Cadre de la majorité présidentielle, Me Bénéwendé Stanislas Sankara a quitté l’Assemblée nationale, depuis peu, pour rejoindre le gouvernement Dabiré II, au sein duquel il occupe le portefeuille de ministre de l’Habitat, de l’Urbanisme et de la Ville. Cet homme politique averti et avocat réputé était la tête d’affiche de notre rubrique « l’invité de la rédaction », le mardi 20 avril 2021. Durant deux heures d’horloge, il a évoqué, entre autres, ses ambitions à la tête du département et des questions d’actualité, tels le dossier Thomas Sankara et la réconciliation nationale. Sans détour !
Sidwaya (S) : Vous avez été l’un des farouches opposants au président Blaise Compaoré. L’on s’attendait à ce que le peuple vous témoigne sa gratitude à la présidentielle de 2015. Mais cela n’a pas été le cas. Comment expliquez-vous cette déconvenue ?
Bénéwendé Stanislas Sankara (B.S.S.) : Je n’ai pas du tout connu de déconvenue. En politique, il n’y a pas de gratitude. Le peuple ne cherche qu’un messie pour le sauver et le conduire à bon port. L’insurrection populaire inédite que nous avons connue a été le fruit d’une longue maturation qui, en réalité, est tributaire de notre histoire commune. Depuis que nos aïeuls se sont battus pour créer la Haute-Volta, c’est une longue marche dont l’épilogue s’est transformé en une insurrection qualifiée de sankariste. Parce que cette insurrection est arrivée à un moment où notre peuple, dans toutes ses composantes, s’identifiait au président Thomas Sankara. Etant le président d’un parti sankariste, l’UNIR/PS, nous avons été aux avant-postes de ce combat pour la réhabilitation judiciaire, politique et l’image du président Sankara. Après l’insurrection, la convention sankariste m’a porté comme candidat des sankaristes aux élections. Une chose est de se présenter à des élections, une autre est de pouvoir les gagner. Nous sommes allés avec des fortunes diverses mais aussi avec un handicap qui était celui des contradictions internes au mouvement sankariste dans son ensemble. Il y a aussi ce facteur qui était que plus de 30 ans après la Révolution démocratique et populaire, est-ce qu’aujourd’hui, les populations souhaitent vivre la gouvernance révolutionnaire ou une gouvernance qui s’inscrit dans les mécanismes de l’Etat de droit tels que la Constitution de la IVe République l’a imaginé ? Avec ces deux facteurs, il est aisé de comprendre que de nos jours, les paradigmes politiques ont évolué.
S : Peut-on ajouter un 3e facteur qui est le fait que vous n’ayez pas délié le cordon de la bourse ?
B.S.S. : (Rires) Si j’en avais, j’allais le faire parce que j’y mets déjà mon cœur, mon âme, mon corps. J’ai tout mis pour défendre mes convictions, mais parler de cordon de la bourse, je n’en avais pas en dehors de ce qu’on avait utilisé pour la campagne. Or, aujourd’hui, une campagne bourgeoise demande beaucoup de moyens financiers. On ne peut plus aller à une campagne politique si vous n’avez pas d’argent. C’est un handicap que je minimise au regard de l’engagement de nos militants et des sacrifices que nous déployons pour la conquête du pouvoir d’Etat. Mais force est de constater que l’engagement politique ne suffit pas tant que vous n’avez pas les moyens financiers et logistiques pour battre campagne, d’où la corruption électorale qui reste têtue.
S : Est-ce ce manque de moyens qui a fait qu’en 2015, vous avez finalement rejoint la majorité ?
B.S.S. : Non ! Pas du tout. En 2015, nous étions 14 candidats. Après la proclamation des résultats, le chef de file de l’opposition de l’époque, Zéphirin Dabiré, a été le premier à féliciter le président nouvellement élu, Roch Marc Christian Kaboré. Nous l’avons suivi. Mais après la proclamation des résultats, notamment ceux des élections législatives, le score du MPP ne lui permettait pas d’avoir une majorité qualifiée à l’Assemblée nationale pour avoir les coudées franches et soutenir l’action du président nouvellement élu.
La première personne qui nous a approché pour dire qu’il fallait qu’on travaille en tandem, c’était feu Salifou Diallo. Il m’a rencontré à mon domicile et m’a tenu à peu près ce langage : « nous avons tous été dans la rue. Nous avons milité sur le terrain ensemble. Nous avons fait fuir le président Compaoré. Le MPP a pris le pouvoir d’Etat. Nous avons eu de très bons rapports dans le cadre du CFOP. Mais nous avons été aux élections de façon séparée. Vu cette situation, il faut que les camarades de l’UNIR/PS acceptent de soutenir le MPP ». Je lui ai dit pourquoi pas, ce d’autant plus que le MPP est de la social-démocratie et il faudrait que nous travaillions à un ancrage politique et idéologique suffisant, dans la gestion du pouvoir d’Etat pour soutenir l’action du chef de l’Etat. Sur-le- champ, je lui ai dit que dans les partis politiques, ce ne sont pas les présidents seuls qui décident et que nous allions mûrir plus tard cette proposition dans les instances du parti.
C’est ainsi que nous avons rencontré la direction du MPP dont le président était Roch Marc Christian Kaboré. Nous avons eu des échanges et nous nous sommes embarqués, pas sous forme d’allégeance, mais d’alliance qui devrait se faire sur la base d’un accord politique écrit.
S : Aviez-vous posé des conditions particulières ?
