe cette rue ne désemplit pas. Cependant un fait marquant retient l’attention. A droite de l’entrée principale, un dispositif composé de fût, de machine à laver et de seaux d’eau, font office de centre de lavage d’engins. Son propriétaire, Boukaré Ouédraogo. Un ’’récupéré’’ de l’association ’’Sauvons le reste’’ Assis sur un banc à l’entrée avec les employés de son grand frère Zakaria, cet ’’ex-malade’’ discute et rit sans complexe. Notre arrivée semble le ravir. Comment se passe le travail, lui demande-t-on ? A cause de l’aménagement de la voie, il n’y a pas de client, nous répond-t-il après une salutation très amicale. Souriant et accueillant, rien ne laisse transparaître les traces de son passé douloureux. «Quand sa maladie a commencé en 1993, il était à Bobo-Dioulasso comme mécanicien. Il a commencé par aller dans la rue et à vouloir arrêter les passants. C’est ainsi qu’il a été envoyé en psychiatrie où il a suivi des traitements pendant des mois. De retour à Ouahigouya, il a fait un mois sans pouvoir se lever. Il était violent avec les gens de la cour. Et comme je ne suis pas à la maison pour prendre soin de lui, afin d’éviter qu’il n’agresse les gens, j’étais obligé de l’enchaîner », relate son grand frère. Recueilli par l’association ’’Sauvons le reste’’ depuis 2012, Boukaré Ouédraogo affirme avoir recouvert la santé. « Depuis que je suis le traitement, je n’ai plus de problèmes. Lorsque je suis en discussion avec des gens et je constate que la discussion risque de me mettre hors de moi, je quitte le groupe», admet Boukaré. Tout comme le grand frère de Boukaré Ouédraogo, c’est presque les larmes aux yeux que Fatimata Ouédraogo, mère de Alassane Ouédraogo, résidant au secteur 5 de la cité de Naaba Kaongo, nous expose sa souffrance face à l’état de santé de son fils. Elle se rappelle, dans quelle condition celui-ci a été « rapatrié » également de la ville de Bobo-Dioulasso où il travaillait comme employé de commerce.
« Le jour où il est venu, je ne l’ai pas reconnu. Il faut être une mère pour comprendre la douleur que j’ai ressentie de savoir que c’est mon fils tant chéri qui est devenu méconnaissable, indésirable et agressif ; cela m’a fendu le cœur », nous dit-elle d’une voix tremblante, le regard détourné pour ne pas laisser transparaître sa peine. Suivi par un psychiatre grâce également à l’association ’’Sauvons le reste’’, Alassane Ouédraogo s’est rappelé son passé d’employé de commerce et donne aujourd’hui un coup de main à un commençant au grand marché de Ouahigouya.
« Le matin quand il vient, il m’aide à faire sortir mes articles et à les faire rentrer le soir. A la fin de la journée, je lui donne souvent 200 ou 300 FCFA», déclare Ousmane Ouédraogo son ’’patron’’. Rentré de marché, des sandales flambants neuves à la main, Alassane rassure que la prise en charge lui a permis de recouvrer la santé et de vaquer à ses occupations.
Un jour noir
Dans la commune de Yako, plus précisément au secteur 5, c’est Antoine Yelkouni qui nous accueille. Ancien employé à l’ambassade d’Italie au Burkina pendant vingt-sept ans, il voit sa vie basculer un jour de fête. «Comme à l’accoutumée, je suis allé rendre visite à un ami. Il m’a proposé une nouvelle liqueur qu’il venait d’acheter. Après avoir bu, j’ai commencé à avoir des maux de tête. Arrivé à la maison, mon état s’est aggravé et sans m’en rendre compte, j’ai rassemblé tous mes habits et je les ai mis dans les toilettes », explique M. Yelkouni. Son malaise qui semblait être banale, a conduit Antoine Yelkouni chez le psychiatre pour une prise en charge. Après cinq mois de traitement, mon état s’est amélioré et j’ai même repris le service, soutient Yelkouni. Mais, «sept ans après, j’ai été remercié sans aucun motif », confesse-t-il. Séparé de sa femme et de ses enfants à cause de son état de santé et la perte de son emploi, Antoine Yelkouni est retourné à la terre où il s’adonne à l’agriculture. «Quand il arrive au champ, il n’a pas le temps pour manger, quelques fruits lui suffisent et il poursuit son travail jusqu’au soir», avoue Eveline Yelkouni, sa tante.
Pougyédé Baga (nom d’emprunt) est une enseignante d’école dans la commune de Yako. Agée de 32 ans, elle a connu une dépression après son accouchement. Dans son récit, elle dit avoir connu une grossesse très difficile. A l’accouchement, l’enfant est mort, déplore-t-elle. Et c’est ainsi que mes problèmes ont commencé. « Avec mon conjoint, chaque jour, c’était des disputes. A l’école, je n’arrivais plus à dispenser les cours normalement. Un jour, j’ai fini par craquer. Dans ma tête, j’entendais des voix et le moindre bruit, me tapait sur les nerfs », avoue Mme Baga. Prise en charge en service de psychiatrie au centre hospitalier de Yako pendant six mois, la jeune enseignante, qui n’a qu’un an de service, a rejoint les rangs. Elle salue aujourd’hui le travail de l’Association d’aide aux malades mentaux de Yako à travers son président, Nicolas Sawadogo. « Au début, j’avais refusé mon mal. Je n’ai pas voulu admettre que je suis dépressive. Il a fallu la ténacité du président Sawadogo pour que je prenne conscience de ma situation et que j’accepte de me faire suivre par un psychiatre », confesse-t-elle. Des exemples de réinsertion parmi tant d’autres car M. Sawadogo révèle que plusieurs cas lui sont passés sous la main. « Je ne peux pas vous dire avec exactitude combien de cas je me suis occupés mais, ils sont nombreux. Et je me suis toujours rassuré que ceux qui semblent être guéris, puissent regagner leur famille »,
avoue-t-il.
