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Burkina Faso : « Je pense que les voix seront partagées et que nous irons vers un second tour »

Publié le mardi 3 novembre 2020  |  netafrique.net
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© aOuaga.com par A.O
An 1 de l`investiture de Roch Kaboré : le CGD organise un débat démocratique
Jeudi 29 décembre 2016. Ouagadougou. Salle de conférences du CBC. Le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a organisé un débat démocratique sur le premier anniversaire de l`investiture de Roch Kaboré comme président du Faso. Photo : Thomas Ouédraogo, directeur exécutif du CGD
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Le politologue Thomas Ouédraogo analyse les enjeux de l’élection présidentielle qui doit avoir lieu le 22 novembre.

Le 22 novembre, les Burkinabés seront appelés aux urnes. Mais six ans après l’euphorie d’octobre 2014, lorsqu’une insurrection populaire avait entraîné la chute de Blaise Compaoré après vingt-sept ans de règne, l’heure est à la désillusion. Longtemps considéré comme un îlot de stabilité dans la sous-région, le Burkina Faso, a plongé dans une grave crise sécuritaire et humanitaire.

En cinq ans, les attaques liées aux groupes djihadistes au Sahel ont fait plus de 1 600 morts et un million de déplacés ont dû fuir les violences. En lice pour un second mandat, le président Roch Marc Christian Kaboré, élu à 53,49 % des voix en novembre 2015, devrait affronter de nombreux poids lourds de l’ancien régime.
Pour le politologue Thomas Ouédraogo, directeur exécutif du Centre pour la gouvernance démocratique (CGD), les enjeux du scrutin sont nombreux et les voix seront « partagées ».

L’élection de Roch Marc Christian Kaboré le 29 novembre 2015 avait suscité de grands espoirs de changement et de développement. Quel est le bilan du chef de l’Etat cinq ans après ?
Thomas Ouédraogo. Le bilan est mitigé. Au total, selon notre plate-forme de suivi Présimètre, 25 engagements sur 85 ont été réalisés, les autres sont toujours en cours de réalisation.

Il y a eu des efforts dans certains domaines, comme la santé, avec la mise en place de la gratuité des soins pour les femmes enceintes et les enfants de moins de 5 ans ; l’éducation, avec la valorisation du statut des enseignants ; et les infrastructures, avec la construction de forages et de grands travaux de voiries.

Mais il y a aussi une forte désillusion chez les jeunes sur l’emploi. Ils restent les plus touchés par le chômage. La crise sécuritaire puis la pandémie de coronavirus ont donné un coup de frein à l’économie. Il y a un certain désespoir chez les plus pauvres. L’éducation a sensiblement régressé à cause du contexte sécuritaire et plus de 2 500 écoles ont fermé à cause des violences.

Pas d’avancée non plus sur le dossier de la réconciliation nationale et du retour de certains exilés. Le président vient seulement de fixer des objectifs à l’horizon 2021, s’il est réélu. Enfin, la perception de la corruption est très forte sous ce régime.

Et sur la sécurité, thème majeur…
Sur le plan sécuritaire, on peut reprocher des tâtonnements et un manque d’anticipation. La réponse a été trop faible, dictée par les attaques elles-mêmes. On a plus réagi qu’agi. Dans certaines zones, au nord du Burkina, l’Etat semble absent. Mais on ne peut pas non plus compter les morts et les mettre sur le compte du régime. Nous faisons face à un contexte de dégradation sous-régional, avec une intensification des violences sur toute la zone Sahel.

Crise sécuritaire, humanitaire, sanitaire… Le Burkina Faso est à la croisée des chemins. Quels sont les grands enjeux des élections présidentielle et législatives de novembre ?
Après l’enjeu sanitaire, j’en vois quatre autres : d’abord politique. On a une opposition assez forte, avec le retour de nombreux candidats exclus des élections de 2015. Elle a scellé un accord politique au second tour et croit fermement en l’alternance. Et, de l’autre côté, la majorité qui promet un « coup K.O. ». Allons-nous vers une continuité ou une rupture ? Jusqu’ici rien ne dit quelle direction nous allons prendre.

Ensuite, la sécurité sera un enjeu majeur. Au Mali, n’oublions pas que le chef de l’opposition Soumaïla Cissé a été enlevé lors de la campagne législative en mars (finalement libéré le 8 octobre). Comment sera assurée la sécurité des candidats sur le terrain ? Est-ce qu’on aura les moyens de protéger tout le monde ? Il y aura certainement un dispositif exceptionnel. Par exemple, des moyens héliportés sont envisageables, mais attendons de voir les conclusions de la commission sécurité de la CENI (Commission électorale nationale indépendante).

