Dans cet entretien, le Président de l’Union des associations africaines des acteurs de la réfrigération et de la climatisation (U-3ARC) et expert consultant des Nations Unies, Madi Sakandé, interpelle l’union africaine (UA) sur la nécessité d’inscrire le secteur du froid dans l’agenda de ses priorités de développement du continent.
Sidwaya (S) : L’Union africaine tient, le week-end prochain, un sommet des Chefs d’Etat, le premier après l’entrée en vigueur de la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf). Quel est votre commentaire sur ce grand pas dans le processus d’intégration africaine ?
M.S. : C’est une excellente nouvelle qui portera le continent vers une union réelle des Etats africains. C’est l’un des objectifs de l’agenda panafricain 2063 de l’Union africaine. Il est certainement un pas très important pour l’Afrique et les générations futures. Une Afrique unie, libre et prospère, où ses enfants peuvent réaliser leurs rêves.
S : Certains estiment que l’effet attendu de la ZLECAf ne sera pas de sitôt, le continent ne réunissant pas encore les conditions nécessaires, notamment infrastructurelles pour rendre le marché africain effectif. Quelle est votre opinion sur la question ?
M.S. : C’est une observation bien pertinente. Il vous suffit de voir dans quelles conditions, nous nous déplaçons d’un pays à l’autre avec des différents moyens de transports : voitures, bus, trains, avions. Il nous faudra des autoroutes, des chemins de fer, des aéroports à la hauteur de nos ambitions. Et surtout une bonne chaine du froid pour la distribution de nos produits agro-sylvo-pastoraux dont le secteur occupe plus de 80% de la population africaine.
S : Selon vous, quels sont les principaux leviers sur lesquels les Etats doivent actionner pour renforcer le commerce intra-africain qui représente aujourd’hui environ 15% du volume total des échanges commerciaux du continent ?
M.S : Ces leviers sont nombreux. Mais le plus important et très urgent à réaliser, à mon humble avis, est certainement une chaine du froid, à travers une structuration de ce secteur stratégique pour un véritable développement socio-économique du continent. Car nous n’allons quand même pas commercer de la pourriture d’un pays à l’autre. Déjà nous n’arrivons même pas à conserver au niveau national nos tomates, oignons, pommes de terre, choux, bananes, mangues, viandes, poissons, etc., fruits du labeur de la grande majorité des Africains.
S : Pour vous, l’Union africaine doit inscrire l’investissement dans la chaine du froid au rang des priorités de son agenda en matière de développement socioéconomique du continent ?
M.S. : Sans aucun doute ! L’UA doit absolument faire de l’investissement dans le secteur du froid la priorité des priorités. Certains pays ont déjà une avance considérable dans ce sens. Je peux citer notamment la Tunisie, le Maroc ou l’Algérie. Ces Etats ont depuis des décennies des politiques dans ce domaine. L’Algérie comptent presque 300 centres et instituts de formation dans le froid.
Le secteur du froid est très transversal et profitable à plusieurs secteurs : l’agroalimentaire, la santé, l’habitat, l’énergie, l’environnement, l’emploi, la jeunesse, …
S : Pensez-vous que pour le moment, l’Afrique ne fait pas assez en matière de promotion de la chaine du froid ?
M.S : Certains pays en font déjà depuis plusieurs décennies. Mais l’Afrique subsaharienne a un grand retard dans ce domaine car, certains décideurs considèrent, d’une manière erronée d’ailleurs, le froid comme un luxe. Je peux vous assurer qu’aucun membre de la commission énergie de l’Union africaine, n’a songé à faire écrire le mot froid ou réfrigération dans les programmes de développement du continent souhaité dans l’Agenda 2063. Quand on parle d’énergie, la pensée collective est sur l’électricité ou mieux sur l’éclairage. Pourtant le froid, c’est de l’énergie ! L’effet frigorifique qui est utile pour la conservation peut être atteint avec plusieurs technologies disponibles sur le marché mondial. L’U-3ARC se propose comme une institution africaine des experts dans ce domaine pour accompagner et conseiller nos décideurs économiques et politiques à agir dans ce sens.
S : Les conditions de conservation du vaccin de la COVID-19 vient rappeler la nécessité pour l’Afrique d’œuvrer à inverser la tendance en matière de froid….
M.S : C’est une raison de plus pour agir urgemment dans le développement des infrastructures du froid en Afrique.
Le vaccin de la COVID-19 se conserve dans un congélateur à une température entre -80°C et -60°C. Le flacon non ouvert une fois sorti du congélateur, le vaccin non ouvert peut être conservé avant utilisation pendant 5 jours maximum entre 2 ° C et 8 ° C et 2 heures maximum à une température ne dépassant pas 30 ° C. Une fois décongelé, le vaccin ne doit pas être recongelé. Voyez-vous l’importance de la maîtrise du froid dans ce contexte ? Des Africains qui meurent de faim et de la malnutrition à cause de la carence d’une chaine de froid sont plus nombreux. Mais si la COVID-19 peut permettre de résoudre ce problème en Afrique…. ne dit-on pas que c’est grâce aux haricots que le caillou est huilé ?