Dans l’entretien ci-dessous, Hermann Doanio, économiste, spécialiste en finances publiques, par ailleurs secrétaire exécutif du Centre d’études et de recherche appliquée en Finances publiques (CERA-FP), livre une analyse sans complaisance du budget de l’Etat burkinabè, exercice 2021.
Sidwaya (S) : Quelle lecture globale faites-vous du budget de l’Etat burkinabè, exercice 2021 ?
Hermann Doanio (H.D.) : Le budget de l’Etat 2021 se caractérise par un déficit énorme de l’ordre de 540 milliards F CFA. Ce déficit résulte du fait que les recettes budgétaires d’environ 2 110 milliards F CFA ne sont pas en mesure de couvrir entièrement les dépenses budgétaires prévisionnelles qui se chiffrent à 2 651 milliards F CFA. Au regard du contexte économique assez difficile, l’on se demande s’il était pertinent de creuser ce gap budgétaire. N’était-il pas plus indiqué de contracter certaines dépenses afin de réduire ce déficit ?
S : Ce déficit ne se justifie-t-il pas, au regard des urgences et des priorités du moment ?
H.D. : Nous sommes dans un pays où tout est prioritaire. On peut identifier les priorités des priorités. Cela renvoie au principe de la sincérité et du réalisme budgétaire. Car creuser un déficit budgétaire ne signifie pas que l’on pourrait le combler. Cela veut dire que si l’on n’arrive pas à mobiliser des ressources supplémentaires, malgré les bonnes intentions de gérer certaines situations, il y aura des dépenses qui ne seront pas honorées. Il faut permettre d’évaluer le gouvernement sur une base réaliste avec un déficit que l’on pourra couvrir au cours de l’année 2021.
S : L’Etat n’est-il pas capable de couvrir ce déficit budgétaire ?
H.D. : Le problème ne réside pas dans les capacités de l’Etat mais beaucoup plus dans le contexte qui fait qu’il serait difficile de mobiliser des ressources supplémentaires. Selon le gouvernement, le déficit sera comblé par les ressources de trésorerie qui, à elles seules, ne permettront pas de combler le gap. Il va falloir faire appel aux emprunts obligataires et aux emprunts avec l’extérieur. Etant donné que nous sommes dans un contexte de pandémie de la COVID-19 qui frappe le monde entier et affecte l’économie mondiale, il est difficile que des pays qui sont en train de se replier sur eux-mêmes pour gérer la crise sanitaire puissent dégager des ressources afin que nous puissions aller les emprunter.
Pour ce qui est de l’emprunt obligataire, il fait appel à l’épargne des citoyens. Alors que le contexte sécuritaire et sanitaire de notre pays ayant affecté l’activité économique va jouer sur la propension à épargner des ménages et des entreprises. Toute chose qui réduirait le volume de l’épargne des citoyens, compromettant ainsi la couverture de ce déficit budgétaire par le mécanisme de l’emprunt obligataire.
S : Le budget se définit comme l’instrument de mise en œuvre de la politique de développement. Selon vous, le budget 2021 est-il est en phase avec les priorités de développement de notre pays ?
H.D. : Dans une certaine mesure, ce budget est en phase avec les priorités de développement définies par l’exécutif. Les élections du 22 novembre ayant abouti à la réélection du président sortant, on imagine aisément qu’il n’y aura pas de changement de priorités pour le prochain quinquennat. Le prochain référentiel national qui sera élaboré et adopté pour encadrer le développement économique et social va partir de la consolidation des acquis du PNDES, arrivé à échéance en fin décembre 2020. Ainsi, le budget de l’Etat 2021 a été confectionné sur la base des priorités du PNDES dans une logique de continuité et de consolidation de l’action gouvernementale.
S : Quelles sont ces priorités qui sont inscrites dans le budget 2021 ?
H.D. : On a la sécurité qui est sans conteste aujourd’hui l’aspiration la plus profonde de l’ensemble des Burkinabè. A ce niveau, il y a l’amélioration du maillage du territoire national par les FDS qui est envisagée. On a également la loi de programmation militaire qui vise à doter les forces armées de moyens suffisants pour répondre aux défis sécuritaires auxquels le pays fait face.
Au niveau de l’éducation, l’objectif est de continuer à accroître l’offre éducative, surtout gérer la question éducative dans les zones à haut défi sécuritaire afin de permettre aux enfants de ces zones dites rouges d’accéder toujours à une école de qualité.
Dans le domaine de la santé, la gestion du système sanitaire constitue une priorité, à travers un certain nombre de réformes, en l’occurrence celle sur la fonction publique hospitalière qui vise à doter les structures sanitaires d’un plateau technique assez important. La gestion de la pandémie de la COVID-19 demeure aussi une priorité importante du secteur. Il faudrait également disponibiliser des ressources pour continuer à établir la ceinture de prévention au niveau périphérique en termes de santé mais aussi de prise en charge pour permettre de préserver les acquis que le pays a engrangés dans la gestion de certaines pathologies.