Qui parlera à coup sûr argent…
Cela nous amène effectivement aux enjeux économiques, le troisième de ce scrutin. Comment tenir le scrutin dans un contexte marqué par la précarité, aggravée récemment par la pandémie du Covid ? Des élections coûtent déjà très cher à organiser et le budget consacré à la sécurité risque d’être lourd.

D’autant qu’il y a la crise humanitaire, le quatrième enjeu. Nous avons plus d’un million de déplacés dans le pays aujourd’hui. Est-ce qu’ils pourront voter ? Est-ce leur priorité ? La question est posée et doit être considérée par les candidats. Enfin, l’autre enjeu est celui de la réconciliation nationale. On voit un début d’apaisement, avec des acteurs politiques qui insistent davantage sur la cohésion sociale et la paix.

Justement, selon la Commission électorale nationale indépendante, 1 600 villages, dont 22 communes, n’ont pas pu être enrôlés à cause de l’insécurité, 14 provinces sur 45 sont en état d’urgence, une partie de la population risque de ne pas pouvoir voter…
Effectivement, le scrutin ne pourra certainement pas se tenir dans certaines zones à cause de l’insécurité, des citoyens seront manifestement exclus, privés de leur droit de vote. Mais les partis politiques ont tranché, en actant la modification du code électoral (adopté le 25 août à la majorité par les députés), qui instaure la notion de « force majeure » et dit que seuls les résultats des bureaux de vote ouverts seront pris en compte.

En faisant ce choix, les acteurs politiques se montrent surtout pragmatiques. La loi permet de régler la question de la validation du scrutin, néanmoins celle de la légitimité des acteurs va se poser. Comment est-ce que ces électeurs « exclus » de fait percevront par exemple un député dont ils n’ont pas participé au choix ? Que fait-on du principe d’universalité ?

Une dizaine de candidats devrait se présenter et le chef de l’Etat devra affronter plusieurs poids lourds, comme le chef de file de l’opposition Zéphirin Diabré ou encore Eddie Komboïgo du Congrès pour la démocratie et le progrès, l’ancien parti de Blaise Compaoré. Quelles chances ont ces forces en présence ?
On va vers des élections disputées. La plupart des candidats croient fermement qu’ils ont leur chance. Beaucoup ont l’avantage de l’expérience de l’appareil d’Etat, plusieurs ont déjà été ministre et certains premiers ministres. Ils connaissent les logiques de mobilisation. Je pense que la différence se fera surtout sur les moyens.

On devrait assister à une démonstration de force, une campagne de titans. Le président actuel a toutes ces ressources-là, renforcées par l’implication des ministres dans la campagne et le soutien des opérateurs économiques. Mais rien n’est joué d’avance. Il aura face à lui de gros gabarits qui vont miser sur la mobilisation de masse et mettre en jeu des offres concurrentielles. Je pense que les voix seront partagées et que nous irons vers un second tour.

C’est une année électorale pour la sous-région, en Côte d’Ivoire en octobre, au Ghana et au Niger en décembre. Quels sont les enjeux globaux ?
Tous ces pays ont une frontière avec le Burkina Faso. En cas de crise ou d’instabilité, il pourrait y avoir des répercussions sur notre pays. D’abord parce que la diaspora burkinabée est très importante en Côte d’Ivoire. Chaque fois qu’il y a des tensions là-bas, on ressent les soubresauts ici.

Si ça s’embrase en Côte d’Ivoire et que les gens rentrent en masse, comme en 2000, ce sera difficile à gérer. Ensuite, la stabilité de la sous-région est en jeu. Les pays tentent de renforcer leur coopération transfrontalière dans la lutte antiterroriste. Le Ghana, par exemple, fait partie des quelques pays à résister à la propagation de la menace terroriste. Si on perd ce corridor, ce sera très compliqué.

Avez-vous confiance en la tenue d’élections transparentes, crédibles et apaisées le 22 novembre ?
Oui, absolument. Ce que j’entends me rassure, il y a la volonté d’aller vers un scrutin apaisé. Personne ne veut être la cause que nous allions vers l’abîme. Les acteurs politiques en sont conscients et devront s’engager moralement en signant un code de bonne conduite. Il ne faut pas confondre les frustrations ou les ressentiments de certains avec une volonté de faire couler le pays. En cas de contestation des résultats, il y a des voies de recours légales.

N’oubliez pas cette formule : le Burkina Faso sait sauver l’essentiel. Et notre pays, c’est l’essentiel. Nous n’avons pas beaucoup de richesses, mais nous avons celle des hommes et cette culture qui nous maintient ensemble, quels que soient les moments de frictions.

Les élections nous donnent justement l’opportunité de repenser les problématiques qui nous pèsent aujourd’hui, comme la sécurité et la réconciliation. De prendre un nouveau souffle, un nouveau départ. Et la campagne sera, je l’espère, une grande rencontre des idées.
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