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Travail non rémunéré « Il biaise les politiques publiques de développement », dixit Dr Barbara Ky

Publié le mardi 1 septembre 2020  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
Dr Barbara Ky économiste de formation, chercheure, experte dans les domaines de l`analyse macroéconomique intégrant le genre
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Auteure du livre « Le travail non rémunéré, enjeux pour le développement », Dr Barbara Ky, est économiste de formation, chercheure, experte dans les domaines de l’analyse macroéconomique intégrant le genre, de la conception et de l’analyse d’enquêtes statistiques budget-temps, et des questions sexo-spécifiques, en général. Actuellement directrice du genre à la Commission de l’UEMOA, elle aborde dans l’entretien ci-dessous le concept de travail non rémunéré, les conséquences fâcheuses de sa non prise en compte dans les politiques publiques et son impact sur le développement humain.

Sidwaya (S) : Que renferme la notion de travail non rémunéré?

Dr Barabara Ky (B. K.) : Pour l’instant, on ne dispose pas d’une définition unanimement reconnue du Travail non rémunéré (TNR). Au sens du Système de comptabilité national des Nations unies (SCN), on peut considérer qu’il s’agit des activités donnant lieu aux biens et services produits par les ménages pour leur autoconsommation. Par exemple, l’abattage d’arbres, la construction d’habitations, la transformation de produits agricoles, la mouture de grains, la collecte du bois, la collecte de l’eau, la préparation des repas, le soin et l’éducation des enfants, le nettoyage, etc. Ce travail non rémunéré est accompli aussi bien par les hommes que par les femmes ; mais davantage par celles-ci, compte tenu de la division sexuelle du travail dans nos sociétés. Ce sont les activités dites de reproduction sociale.
Mais il y a une précision importante à faire. Lorsque l’on parle de travail non rémunéré, cela ne veut pas dire que l’on exige une rémunération pour ce travail. C’est un terme de comptabilité nationale traduit de l’anglicisme Unpaid work.


S : Est-ce un nième concept importé ou un véritable enjeu de développement pour un pays comme le Burkina Faso?

B. K . : Ce concept n’est pas nouveau. Seulement, c’est maintenant que l’on commence à admettre son importance. J’ai commencé à travailler sur la question en 2007 dans le cadre ma thèse, soutenue en 2010 à Paris. Nous étions à cinq ans de la révision des Objectifs du millénaire pour le développement. Ceux-là ne considéraient pas le TNR. L’idée était que si l’on veut vraiment réduire les inégalités de genre, il faut adresser cette question. La thèse donnait le protocole scientifique qui sous-tend cette idée, en se fondant sur une analyse du travail dans l’histoire de la pensée économique, de l’évolution du discours de la pauvreté (qui n’est pas que monétaire) et des stratégies de lutte contre la pauvreté promue par nos politiques de développement. Après la soutenance, j’ai eu l’opportunité de donner de nombreuses conférences à travers le monde, mais plus en Europe, en Asie et en Amérique où cela intéressait davantage qu’en Afrique où pourtant le TNR est plus important. A ma grande surprise, en 2015, les Objectifs du développement durable intégraient le TNR.
Il s’agit d’un enjeu essentiel pour les pays en développement, à plus d’un égard. Sur le plan macroéconomique, pour la comptabilisation du PIB et partant, des agrégats macroéconomiques ; et au niveau microéconomique, pour son incidence sur les agents économiques qui le fournissent.

S : Quelle est la réalité du phénomène au Burkina Faso ?

B. K. : Le travail non rémunéré des hommes et des femmes est très important au Burkina Faso. Il représente 63% du Produit intérieur brut (PIB). Il y a une partie du TNR qui, en principe, est comptabilisé dans le PIB et une autre partie que le SCN recommande de comptabiliser dans les comptes satellites de production des ménages.

S : Ce travail non rémunéré n’est pas pris en compte dans le calcul du PIB. Est-ce à dire que le PIB tel qu’il a toujours été présenté est erroné ?

B. K. : Jusqu’à présent, nos Etats ne font pas les enquêtes nécessaires pour capter cette production non rémunérée. Elle se comptabilise à partir des enquêtes statistiques budget-temps. Nos PIB sont ainsi amoindris du fait de la non-comptabilisation de toute cette grande partie de nos productions dites domestiques. Chaque jour, combien de milliers de femmes vont à la recherche de l’eau, du bois ?
C’est au regard de l’importance de cette production, et de la définition du travail en sciences économiques, que le SCN recommande d’inclure une partie dans le PIB. Lorsque l’on prétend que nous vivons avec moins de deux dollars par jour, ce n’est pas vrai ! En réalité, il y a d’autres productions qui viennent élargir les assiettes de consommation des ménages et qui ne font pas l’objet de comptabilisation.

S : Ce concept engendre-t-il une révolution majeure dans l’analyse économique ?