Comme priorité en matière de protection sociale, nous avons aussi les déplacés internes qu’il faut prendre en charge sur les plans alimentaire, sanitaire et éducatif. Il y a enfin la question de la relance économique. On a le projet start-up, prévu dans le budget 2021, qui se poursuit et qui vise à soutenir les initiatives des jeunes. On peut citer également la relance du secteur privé, l’assainissement du climat des affaires afin d’attirer des investisseurs étrangers à travers un certain nombre d’allègements fiscaux inscrits dans le budget 2021.
S : Nous sommes dans un contexte sécuritaire difficile. Quelle appréciation faites-vous du budget alloué au secteur de la sécurité et de la défense ?
H.D. : Le budget alloué à la sécurité et à la défense en 2021 est assez important. Il est de l’ordre de 16% du budget total, soit environ 443 milliards FCFA, contre 12% en 2020. Il s’inscrit dans la continuité de la loi de programmation budgétaire. On espère que cet accroissement de ressources allouées à ces secteurs va s’observer sur le terrain, avec des résultats probants de maîtrise de la situation sécuritaire. Il faudrait que ces ressources parviennent aux soldats qui sont sur le théâtre des opérations afin de leur permettre de remplir leurs missions de défense et de sécurisation du pays.
S : Quelle lecture faites-vous des allocations budgétaires pour les secteurs sociaux ?
H.D. : D’une manière globale, le budget alloué aux secteurs sociaux de base est assez satisfaisant même s’il y a des insuffisances.
L’analyse révèle que 1 138 milliards F CFA sont affectés à ces secteurs, soit 42% du budget, gestion 2021. En décomposant, on a environ 12% qui reviennent au secteur de la santé, 23% à l’éducation et 5% à l’agriculture. On remarque qu’il y a une part importante accordée à l’éducation. Il faudrait interpeller le gouvernement pour une bonne gestion de ces ressources afin qu’elles puissent produire des résultats en termes d’offre éducative et de gestion du système éducatif dans les zones à haut risque sécuritaire.
En revanche, les 12% réservés à la santé, ne sont pas assez importants au regard des défis liés à la COVID-19 et des acquis des décennies passées à consolider pour une meilleure couverture des besoins sanitaires des populations.
S : Seulement 5% du budget pour l’agriculture, est-ce à dire que ce secteur ne constitue pas une priorité pour le gouvernement ?
H.D. : A l’analyse, on peut dire qu’on ne veut pas mettre l’accès sur l’autonomisation alimentaire du pays. Pourtant, celui qui a faim est à moitié malade, ne peut pas assurer sa sécurité et sa défense. Il n’est pas normal de continuer à dépendre de l’extérieur à plus de 70% des besoins alimentaires du pays.
Il faudrait donc travailler à augmenter la part budgétaire de l’agriculture afin que le pays puisse assurer sa propre sécurité alimentaire. C’est une question de dignité et de souveraineté alimentaire.
S : Quid de la part de la protection sociale ?
H.D : La protection sociale est le parent pauvre du budget en dépit des nombreux défis du secteur. L’insécurité a engendré plus d’un million de déplacés internes dans le pays. A cela, s’ajoutent les réfugiés maliens sur notre territoire. Tout ce monde constitue des populations vulnérables à prendre en charge. Malheureusement les prévisions budgétaires de 2021 de l’ordre de 1,6% ne représentent pas grand-chose. Sans oublier que dans les régions moins touchées par l’insécurité, il y a aussi des personnes vulnérables à prendre en charge, notamment les personnes vivant avec un handicap, des personnes âgées, des enfants et des femmes.
S : Que peut-on retenir comme points positifs du budget de l’Etat 2021 ?
H.D. : On peut noter que l’accent est mis sur la sécurisation du territoire national et à l’éducation. Au niveau de l’agriculture, on peut se satisfaire que, malgré les faibles ressources affectées à ce secteur, 72% de ces allocations soient consacrées aux investissements. Ce qui peut permettre de booster la production agricole. Il y a également un effort appréciable fait en matière de mobilisation de ressources propres qui représentent environ 85% des recettes totales. Ce qui veut dire que nous sommes en train de compter sur nos propres forces, de réduire notre dépendance vis-à-vis de l’extérieur.
S : Quels en sont les insuffisances ?
H.D. : Il y en a assez ! Il faut noter que sur les recettes budgétaires, les recettes fiscales qui représentent 88% des ressources propres sont constituées principalement de la Taxe sur la valeur ajoutée (TVA), soit 50% et d’autres impôts sur le revenu. Il n’y a pas une certaine progressivité de l’impôt dans notre système fiscal. Par exemple, la TVA est appliquée à un taux unique de 18% sur tous les biens de consommation, qu’ils soient de première nécessité ou de luxe.
Dans certains pays comme le Sénégal, il existe cette différenciation dans l’imposition de la TVA selon que le bien entre dans les besoins vitaux de la population ou qu’il soit de luxe et dont la consommation répond à un besoin de confort. Nous souhaitons que l’on puisse définir une TVA progressive adossée à la nature des biens de consommation. Cela va dans le sens d’une justice fiscale et sociale.
