Tous les acteurs avisés s’accordent à parler d’accaparement des terres au Burkina Faso. Si le commun des mortels y voit la main des sociétés immobilières, pour Dr Ra-Sablaga Seydou Ouédraogo, cela est plutôt l’œuvre des autorités politiques et administratives. Celles-ci, d’après lui, profitent des failles de la loi foncière et des privilèges de leurs postes pour se procurer des centaines de parcelles. Le Directeur exécutif de l’institut Free Afrik a partagé son constat lors de sa communication sur « Le foncier entre enjeux de stabilité sociopolitique et défis de développement économique », donnée le 14 avril 2021 à Ouagadougou. C’était à la faveur du Forum national sur le foncier initié par la Commission épiscopale justice et paix au Burkina Faso (CJP). Comme tout enseignant-chercheur, il a basé son constat sur des chiffres hallucinants. Il dit en vouloir pour preuve, les cas de bradage de terre recensés par le rapport d’enquête parlementaire 2016 sur le foncier urbain (voir encadré 1).
« Une course effrénée aux parcelles »
De ce rapport, le conférencier cite deux cas emblématiques. « Le retrait des 535 parcelles dont ont bénéficié Ousséni Zoromé, ex- DR de l’Urbanisme des Hauts-Bassins, et Arouna Bonsa, chef de service de l’urbanisme des Hauts-Bassins, dans le cadre des opérations irrégulières effectuées par eux-mêmes dans la ville de Bobo-Dioulasso ». Et « le retrait des 500 parcelles attribuées à l’ex- Maire Pascal Ouédraogo par le DG de la SOCOGIB, Eugène Zagré ». Sur les 15 Communes investiguées, « la Commission a relevé de nombreuses irrégularités et entorses à la règlementation en la matière. Aussi, elle a pu relever que plus de 105.408 parcelles ont été irrégulièrement attribuées ou illégalement occupées.
Pour le communicateur, ce rapport commandité par la deuxième institution de la République prouve à souhait que l’accaparement des terres est su des hautes autorités du pays.
Pire, note Dr Ra-Sablaga Seydou Ouédraogo, tous les rapports sur le foncier produits par l’Assemblée nationale ou autres entités avaient pour principal destinateur le président du Faso. Face à cette situation, le communicateur s’interroge sur ce silence complice.
L’impunité encouragée
Connu pour son franc-parler, il a souligné que les Burkinabè étaient face « à une criminalité immobilière organisée par les autorités politiques et administratives d’abord ». Pour l’enseignant en économie, il y a là des conflits d’intérêts évidents. Toujours sur cette évidence, il mentionne un rapport de l’ASCE-LC qui, à sa page 24 : « Arrondissement 8 de Ouaga, les membres de la Commission d’attribution étaient des membres d’une société immobilière qui a eu le marché ». Dans le même rapport, un Maire a été épinglé pour lotissement illégal. Malgré l’injonction du Premier ministre demandant sa destitution, le Maire en question n’a pas été inquiété et mieux, il a continué son activité de lotissement. Au regard de ces constats, Dr Ra-Sablaga Ouédraogo y voit un encouragement à l’impunité. Il révèle que dans plusieurs cas de bradage de terres, le bénéficiaire est l’autorité politique et administrative. « Ceux qui croient que les grands propriétaires terriens du pays sont les hommes d’affaires ont tort. Ce sont les autorités politiques et administratives », a-t-il mentionné.
Une bombe à retardement si rien n’est fait
Pour lui, l’accumulation de centaines de parcelles par des autorités politiques et administratives pour se légitimer crée, par ricochet, des inégalités qui mettent en danger la stabilité sociopolitique du pays. Un pays dans lequel la concentration foncière est importante et augmente chaque jour, d’une part, et d’autre part, si cette concentration est profondément illégitime et illégale, elle conduit à l’instabilité, avertit-il. Pas de doute, cette course effrénée à la terre par certains Burkinabè au détriment d’autres est inévitablement une bombe à retardement, a-t-il martelé. o