B.S.S. : La seule condition particulière était que le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, puisse mener à bien son mandat et le réussir avec brio au grand bonheur des Burkinabè. Ce, en tenant compte de la vision de l’UNIR/PS qui était qu’il fallait une gouvernance vertueuse, mettre l’accent sur le capital humain durable en travaillant à la reconversion des mentalités afin que le Burkina Faso puisse enfin, après l’insurrection où on disait que plus rien ne sera comme avant, décoller en s’attaquant aux différents maux qui minent notre société pour avoir une bonne croissance, c’est-à-dire un développement harmonieux.
S : Six ans après, peut-on dire qu’il y a une gouvernance vertueuse ?B.S.S. : Si vous vous référez aux conclusions de notre dernier congrès, nous avons justement fait un réquisitoire pour dire que la gouvernance était toujours à la traine. Nous avons posé ce diagnostic et demandé qu’il y ait une rupture dans la gouvernance.
S : Cette rupture s’est-elle opérée ?
B.S.S. : La rupture ne s’est pas encore opérée au regard de tous les signaux que nous avons. Mais avec le deuxième mandat, il y a des signaux suffisamment forts qui annoncent cette volonté au plus haut sommet de l’Etat de créer les conditions de la rupture.
S : En 2015, vous avez rejoint la majorité. Certains de vos camarades politiques vous ont traité de tous les noms. Aujourd’hui, beaucoup d’entre eux sont avec vous. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
B.S.S. : L’histoire m’a donné raison. C’est tout.
S : L’UPC vous a rejoint à la majorité. N’y a-t-il pas de risque qu’elle vous fasse ombrage ?
B.S.S. : Non ! Le risque palpable, c’est plutôt la centaine de partis politiques, toutes obédiences confondues, que compte la majorité alors qu’on ne peut pas gérer un pouvoir d’Etat dans tous les sens. Il faut forcément une orientation politique et même idéologique pour gouverner. Je rappelle que le MPP est un parti de gauche qui défend la social-démocratie. L’UPC, je l’ai connue sous la bannière du libéralisme, même si aujourd’hui le président Zéphirin Diabré semble avoir évolué vers le social-libéralisme. Il revient certainement au parti leader qui est le MPP de pouvoir travailler à mettre en cohérence ces 100 partis derrière le programme du chef de l’Etat qui reste un programme très ouvert mais qui s’oriente beaucoup plus à gauche avec l’idée de bâtir ensemble un Burkina Faso de démocratie véritable, donc de développement surtout endogène. Cette arrivée massive de partis politiques pour soutenir le chef de l’Etat n’est pas mauvaise, mais ce qui serait mauvais c’est de ne pas avoir l’intelligence de mettre tout le monde sur l’axe d’orientation affichée par le MPP et son candidat, parce qu’il a été élu sur la base d’un projet de société, d’un programme de gouvernement.
S : Parlant de l’UPC, selon vous, un parti peut-il changer d’idéologie au gré des circonstances ?
B.S.S. : Je voudrais vous dire que le RDA au bord du Djoliba était communiste. Aujourd’hui, il est le leader des partis libéraux. A vous de juger.
S : Vous êtes à la tête d’un département qui s’occupe du foncier. C’est un domaine assez complexe dans notre pays avec l’accaparement des terres par les sociétés immobilières notamment. Quel remède détenez-vous pour assainir le domaine foncier ?
B.S.S. : Si je vous dis que j’ai un remède tout fait, c’est vous mentir. Mon honneur et ma dignité m’imposent de dire la vérité. D’abord, je n’ai pas fait « j’ai l’honneur » pour être à la tête du département en charge de l’habitat. N’oubliez pas que je suis avocat de formation et j’aime très bien ce métier qui me permet aussi de gagner ma vie. Il a plu au chef de l’Etat et au Premier ministre de m’appeler à la tête de ce département pour me confier une mission. Comme un soldat, quand on vous confie une mission, quel que soit le péril, vous partez. Le jour où on m’a notifié que je devais prendre ce département, (je fais la confidence), je suis rentré triste chez moi. Mon épouse m’a demandé : « mais qu’est-ce qui s’est passé ? ». Parce qu’elle savait que je partais à Kosyam. J’ai simplement dit qu’on m’a confié le département de l’urbanisme, de l’habitat et de la ville. Elle s’est écriée. Quoi, les non-lotis là ? J’ai répondu oui ! Elle me demande : « qu’est-ce que tu as dit ? J’espère que tu as refusé ! » (Rires)! Je lui ai dit que je suis désolé mais j’ai accepté.
