Le 22 novembre, devraient se tenir l’élection suprême et celle des députés. Mais les organiser dans l’est et le nord du pays est un véritable défi au vu de la situation sécuritaire.
Il a d’abord attendu, guetté, espérant voir les opérateurs munis de leur petite machine arriver dans son village, près de Logobou, dans l’est du Burkina Faso. Puis il a fallu s’y résoudre. « C’était un choc, personne ne viendrait nous enrôler », lâche cet instituteur, joint par téléphone et sous couvert de l’anonymat, qui, « pour la première fois », ne pourra certainement pas voter lors des élections présidentielle et législatives prévues le 22 novembre prochain dans son pays.
Depuis 2015, les attaques terroristes ont fait plus de 1 100 morts au Burkina Faso et contraint plus d’un million de personnes à fuir leur foyer. Enclavée, assiégée par les groupes armés, Logobou est devenue inaccessible à tout représentant de l’Etat depuis le début de l’année. Au total, 1 619 villages et secteurs (sur 9 299), dont 22 communes, n’ont pas été couverts par l’opération d’enrôlement sur les listes électorales menée du 3 janvier au 17 juillet à cause de l’insécurité, selon la Commission électorale nationale indépendante (CENI).
Difficile d’estimer le nombre exact d’habitants dans ces localités, principalement situées au nord et dans l’est du pays, les autorités ayant souvent été contraintes de déserter. A titre indicatif, les 22 communes non couvertes représentent déjà près de 417 000 personnes majeures en 2020, d’après l’Institut national de la statistique et de la démographie.
Mairie incendiée, écoles saccagées
Un chiffre important, mais la CENI insiste : « Il faut faire la part des choses entre l’enrôlement et le vote. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait l’enrôlement dans une commune qu’on ne peut pas y organiser des élections. Dans chaque commune, il y a ce qu’on appelle un fichier électoral biométrique permanent. La révision permet de prendre de nouveaux électeurs, mais ça ne supprime pas le droit des anciens. Donc tous ceux qui sont inscrits dans les différentes communes du pays, si la situation sécuritaire le permet, tout le monde peut voter », a expliqué son président Newton Ahmed Barry, le 15 septembre, lors de la publication du fichier électoral, qui compte quelque 6 millions d’électeurs potentiels.
Mais à Logobou, qui comptait 60 000 habitants lors du dernier recensement de 2006, certains se sont déjà résignés. « Les forces de l’ordre et les fonctionnaires ont fui, les écoles ont fermé. Maintenant, on nous prive du droit de vote, l’Etat nous a abandonnés… », s’énerve l’instituteur, l’un des derniers à être restés. Il est contraint aujourd’hui de « vivre caché ». « C’est simple, je ne me sens plus burkinabé aujourd’hui ! », se désole-t-il.
Le 9 janvier, la mairie de la commune a été incendiée par des individus armés. En avril, le collège et le lycée ont été saccagés, le corps du gardien de l’établissement retrouvé criblé de balles. Pris pour cible, les représentants de l’Etat ont quasiment tous fui. Comme ce conseiller municipal de Logobou, réfugié à Fada N’Gourma, le chef-lieu de la région de l’Est.
Des « drapeaux noirs »
« Impossible d’y retourner. Là-bas, ce sont les terroristes qui font la loi, ils veulent imposer la charia et tuent les récalcitrants », rapporte cet élu. Un sentiment d’abandon partagé par de nombreux habitants. « A chaque attaque, on appelle les gendarmes, mais personne ne vient nous secourir », affirme un cultivateur de Tansarga, à 40 kilomètres de Logobou, dont la mairie et la préfecture ont été incendiées le 15 septembre.
Dans cette zone boisée, proche du parc du W, à la frontière avec le Niger et le Bénin, les routes, difficilement praticables en cette saison des pluies, sont devenues impossibles à emprunter. D’après plusieurs témoignages, des groupes armés contrôleraient certains axes avec des checkpoints et auraient planté des « drapeaux noirs ». « On est obligé de cacher notre uniforme et de prendre des déviations, plusieurs collègues ont été exécutés », confie un policier de Pama, par téléphone. Pour accéder à certaines communes, comme la ville de Djibo, au Sahel, ou Pama, dans l’Est, la CENI a été obligée d’acheminer ses agents d’enrôlement en hélicoptère.
Reste que de nombreux villages, soit près d’un tiers du territoire, demeurent inaccessibles. Le 25 août, les députés ont tranché en votant à une large majorité la modification du code électoral. Celui-ci prévoit qu’en cas de « force majeure ou de circonstances exceptionnelles », seuls les résultats des bureaux de vote ouverts seront pris en compte.
Une « loi d’exclusion » et un « attentat contre la démocratie et la cohésion sociale », dénonce Ahmed Aziz Diallo, le député-maire de Dori, chef-lieu de la région du Sahel. A moins de trois mois du scrutin, le nouveau code électoral sonne pour certains élus comme « un aveu d’impuissance » et consacre la perte d’autorité sur une partie du territoire.
Un « effet tâche d’huile » venu du Mali ?
En juillet, un rapport parlementaire avait déclenché la polémique en préconisant de « reporter les élections législatives d’un an ». « Des provinces ne seront pas représentées à l’hémicycle. Quelle légitimité aura cette Assemblée ? Tenir les élections sans certaines provinces s’apparente à de l’exclusion », avait défendu le président de l’Assemblée nationale, Alassane Bala Sakandé.
Si, depuis, la majorité présidentielle et l’opposition se sont accordées sur le « maintien du calendrier électoral », de nombreuses questions subsistent. Comment accéder aux villages en « zone rouge » ? Comment y assurer la sécurité des candidats et des électeurs ?
« On devra se réduire au chef-lieu, impossible d’aller dans les villages à cause du risque de mines, d’assassinat ciblé ou d’enlèvement », s’attriste Goulla Odagou, député de la Komondjari (est), où seuls 17 bureaux d’enrôlement sur 130 ont pu ouvrir. Au Burkina Faso, la classe politique reste hantée par l’enlèvement du chef de l’opposition malienne Soumaïla Cissé le 25 mars, en pleine campagne législative, dans la région de Tombouctou par des présumés terroristes.
La contestation des résultats du scrutin, le coup d’Etat militaire et la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta (« IBK »)… Le déroulé des événements au Mali inquiète son voisin burkinabé. En coulisses, certains observateurs craignent même un « effet tâche d’huile ». Pour le politologue Kassem Salam Sourwema, l’exclusion d’une partie des électeurs des urnes en novembre au Burkina Faso menace « d’entacher la légitimité des résultats ». « Si les vainqueurs ne parviennent pas à rassembler, à répondre aux besoins urgents de la population et à incarner le changement, le risque de contestation sociale est fort », souligne le chercheur.