B. K. : Je le pense. Lorsque l’on aborde cette question, on se laisse rapidement aller à la dimension activiste du genre. Pourtant le problème de fond est économique. La révolution réside dans le fait qu’il faille revisiter les fondamentaux sur lesquels l’analyse économique se fonde depuis la nuit des temps pour ne pas considérer ce travail. L’économiste a toujours considéré uniquement l’économie marchande au détriment de l’économie domestique. Pourtant les deux sont interdépendantes et interagissent. Il est temps de lever le voile, même si cela est très complexe. On apprend par exemple en faculté d’économie que le déterminant majeur de l’offre de travail c’est le salaire. Certes. Mais lorsqu’on considère le genre, c’est-à-dire la sexo-spécificité, on se rend compte que le travail non rémunéré est un déterminant majeur de l’offre de travail féminin ! Si une femme a quatre enfants en bas âge et qu’elle n’a personne pour les garder, elle ne peut pas offrir sa force de travail sur le marché quel que soit le salaire. Idem pour l’homme mais c’est plus plausible pour la femme. Il faut donc corriger en sciences économiques cette façon d’appréhender l’offre de travail. C’est là un exemple d’intégration du genre dans la théorie économique.

S : Concrètement, en quoi la prise en compte du travail non rémunéré dans le PIB change-t-il la situation de la femme ?

B. K. : La prise en compte effective de la partie du TNR autorisée à être dans le PIB change aussi bien la situation des hommes que des femmes. Cela permet de mieux appréhender l’économie dans son ensemble, d’avoir un PIB plus juste. Comme vous le savez, c’est à partir du produit que l’on construit les agrégats macroéconomiques, et partant, les politiques économiques. Si notre produit ne reflète pas la réalité de la production économique, il va sans dire que les agrégats qui en sont issus sont biaisés.

S : Le travail non rémunéré est-il néfaste pour les femmes ?

Compte tenu du temps qu’il occupe, le travail non rémunéré est un frein au développement des capabilités, qui sont l’ensemble des éléments qui permettent à un individu de capter les opportunités de développement. Les capabilités viennent d’Amartya Sen, prix Nobel d’économie 1998 que mes écrits m’ont permis de rencontrer à plusieurs conférences car ils faisaient le lien entre capabilités, TNR et budget-temps. C’est ce terme qui a été galvaudé pour donner lieu à la notion de renforcement de capacités.

S : Faut-il répartir ce travail entre l’homme et la femme ou payer la femme pour ce qu’elle fait ?

B. K. : La redistribution est fonction du contexte social. Si elle est plus aisée en Occident, elle est difficile dans nos pays, car il faut tenir compte de nos normes culturelles. Mais on peut y penser, petit à petit ! Lorsque le papa dépose les enfants à l’école, c’est une forme de redistribution. Il faut aussi reconnaître cette part de travail non rémunéré effectuée par les hommes. Le bricolage à la maison par exemple est un travail non rémunéré mais qui est l’apanage des hommes !
Il est prématuré de parler de rémunérer ce travail. Cela peut induire d’ailleurs des poussées inflationnistes. Mais, on peut penser à une forme de compensation touchant à la protection sociale surtout en milieu rural.

S : Quelles leçons en tirer pour les pouvoirs publics de développement ?

B. K. : Les leçons sont multiples. Entre autres, les enquêtes budget-temps devraient entrer dans les habitudes des instituts de statistiques comme les enquêtes démographiques ou celles sur les conditions de vie des ménages ! Elles permettent aussi de préciser les statistiques de la main d’œuvre ! Les pouvoirs publics doivent mettre en place des infrastructures pour réduire le temps consacré au TNR, par exemple mettre en place des crèches, multiplier les points d’eau pour soulager les femmes des zones rurales! Cela contribuerait à améliorer leur productivité.

S : La budgétisation sensible au genre constitue-elle aussi une solution?

B. K. : L’ensemble des mesures énoncées ici ne peuvent être effectives que par la Budgétisation sensible au genre (BSG). L’ensemble des ministères concernés doivent les prévoir dans leurs programmes, depuis leur conception. D’ailleurs, le basculement au Budget-programme pour les pays de l’UEMOA est une opportunité pour la BSG.
La question de la budgétisation sensible est importante d’autant plus qu’au niveau international, le PEFA (Public Expenditure and Financial Accountability) qui est le cadre de suivi des performances des Etats en matière de finances publiques, intègre désormais l’égalité de genre.
Le FMI commence à promouvoir la BSG. Cela apporte un plus à la problématique, car jusque-là, le genre est abordé seulement sous l’angle des droits humains. Pourtant, la réduction des inégalités est aussi un facteur de croissance économique ! L’importance du travail non rémunéré illustre le potentiel de développement inexploité des femmes! Il nous appartient de prendre et mettre en œuvre les mesures idoines pour que les femmes et les hommes passent le moins de temps possible à ces activités pour plutôt se consacrer à d’autres plus productives, susceptibles de véritablement contribuer au développement du Burkina Faso.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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