J’ai eu la chance d’avoir des prédécesseurs qui m’ont tout de suite rassuré de leur soutien. Le ministre Maurice Bonanet a passé son temps à m’expliquer les problèmes du département. J’ai eu l’occasion de rencontrer d’autres prédécesseurs dont les ministres Yacouba Barry, Joseph Kaboré, père du Grand Ouaga, Vincent Dabilgou, René Bagoro, etc. Il faut retenir que je ne suis ni urbaniste ni architecte à la tête d’un département où on ne parle que de ciment et de calculs. J’ai compris tout de suite que mon rôle, en tant qu’acteur politique et juriste, c’est essentiellement des résultats et rien que des résultats. Conformément à ma lettre de mission, c’est procéder à des réformes profondes dans le secteur. C’est pourquoi dès le 9 février 2021, nous avons pris une circulaire pour arrêter le traitement des dossiers liés à la promotion immobilière, conformément à la déclaration de politique générale du Premier ministre qui disait en en substance qu’il fallait prendre des mesures idoines, urgentes pour arrêter les dérives que l’on constate dans le secteur du foncier. L’Assemblée nationale avait fait trois enquêtes de taille. Une a été réalisée sur le foncier et a révélé un passif énorme. Une autre sur les maîtrises d’ouvrage déléguées dont il est ressorti qu’il y a des immeubles construits souvent sans poteaux, des ouvrages publics dont les toitures, dès les premiers vents, s’envolent. La troisième enquête a concerné les promoteurs immobiliers. Ces trois documents de la représentation nationale tirent sur la sonnette d’alarme sans compter les autres acteurs qui, aujourd’hui, parlent de bombe sociale, voire de criminalité foncière, selon Dr Rassablga Ouédraogo. Mais, c’est une mission que j’ai acceptée avec cette confiance qui est que cette bombe, on peut la désamorcer. Pour moi, le remède est simple, il faut avoir le courage et la volonté politique de reculer. Il faut faire marche arrière.
S : Est-ce possible ?
B.S.S. : C’est possible ! C’est à ce niveau que nous tous allons désamorcer cette bombe, corriger, rectifier le tir et avoir un nouveau départ. Aujourd’hui, on ne sait même plus qui est propriétaire de la terre au Burkina. Je ne cherche pas les solutions sur la lune. Je regarde autour de nous comment les gens vivent. Nos aïeux qui ont versé leur sang nous ont dotés d’un territoire qui est maintenant matérialisé. On nous a légué le Burkina Faso qui n’est pas extensible. Mais la population s’accroît. Nous avons 20 millions d’habitants à l’interne et 10 millions à l’extérieur. Il faut gérer cette superficie et la léguer pour la postérité. C’est le rôle des politiciens.
L’accaparement de superficies, c’est une triste réalité ! Des domaines publics ont été engloutis, des terrains de l’armée burkinabè parcellés et revendus. Le ministre en charge de l’administration territoriale, Clément Sawadogo, a parlé de mouton de Tabaski qu’on dépèce. C’est une triste réalité !
Nous sommes en train de faire le bilan. Le premier remède, de mon point de vue, c’est de prendre les mesures d’urgence suggérées par le chef du gouvernement. Nous venons de mettre en place un comité interministériel composé de représentants de huit départements concernés par le foncier. Il faut arriver d’abord à arrêter le processus qui est en cours et qui favorise l’accaparement des terres. Il faut clarifier également les activités des promoteurs immobiliers et celles de ceux qui veulent faire du foncier. Cela a été une source de dérives en permettant que l’on fasse de la promotion immobilière et/ou foncière. Il faut arrêter cela à travers une révision à minima de la loi en attendant les réformes en profondeur.
S : Vu les enjeux, on se trouverait comme dans une situation de cancer en phase terminale. Est-ce qu’on peut changer la donne en matière de politique foncière ?
B.S.S. : Vous savez que je ne suis pas chirurgien ! Mais si vous ne savez pas faire de la chimio pour traiter le cancer, il faut couper l’organe atteint. Mais ici, la situation n’est pas encore cancérigène. Je suis très optimiste. Je veux rassurer les Burkinabè. C’est vrai, il y a eu des dérives des plus monstrueuses. Le département de l’urbanisme, de l’habitat et de la ville ne représente même pas 1% du budget. C’est le ministère qui fait le plus de profit en termes de milliards de francs CFA par ricochet. Aujourd’hui, les milliardaires, ceux qui s’enrichissent, c’est sur l’exploitation de la terre. Faites les statistiques, vous allez voir que c’est le domaine le plus porteur. C’est pourquoi tout le monde y accourt et on demande l’accompagnement de l’Etat qui développe des politiques en matière d’aménagement, de viabilisation d’infrastructures, de promotion immobilière. Quand je rencontre les promoteurs immobiliers, je leur dis : on ne crée pas une société pour faire du social, des affaires. Vous n’êtes pas là parce que vous aimez les populations. Vous aimez l’argent. Vous voulez faire du profit. Soyons clairs ! Quand on crée une société, on va en banque, on s’endette, on demande à l’Etat des superficies pour lotir ou pour construire, c’est pour avoir, in fine, un profit. Mais, vous, vous vous enrichissez dans le social. Et c’est en ce moment que l’Etat commence à s’intéresser à vous parce que le social, c’est l’Etat qui doit travailler à ce que les populations pauvres puissent profiter de vos investissements. Tous les jours, je reçois des investisseurs dans le cadre du projet 40 000 logements. Il y en a qui viennent pour dire : nous avons tant de milliards, on va faire tant de villas pour vous. On va faire ci, on va faire ça. A terme, c’est le bénéficiaire qui doit gagner. C’est-à-dire, celui qui a besoin d’un toit et la politique du président Roch Marc Christian Kaboré en matière de logement, c’est « l’accès au logement décent pour tous ». C’est ça l’objectif. Pour revenir à votre préoccupation, je précise que quand un problème est posé, je ne l’appelle plus problème car il y a toujours une solution. Et c’est ce que nous sommes en train de faire. On a déjà, à travers les enquêtes et les leaders d’opinion, mis le doigt sur le problème. C’est pourquoi je disais qu’il faut reculer parce qu’on s’est trompé de route.
S : Quand vous parlez de faire marche arrière, vous faites allusion à quoi exactement ?
B.S.S. : Par exemple, il faut que, comme on l’avait dit dans la Réforme agraire et foncière (RAF), la terre revienne à l’Etat. Point barre !