On a également le patrimoine qui est très faiblement taxé. Dans le budget gestion 2021, l’impôt sur le patrimoine ne représente que 0,2% des recettes fiscales. Cela veut dire que le principe du prélèvement de l’impôt selon les capacités contributives de chacun n’est pas respecté. Il faut donc travailler à réduire les inégalités en matière d’imposition.
L’autre défaillance du budget 2021 réside dans la part réservée aux investissements. Suivant notre analyse, 33% des dépenses budgétaires sont consacrées aux investissements et environ 66% aux dépenses courantes, c’est-à-dire le fonctionnement, le personnel de l’Etat, etc. Il y a lieu de travailler à augmenter ces dépenses d’investissements qui sont faibles, pour permettre de créer un cadre économique favorable aux activités des populations.
Mais l’une des grandes faiblesses du budget 2021 est que seulement 24 milliards FCFA de recettes propres de l’Etat, vont servir à financer les dépenses d’investissements, soit une couverture de 2% des besoins d’investissements en 2021. Environ 97% du financement du développement en cette année proviendront des ressources d’emprunt et de subventions que nous ne contrôlons pas. Le gouvernement doit travailler à réduire les dépenses de fonctionnement et relever celles d’investissements. Car, avec 24 milliards de recettes propres destinées aux investissements, on se croirait à l’échelle d’une entreprise privée et non à l’échelle de tout un pays.
Dans les secteurs sociaux, les dépenses d’investissements y sont également faibles. Elles sont de l’ordre de 5% dans l’éducation, 15 % dans la santé. Alors qu’on a encore des écoles sous paillote, des centres de santé à construire avec des plateaux techniques répondant aux normes minimales, etc.
S : La question de la réduction du train de vie de l’Etat est toujours une préoccupation des OSC. Qu’en est-il dans ce budget ?
H.D. : Le train de vie de l’Etat proprement dit a été pris en compte dans ce budget. Avec les imprimés, le carburant, les acquisitions du mobilier, des véhicules, etc. il représente un taux d’environ 7%. Nous disons que ce taux peut encore être réduit à au moins 5% du budget de l’Etat, car des marges de manœuvres existent. Au lieu de mettre sous cale des véhicules de cinq ans d’âge, on peut avoir une meilleure gestion du parc automobile de l’Etat. On peut également faire des économies au niveau du renouvellement systématique du mobilier à la suite des nouvelles nominations, du gaspillage des imprimés qu’engendrent les fusions ou scissions des ministères.
S : Un mot sur la masse salariale qui fait également de gorges chaudes…
H.D. : Dans le budget 2021, la masse salariale représente autour de 59% des recettes fiscales. Pour nous, elle n’est pas un critère très pertinent au Burkina Faso.
La preuve est qu’on a des écoles, des centres de santé qui ont toujours besoin de personnel, même si la question de la répartition des agents publics peut être évoquée. Tout cela doit amener l’Etat à envisager la réforme de l’administration.
L’accent doit être mis sur l’accroissement de la richesse nationale et non une fixation sur la masse salariale. Et l’accroissement de la richesse nationale passe en grande partie par l’administration publique.
Le secteur privé ne peut pas entreprendre sans un véritable accompagnement des administrations publiques. Le principal défi est d’œuvrer à avoir une administration publique performante. Il faut arriver à un changement de mentalité, de sorte que tout le monde se mette à l’évidence que le champ de l’Etat, est son champ, ou celui de son « papa « ! Si rien n’est fait, les contre-performances de notre administration publique se déteindront sur les performances de notre secteur privé.
S : Quelles recommandations faites-vous pour une meilleure gouvernance financière, une bonne gestion des finances publiques au Burkina Faso ?
H.D. : Il faut travailler à ce qu’environ 50% des recettes propres couvrent nos besoins d’investissements et 40% à 45% du budget soient orientés vers ces dépenses d’investissements afin de permettre un décollage économique et la mise en place d’un cadre favorable à l’activité économique des populations. Un effort doit être fait en matière d’investissements dans les secteurs sociaux. En lieu et place de la polémique sur l’effectif du personnel de l’Etat, il faut beaucoup plus œuvrer à leur utilisation optimale, efficiente. Cela peut se faire à travers une bonne expression des besoins en personnel et une réforme de l’administration publique qui mettra l’accent sur la culture du résultat. Ce qui pourrait contribuer à recouvrer plus de ressources et assurer un décollage économique.
Au regard de la crise de la COVID-19, il faudrait accroître les ressources allouées au secteur de la santé. Au niveau de l’agriculture, les investissements dans l’aménagement des bas-fonds et plaines agricoles doivent l’être au maximum à l’effet de mieux soutenir la production agricole et valoriser les produits locaux, car le problème d’écoulement décourage le plus souvent les producteurs.
Si l’Etat facilite la mise en place des unités de production, de transformation et de commercialisation, nous pouvons passer de pays importateur à celui d’exportateur de certains produits agricoles. D’ailleurs, j’avoue sincèrement ne pas comprendre pourquoi notre pays continue d’importer du riz, du poisson, des poulets, alors que le potentiel y est.