L’insécurité, un facteur aggravant
Selon le président de l’Association « Sauvons le reste », Adama Ouédraogo, depuis la création de sa structure en 2000, ce sont plus de 180 malades que sa structure a redonné de l’espoir grâce au programme de réinsertion mis en place. Un programme qui consiste dans un premier temps à envoyer le malade au centre, à rechercher la famille de ce dernier, à chercher les causes réelles de sa dépression et enfin à faire un sondage dans la famille afin de savoir si ce dernier sera accepté, une fois la santé recouverte. Nicolas Sawadogo, de l’Association d’aide aux malades mentaux, pense que l’affection est la meilleure thérapie à ce problème. Pour se rapprocher d’eux, le système de cantine est le moyen que cet octogénaire a mis en place. « A Yako, je sais où chaque malade est couché car chaque vendredi et cela depuis des années, je prépare pour eux. Parfois, je peux venir les trouver chez moi parce qu’ils n’ont pas mangé. C’est pourquoi, je pense qu’avec plus d’attention dans les familles, ce problème peut être résolu », suggère M. Sawadogo.
Selon l’attaché en santé mentale au service de psychiatrie de Ouahigouya, Issaka Sawadogo, une personne atteinte de maladie mentale peut être stabilisée. « La
maladie a plusieurs formes. Si on n’ y prend pas garde, la personne peut rechuter à tout moment », précise-t-il. Pour lui, la situation sécuritaire du moment est venue augmenter les cas. « Actuellement, avec l’insécurité, on trouve ces genres de cas au sein de la population déplacée mais aussi dans les rangs des forces de défense et de sécurité », remarque M. Sawadogo. Pour réussir efficacement le traitement, un suivi rigoureux est instauré au service de psychiatrie de Ouahigouya. Ainsi, pour ce qui est des malades qui passent par les centres de transit comme celui l’Association ’’Sauvons le reste’’, avec qui nous avons une convention, ce sont les lundis que nous recevons leurs malades, lâche M. Sawadogo.
Une prise en charge complexe
Les mardis et jeudis sont consacrés aux autres malades et le lundi aux malades des centres de transit qui n’ont pas été reçus, avance le chargé de suivi des malades, Issaka Sawadogo. Il clarifie également que des rendez-vous de suivis mensuels et de deux semaines sont prévus pour les pensionnaires des centres qui sont dans leur famille. Il déplore cependant le coût des traitements qui ne sont pas à la portée de ces ’’cas sociaux’’. «Certains produits sont sous la forme générique mais d’autres, non. Et lorsqu’on connaît déjà la situation de ces personnes, débourser 15 000 F CFA par mois pour se traiter paraît cher », clame M. Sawadogo. Mais dans leurs activités, certains s’en sortent sans problème. C’est le cas de Boukaré Ouédraogo qui affirme que son activité de laveur d’engins lui permet de se prendre en charge.
« C’est l’aménagement de la voie qui a ralenti mon activité, sinon chaque mois, je fais mes injections et paie mes produits moi-même », appuie Boukaré qui espère pouvoir un jour fonder un foyer. Antoine Yelkouni ne reçoit plus de soins, mais sans pension depuis dix-neuf ans, il vit au dépend de ses frères et espère un jour retrouver sa famille. Quant à Alassane Ouédraogo, son activité ne nourrit pas son homme.
Il est toujours sous l’aide maternelle pour sa prise en charge et ne désespère pas. «J’ai espoir qu’un jour, je pourrai voler de mes propres ailes et ne plus dépendre de ma mère», souhaite-t-il. Mais cette thérapie serait vaine sans l’accompagnement des proches. Selon Eveline Yelkouni, dans les moments d’égarement, son frère adopte un certain comportement dont ils sont obligés de supporter. Elle déballe que parfois, il revient ivre. Et même s’il n’est pas violent, il se met en colère au moindre reproche.
« Souvent aussi, il reste dans sa chambre toute la journée », se remémore-t-elle. Zakaria Ouédraogo, lui, pense qu’il faut de la patience pour permettre à la personne de prendre conscience de sa situation. « Tout le long de son traitement, je demande aux autres membres de la famille de ne pas considérer ces moindres faits et gestes afin qu’il comprenne que nous sommes avec lui dans cette cure », foi de M. Ouédraogo. Pour Fatimata Ouédraogo, sans la compréhension de son entourage la situation de son fils n’aurait pas connu d’amélioration. «Nous sommes dans une grande famille et chacun a sa façon de voir les choses. Mais pour le cas de mon fils, chaque membre de la famille a joué sa partition », dit-elle.
Selon Ben Harper, aujourd’hui, l’optimisme est une nécessité pour préserver sa santé mentale. «Nous devons faire en sorte que chaque personne dans ses moments de détresse reste optimiste quant à un lendemain meilleur », conseille-t-il.