S : Vous avez parlé de la mise en place d’un comité interministériel. Qu’est-ce que ce comité apportera de plus par rapport à la commission d’enquête parlementaire ?
B.S.S. : Ce n’est pas le même but. Le travail parlementaire, c’est le diagnostic. N’oubliez pas que j’ai fait 20 ans de travail parlementaire. Donc, les députés dans leurs prérogatives contrôlent l’action gouvernementale. Ils nous envoient les recommandations. Nous, nous les approprions pour les internaliser dans notre feuille de route. Si vous vous souvenez, j’ai rencontré le président de l’Assemblée nationale dans ce sens. Le comité que nous venons de mettre en place a pour lettre de mission de proposer des actions
urgentes et fortes pour qu’on puisse maintenant travailler à répondre aux préoccupations de l’Assemblée.
Par exemple, apurer le passif.
Aujourd’hui, on a un problème de contrôle du bâti. Tout dernièrement, nous sommes allés arrêter la construction d’un immeuble qui ne respecte pas les cahiers des charges. Présentement, nous sommes dans la zone de l’aéroport de Donsin pour faire le bilan de l’accaparement des superficies qui compromettent même cet aéroport. Et il y en a un peu partout. Il y a bien sûr, ce que vous nous livrez tous les jours comme conflits.
Le HCRUN a recensé 1 700 conflits fonciers. Donc le comité, en 21 jours, doit proposer des mesures fortes à prendre ici et maintenant et en fonction de cela, nous irons d’abord en Conseil des ministres et prendre les décisions qui seront portées à votre connaissance.
S : Est-ce qu’on a besoin de mesures profondes ou urgentes ?
B.S.S. : On a besoin d’abord de mesures urgentes pour arrêter le massacre. Je vous donne l’exemple de ce que les promoteurs immobiliers ont dit à la conférence de presse à la suite de ma lettre circulaire. Ils ont dit que la lettre circulaire ne les empêche pas de travailler. Ce qui est vrai ! Je les ai reçus plusieurs fois et je leur ai dit qu’ils peuvent aller travailler. Mais quand leurs dossiers arriveront sur mon bureau, je ne vais pas les traiter. Les maires qui sont malins et intelligents ont pris des notes pour dire, dans la mesure où même si nous continuons à faire du lotissement à but de promotion immobilière, le ministère ne va pas traiter le dossier, autant ne pas en faire. Ce qui est logique. Il faut savoir lire entre les lignes.
S : Concernant la marche arrière que vous avez préconisée, est-ce à dire qu’il faut revenir à la politique de Thomas Sankara qui était basée sur la justice et l’équité ?
B.S.S. : Tout à fait ! C’est l’objectif final, mais on ne le fera pas avec les méthodes de Thomas Sankara. En fait, il faut que les Burkinabè comprennent que le président Thomas Sankara avait le pouvoir d’Etat. C’était un régime révolutionnaire. Par exemple, si c’était un régime révolutionnaire aujourd’hui, il y aurait le fait du prince ! On dit qu’on arrête et on arrête au nom de l’équité et de la justice! Mais, nous sommes en démocratie. Et dans la démocratie bourgeoise, tout doit se faire de façon inclusive, participative en mettant les gens face à la légalité républicaine. C’est là où nous avons la loi pour l’appliquer. Certains ont reconnu qu’ils ont contourné cette loi parce qu’ils voulaient faire vite. Mais si vous faites vite en contournant la loi, c’est à vos risques et périls. On dit que nul n’est censé ignorer la loi. Autrement dit, les textes de loi que nous avons ont souvent été très bien faits sauf qu’il y a une grande inflation législative. A partir de la RAF, on a tellement dévié qu’on a créé plus d’une dizaine d’autres lois qui interviennent dans le domaine foncier.
Et souvent, ces lois se contredisent ou sont interprétées à la tête du client. Chacun les interprète comme il veut et pose des actes. Cela nous a créé cette situation qui recommande que l’on revienne à une refonte de tous ces textes pour avoir désormais un code domanial par exemple qui va être la base d’un nouveau départ. On doit situer toutes les responsabilités et régler le problème une fois pour toute.
S : On voit que vous êtes bien engagé. N’avez-vous pas peur de vous buter contre les sociétés immobilières qui brassent des milliards ?
B.S.S. : Non ! Je dis niet. Je ne me buterai pas contre les sociétés immobilières. Pour autant que la loi sera avec moi, je ne peux pas me buter à quoi que ce soit. Je pense que c’est plutôt l’inverse. Ces sociétés immobilières dont vous parlez doivent se buter à la loi. D’ailleurs, je fais une confidence pour vos lecteurs. Nous avons aujourd’hui 275 agréments. C’est une flopée! Mais, il n’y a pas une vingtaine de détenteurs d’agréments qui font de la promotion immobilière. Le reste, ce sont des démarcheurs. Quelque part à Ouagadougou, dans les encablures, il me semble que des démarcheurs de sociétés immobilières se sont poignardés parce que sur le terrain, c’est à qui mieux mieux pour arracher le plus possible de surfaces et le plus rapidement. Certains promoteurs nous disent que les vrais promoteurs trouvent leur compte dans la clarification de la situation. Aujourd’hui, le travail que nous sommes en train de faire pour remettre les choses sur les rails favorise en réalité les promoteurs qui travaillent et qui veulent investir parce que souvent ces gens ont l’argent mais n’ont pas la terre. Les autres prennent les terres pour spéculer. Du coup, c’est une situation qui vient assainir le secteur au profit de ceux qui sont dans la légalité.
S : Parlant justement des sociétés immobilières, certains disent que votre mesure de suspension de leurs activités est populiste. Que leur répondez-vous ?
B.S.S. : (Rires !) Je ne sais pas ce que « populiste » veut dire. A moins de me clarifier ce terme pour que je puisse répondre.
S : Avez-vous pris la décision pour faire plaisir à certaines personnes ?
B.S.S. : Mais en attendant, la mesure s’applique, avec des effets. Et le deuxième pas qui est fait, c’est ce comité qu’on vient d’installer et qui va déposer ses conclusions. Peut-être que cela va aller dans le sens de renforcer ce que nous avons déjà pris comme circulaire ou même aller au-delà. Parce qu’il s’agit de prendre des mesures urgentes et fortes. Et je viens de vous dire qu’on peut demander un amendement à minima de la loi pour séparer les deux activités (le foncier et la promotion immobilière) en créant de nouvelles conditions d’octroi de l’agrément. C’est une mesure urgente qu’il va falloir prendre. Donc, ce n’est pas un coup d’éclat. Si c’est ça que vous appelez populisme, je ne sais pas, mais ceux qui sont aujourd’hui frappés ne parleront pas de populisme.
S : Est-ce qu’il sera possible de restructurer les quartiers non lotis ?
B.S.S. : D’abord, c’est un processus qui tient sur le mandat présidentiel de cinq ans. Quand on prend l’exemple de Djikofè (NDLR : quartier périphérique), ça va coûter la bagatelle de cent milliards FCFA. Uniquement Djikôfè où vous avez 61 000 habitants sur une superficie de 60 ha avec une concentration humaine pas possible. Nous voulons résorber ce quartier précaire et en faire un exemple pour les autres. Seulement, c’est très coûteux. Voilà pourquoi il faut avoir une politique de mobilisation des ressources qui implique les bailleurs de fonds mais aussi, une fois de plus, nous allons réunir les promoteurs immobiliers sérieux. Parce que dans la politique du logement à Djikôfè, même les personnes indigentes auront droit à un lopin de terre. Parce que ça sera du social, puisse que tous ceux qui y sont, ont été recensés. Chaque habitant doit recevoir aussi un titre de propriété. Donc à partir de cela, on peut dupliquer aux autres quartiers qu’il faut nécessairement résorber. Le projet que nous avons ne concerne pas seulement les grandes villes. Ce sont les treize chefs-lieux de région et Pouytenga, la quatorzième localité, qui doivent bénéficier de cette politique. Et nous faisons le plaidoyer à travers les grands organismes qui peuvent mobiliser des ressources sur la pertinence des projets, comme l’ONU-Habitat qui est venue au Burkina, qui a été sur les lieux, qui a vu et qui, aujourd’hui, a décidé de soutenir le gouvernement du Burkina Faso dans cette quête de résorption des habitats précaires. Mais cela ne se fait pas sans difficulté. Et la plus grosse difficulté se trouve dans la mentalité des populations. Là aussi, il y a un travail à faire et c’est de la responsabilité du gouvernement de sensibiliser les éventuels bénéficiaires. Aujourd’hui, même la SONATUR qui fait ce travail d’aménagement rencontre des difficultés sur le terrain avec les maires et les populations. Quand vous mobilisez une superficie, souvent vous déplacez les gens sur une trame d’accueil, ils vont être indemnisés, mais dès qu’ils savent que vous allez les recenser, s’ils sont sur 100 m2, ils vont diviser ce lopin en dix, avec des prête-noms et ça complique la démarche d’indemnisation ou l’octroi de parcelles. Ce sont les réalités tristes auxquelles nous sommes confrontés mais, depuis que je suis à la tête du département, nous impliquons tous les acteurs dans tout ce que nous faisons. Par exemple, nous avons une concertation permanente avec les OSC qui interviennent dans le droit au logement, nous sommes en concertation avec les structures représentatives des sociétés de promotion immobilière, nous sommes en concertation avec l’ensemble des ordres professionnels, nous discutons avec eux parce que l’acte de bâtir obéit à une règle scientifique. J’ai espoir que ces programmes pourront faire leurs chemins. Il y a aussi la question de savoir trente ans après la Révolution démocratique et populaire, notre peuple souhaite revivre la gouvernance révolutionnaire ou préfère-t-il une gouvernance qui s’inscrit dans les mécanismes d’un Etat de droit.
Je crois que devant ces deux facteurs, il est aisé de comprendre que de nos jours les paradigmes politiques ont beaucoup évolué.
S : Sous la Transition, la loi portant sur le bail locatif avait été adopté, où en sommes-nous ?
B.S.S. : La loi est là, mais je pense que c’est une loi qui a des difficultés d’application. Même les décrets subséquents ont été pris. Mais une chose est de faire une belle loi, l’autre c’est de pouvoir l’appliquer lors du marché. Ce n’est pas le législateur qui construit les maisons. La loi du marché est venue mettre l’application de cette loi à rude épreuve. Il faut relire la loi pour l’adapter aux réalités. Sous la Révolution, ce n’était pas ainsi. Comme nous évoluons dans un système libéral, c’est la règle de l’offre et de la demande. Et comme la demande est forte, naturellement le loyer coûte cher et la loi ne peut pas s’appliquer. Même dans ce sillage, il y a eu des référentiels pour construire. Mais ça tutoie la loi du marché et celle-ci étant toujours forte, ce sont des politiques vouées à l’échec. J’étais de ceux-là qui souhaitaient que les lois qui ont été prises sous le Conseil national de la Transition (CNT) soient relues, adaptées au contexte actuel. Parce que certaines ont été prises sous l’effet insurrectionnel. Mais il faut être réaliste et reculer une fois de plus parce que le train de la démocratie n’est pas celui de l’insurrection. On vous dit que plus rien ne sera comme avant et vous vous rendez compte que c’est pire qu’avant.
S : Dans les grandes villes, les maires peinent à mettre de l’ordre dans l’occupation des espaces publics. Quel plan d’urbanisation envisagez-vous pour mettre fin à ce désordre ?
B.S.S. : Lorsqu’on parle d’urbanisation, nous avons plusieurs plans. Mais tout cela s’inscrit en droite ligne de la politique nationale du logement et de la politique gouvernementale déclinée notamment dans notre lettre de missions. Aujourd’hui, il faut que la question de la mobilisation de la terre revienne à l’Etat parce qu’il faut le contrôle. Les maires, les conseils délibèrent et c’est là, l’un des dangers parce qu’il y a des transactions qui se font. Donc, cela crée du désordre à telle enseigne que même dans les communes rurales, vous n’avez plus de terre. Je pense qu’il faut travailler à maitriser tout cela, contrôler et avoir un schéma d’aménagement conséquent que les populations et les autorités locales vont suivre. Déjà, on le fait. Par exemple, pour 2021, nous avons identifié un certain nombre de localités où nous allons faire des aménagements.
S : Il était question de la mise en place d’un tramway…
B.S.S. : Je pense que ce n’est pas, pour le moment, une idée en vogue. Pour ce qui est concret, le ministre Dabilgou est en train de vouloir doter Ouagadougou et certaines villes de bus. Je pense que l’idée de tramway viendra après.
S : Il nous revient que certains de vos collaborateurs sont membres d’organes dirigeants de sociétés immobilières ou de coopératives immobilières. Que faites-vous des membres de votre cabinet ?
B.S.S. : Je vais vérifier l’information et voir s’il y a une incompatibilité et on en tirera les conséquences. Cela n’a pas, jusque-là, été porté à ma connaissance.
S : La réconciliation est l’objet de diverses appréciations, elle devrait se faire entre vous politiciens. Qu’en pensez-vous ?
B.S.S. : Ceux qui disent cela ont certainement une raison valable. De mon point de vue, la fracture ou supposée fracture que nous avons a eu pour cause, la gestion du pouvoir d’Etat. Lorsqu’on part des années 60 en descendant, on cite d’abord la chute du président Maurice Yaméogo et on évolue. Ce sont les évènements politiques qui ont été à la base de cette fracture sociale. Ceux qui pensent qu’il faut que les politiciens se réconcilient ont mis l’accent sur l’aspect politique. Pour moi, la réconciliation politique c’est la démocratie. Notre pays s’est réconcilié sur ce terrain depuis 2009, conformément à la déclaration de Bamako en 2000, en instituant le chef de file de l’opposition politique. Vous avez constaté qu’en 2009, il y a eu au moins un apaisement institutionnel et politique si bien que les élections qui se sont déroulées après 2009 étaient crédibles comme celles de 2012 puis celles de 2015. Même si entre-temps, il y a eu l’insurrection, c’est parce que l’opposition était organisée et cela a permis une espèce de synergie. De nos jours, cela est d’autant plus vrai que vous avez un chef d’Etat qui a été démocratiquement élu au 1er tour pour ses deux mandats et qui a eu l’onction de ses adversaires. Donc, la classe politique s’est réconciliée quelque part, mais il y a les conséquences têtues de tout ce parcours qu’il faut régler. C’est pour cela que vous avez aujourd’hui un ministre d’Etat chargé de la réconciliation nationale qui hérite du Haut conseil pour la réconciliation et l’unité nationale (HCRUN) lui-même suggéré par l’insurrection, après la commission sur les réformes. Je précise que le dialogue politique insufflé par le chef de l’Etat a permis à l’opposition et à la majorité de s’asseoir autour de la même table et de prendre de façon consensuelle les décisions majeures pour l’intérêt supérieur du Burkina Faso. Les politiciens, sous l’égide du chef de l’Etat actuel, ne peuvent pas dire qu’ils ont une fracture. Même si quelque part vous avez des politiciens aux petits esprits qui refusent de se mettre dans l’institutionnel, c’est-à-dire dans le chef de file de l’opposition politique ou dans la majorité et qui préfèrent jouer aux trouble-fêtes. Mais Dieu merci, ils ne représentent que l’ombre d’eux-mêmes.
S : Les Burkinabè sont-ils divisés au point que l’on veuille les réconcilier?
B.S.S. : Ce n’est pas mon sentiment. Il y a eu la journée nationale du pardon, en 2001. J’étais dans l’opposition et nous l’avions critiquée, parce que le triptyque vérité-justice-réconciliation n’avait pas été respecté. La conséquence, en dépit de l’argent qui a circulé, est que les gens ne se sont pas réconciliés. Le problème est demeuré. Lorsque l’on parle de stigmatisation, je dis aux gens de faire attention à la manipulation politicienne des communautés. Le Burkina est un havre de paix qui renvoie l’exemple aux autres pays. Il ne faut pas confondre cela aux attaques terroristes dont nous sommes l’objet. Ce n’est pas un conflit intercommunautaire, le pays est en guerre contre des terroristes. Les communautés ont toujours vécu dans une bonne entente mais nous avons des problèmes fondamentaux liés à l’extrême pauvreté, au foncier, d’autres nés de la violence en politique. Les problèmes nés de la violence politique ne nécessitent pas une réconciliation, ils résultent de responsabilités que l’Etat n’a pas su assumer à un moment ou un autre de l’histoire du pays. Si l’on considère cela comme une fracture sociale, c’est un abus. La conséquence est telle que l’appareil judiciaire est celui vers qui tout le monde se tourne pour trouver des solutions dans les règles de l’art. Malheureusement, la justice n’a pas pu répondre aux attentes. Pourtant, c’est elle qui est le rempart des libertés individuelles et collectives. C’est pourquoi, il y a eu le Pacte sur le renouveau de la justice qui devrait régler les problèmes dits de réconciliation. Aujourd’hui, il faut avoir le courage d’évaluer ce pacte. Les magistrats ont pris leur indépendance, avec des salaires qu’il fallait pour se mettre à l’abri, mais ils n’ont pas eu la logistique nécessaire, ils n’ont pas eu les moyens pour viser ce contentieux qui est resté. Le HCRUN a recensé 6 000 dossiers, mais leur impact s’évalue en termes de milliards. Les uns et les autres réclament des milliards pour la réparation. Ces dossiers sont restés dans les procédures judiciaires qui n’ont pas bougé du cabinet du juge d’instruction, faute de moyens surtout. Honnêtement, ce n’est pas ma lecture de la réconciliation nationale. Pour moi, la réconciliation nationale suppose que nous ayons un pays apaisé, démocratique, de liberté, de justice où ces valeurs constituent la sève de l’unité incarnée par le chef de l’Etat qui est élu de façon démocratique. Maintenant, comme tout fait de société, il faut que la justice se saisisse et dise le droit.
S : Le dossier Thomas Sankara vient de connaitre une évolution, avec la mise en accusation de Blaise Compaoré et 13 autres personnes. Vous étiez membre du collectif des avocats de la partie civile. Comment avez-vous accueilli cette décision ?
B.S.S. : C’est une décision de justice et j’en prends acte. C’est une victoire d’étape, car cela fait 24 ans de procédure. J’ai introduit ce dossier le 2 octobre 1997, il s’agit d’une plainte rédigée par mon confrère feu Me Dieudonné Koumkoum. Je suis très fier de cette décision et de savoir que maintenant nous avons beaucoup d’avocats qui se sont constitués en partie civile. En tant qu’avocat, je me battrai toujours pour les droits de la défense, le principe d’innocence jusqu’au bout. M. Blaise Compaoré a été inculpé depuis 2016, il était déjà poursuivi avec un mandat d’arrêt contre lui et Hyacinthe Kafando. Mais la procédure d’instruction est compliquée parce que le juge d’instruction instruit à charge et à décharge, tant qu’il n’y a pas de preuve, il ne bouge pas et elle a pris tout le temps qu’il fallait avec l’exhumation des restes, les enquêtes balistiques, d’autopsie, de recherche d’ADN, ensuite la reconstitution même des faits sur les lieux du crime et la promesse du Président Emmanuel Macron des documents déclassifiés dans le principe du contradictoire, jusqu’à ce que le juge rende enfin une ordonnance pour dire : je renvoie ce dossier devant la chambre de contrôle. La chambre de contrôle a confirmé les charges devant le tribunal. Qui l’aurait cru ! Pour reprendre l’expression chère à Simon Compaoré.
S : Est-ce que la tenue d’un procès suffit à la manifestation de la vérité dans cette affaire surtout qu’il y a beaucoup de zones d’ombre ?
B.S.S. : Dans une affaire aussi ténébreuse que l’assassinat du président Sankara, un crime politique, il y aura toujours des non-dits. Mais dès lors que le gros poisson se retrouve dans la nasse, vous avez déjà toute la vérité. Libre à lui de parler ou de rester muet comme une carpe.
S : Lorsque l’on regarde ceux qui ont été mis en accusation, est-ce que vous ne restez pas un peu sur votre faim, quand on sait qu’il n’y a pas un seul accusé qui vient de l’étranger alors que l’on soupçonne l’implication de forces extérieures dans cette affaire ?
B.S.S. : Ça, c’est vous qui le dites. Je ne suis pas resté sur ma faim. J’ai été à la reconstitution des faits au Conseil de l’entente devenu Mémorandum Thomas Sankara, avec Gilbert Diendiéré en tête. Le commando ayant quitté le domicile de Blaise Compaoré avec deux véhicules, on connait les personnes qui étaient à bord, on connait également ceux qui ont tiré sur Sankara et les autres. Je n’y ai pas vu un Français, ni un Chinois, ni un Russe, ni un Japonais. C’étaient des Burkinabè. Le droit pénal parle de complicité. Il peut y avoir des complicités qui soient extérieures. Je n’ai pas aimé les propos de l’ambassadeur de France quand il remettait le 3e lot. C’est vrai qu’il y en a qui font un peu de la fixation même de l’acharnement sur la France, surtout ceux qui dénoncent la France-Afrique et je les comprends. Mais le procès pénal, c’est la preuve irréfutable, on ne fait pas de l’interprétation. Donc tout ce que nous réunissons comme pièces doit arriver à établir de façon claire le fait matériel. Pour moi, les principaux accusés du crime sont des Burkinabè. Pensez-vous qu’un Français puisse me manipuler contre mon frère de case burkinabè, mon ami, et je vais accepter ? Il faut que les Africains aient ce regard tourné vers eux-mêmes pour se remettre en cause, avant d’avoir un doigt accusateur sur l’autre.
S : Qu’est-ce que vous n’avez pas aimé exactement dans les propos de l’ambassadeur de France au Burkina ?
B.S.S. : L’ambassadeur disait en substance que c’est comme si l’on s’acharnait sur la France, parce qu’elle n’a pas envoyé le 3e lot de documents déclassifiés.
Ce qui est normal, puisque le président Emmanuel Macron a promis trois lots et on n’a vu que deux. Nous avons dû écrire plusieurs fois pour réclamer le dernier lot qui a mis du temps à arriver. Ce n’était pas à lui diplomate de faire ces commentaires. On lui a demandé de remettre un 3e lot, la justice appréciera. Le reste, pour moi, est superflu.
S : Vous connaissez suffisamment le dossier, est-ce qu’on peut, à ce jour, dire que c’est le corps de Thomas Sankara qui a été enterré à Dagnoen?
B.S.S. : Oui ! Je l’affirme parce que c’est nous qui avons demandé, en son temps, que l’ADN soit identifié. Mais la logique judiciaire ne s’appuie pas forcément sur l’ADN. Il y a eu mort d’homme. Dans la procédure, nous avons parlé à un moment donné de séquestration du président Sankara et le juge nous avait rétorqués qu’on ne peut pas dire qu’il est mort et parler encore de séquestration. Donc l’enquête a consisté d’abord à s’assurer que ceux qu’on a exécutés sauvagement au Conseil de l’entente le 15 octobre 1987 vers 16 h étaient Thomas Sankara et tous ceux qui étaient dans la salle de réunion, sauf Harouna. Plus tard, l’enquête a révélé qu’il n’est pas le seul survivant. Je crois que devant la mort, il y a la main de Dieu. Il y a une autre personne qui a joué au mort et qui n’a pas été tuée.
S : Si cette mise en accusation était tombée en décembre 2020, auriez-vous accepté de faire partie du gouvernement ? Puisqu’en tant que ministre, vous ne pouvez pas prendre part activement au procès.
B.S.S. : Pourquoi pas. Il faut comprendre que je ne suis plus seul dans le dossier.
S : Est-ce que vous ne regrettez pas, vu que le combat que vous avez engagé depuis longtemps est en train d’aboutir ?
B.S.S. : Non, je ne regrette pas. Il y a un goût d’amertume en moi parce que ce que je sais faire le mieux, c’est porter ma robe d’avocat. Mais je ne regrette pas parce qu’à la tête de ce département, je mène un autre combat pour les Burkinabè et ce d’autant plus que je suis aujourd’hui assuré que le dossier est entre de bonnes mains. Nous avons créé un collectif d’avocats. Au début, ce ne fut pas simple, je faisais des voyages à mes frais pour aller en Europe rencontrer des confrères pour qu’ils se constituent dans ce dossier. Rappelez-vous le collectif d’avocats français qui venait ici. Nous avons des avocats au Canada qui sont dans le dossier, des avocats burkinabè et mon cabinet, même si désormais, du fait de mon statut de membre du gouvernement, mon cabinet est toujours là et des confrères continuent la procédure et ils sont très nombreux dans ce dossier et peuvent facilement le plaider. Dans l’affaire de François Compaoré, je n’étais pas au prétoire mais des confrères, qui sont notamment à Paris, ont plaidé ce dossier. Ma présence à ce procès n’aurait pas apporté une autre plus-value que celle du collectif d’avocats.
Mais j’aurais effectivement souhaité être à leurs côtés, pour avoir été au début. Je suis fier de mes confrères et du travail qu’ils font.
Cela me permet de m’occuper de ma nouvelle mission qui est aussi délicate et exaltante que celle de défendre le dossier Thomas Sankara, parce que le foncier est une bombe et je ne suis pas kamikaze. Je suis convaincu que cette bombe ne va pas exploser, pour le malheur du Burkina. Et c’est pourquoi j’ai accepté la mission. Je pense qu’on va y arriver.
S : Où en est-on avec le dossier de l’insurrection populaire ?
B.S.S. : Ce dossier était en phase de jugement. La salle du procès avait même été identifiée. Mais il s’est passé que le dossier du putsch était aussi prêt. C’était une option. Deuxièmement, c’était coûteux de tenir à la fois les deux procès. La préférence a été portée sur le dossier du putsch. Entre-temps, il y a eu les échéances électorales, certainement qu’ils vont continuer avec la procédure là où nous l’avons laissée. Sauf que le dossier est devenu plus compliqué, puisque certains poursuivis sont maintenant à l’Assemblée nationale. Il faut encore purger la procédure de tous les vices avant de pouvoir continuer.
S : D’aucuns pensent que l’avancée de ce dossier est un frein à la réconciliation. Est-ce votre avis ?
B.S.S. : Non. Il n’y a pas de dossier en justice à connotation politique qui ne crée pas un conflit. C’est pour cela que l’on parle de réconciliation. Mais le chef de l’Etat est clair : la réconciliation ne va pas se faire sur le dos du triptyque vérité-justice et réconciliation. Ce n’est pas parce que le dossier touche à des ténors politiques qu’il faut s’en dérober pour aller directement à la réconciliation. La justice aussi a ses limites. Ce dossier a trainé et souffre beaucoup de vices de procédures qu’il faut purger et éventuellement repartir de zéro avec certains hommes.