Au Burkina Faso, les mesures de confinement prises pour éviter la propagation de la COVID-19 ont contribué à réduire la fréquentation des centres de santé et l’accès aux soins de santé sexuelle et reproductive. Ce qui fait craindre une augmentation des grossesses non désirées et par ricochet, des avortements clandestins.
Flora n’a plus la tête aux études. Etudiante en 1re année de Lettres modernes à l’université Norbert-Zongo, elle n’en a cure des derniers devoirs pour valider l’année académique. « Je veux juste qu’on prie pour moi. Seule la prière peut me sauver », proclame la catholique « convaincue ». Son mal ? Elle s’est débarrassée clandestinement d’une grossesse non désirée. Le dernier séjour de Flora chez son oncle, le frère aîné de son père, a viré au cauchemar. Après la suspension des cours en mars 2020 du fait de la maladie à coronavirus, elle quitte la cité universitaire pour passer du temps en famille, à la demande de l’oncle. Là-bas, elle cohabite avec ses cousins. Mais le comportement de l’aîné de la famille, lui aussi étudiant, agace la jeune fille. Elle confie avoir plusieurs fois été victime d’attouchements de sa part.
Interpellé à chaque fois, il s’excuse. Début mai 2020, l’oncle et son épouse se rendent à Dédougou pour des obsèques, une occasion pour son cousin de continuer son funeste projet. « A cause du couvre-feu, tout le monde était à la maison à 20 h. Nous avons suivi la télévision jusque tard dans la nuit. Je suis rentrée me coucher. Il a toqué à ma porte prétextant me demander un chargeur de téléphone. Quand j’ai ouvert la porte, il m’a poussée sur le lit et m’a menacée avec un couteau », décrit l’étudiante, la tête baissée, fuyant tout regard. Flora sanglote, suffoque avant de lâcher, à chaudes larmes : « Il m’a violée ». Elle garde son secret, se culpabilise, se recroqueville… En juin, les signes d’une grossesse se font sentir : les vertiges, la fatigue, la nausée… Flora finit par se confesser à sa maman. Celle-ci lui conseille de s’en débarrasser, pour ne pas écorcher l’honneur de la famille. Chose faite ! Flora a le sommeil troublé et son année académique se trouve menacée. Outre la hantise d’avoir « mis fin à une vie », elle se plaint de douleurs, de saignements et de l’irrégularité de ses menstrues depuis qu’elle s’est fait avorter par un tradi-praticien.
Difficultés d’accès aux soins de SSR
Les risques de violences sexuelles, de Grossesses non désirées (GND) et d’avortements clandestins durant cette période de confinement sont élevés du fait de la promiscuité et des difficultés d’accès aux Services de santé sexuelle et reproductive (SSR), selon les spécialistes de la santé et les acteurs de la promotion de la SSR. « Les hommes et les femmes étant à la maison et chaque fois ensemble, c’est une occasion d’être en relation très intime », explique Dr Norbert Djiguemdé, médecin gynécologue-obstétricien au Centre hospitalier régional (CHR) de Koudougou. La gestion de la pandémie a éprouvé le système de santé, reléguant au second plan les questions de SSR. De nombreux centres de santé offrant les soins en SSR ont fonctionné à minima, par moment, selon Marie Brigitte Bayili, sage-femme à la clinique de l’Association burkinabè pour le bien-
être familial (ABBEF)/ Koudougou. La COVID-19 a affecté la fréquentation des centres de santé et surtout ceux des jeunes. Afin de respecter les mesures barrières et de distanciation sociale, de son avis, les jeunes sont restés chez eux pour éviter les endroits à forte concentration humaine. Ce qui a aussi plombé les activités aux questions de SSR et d’avortement sécurisé. « Il y a eu un moment de la crise où nos services se limitaient à 12h au lieu de 15h en temps normal. Le nombre de clients avait aussi diminué, d’autres avaient peur même de venir », soutient Mme Bayili.
L’Institut supérieur des sciences de la population (ISSP) a rendu publique, le jeudi 30 juillet 2020, une étude intitulée : « COVID-19 au Burkina Faso : connaissances, attitudes et pratiques des populations, impact socio-économique sur les ménages et sur l’accès aux services de santé ». Il y révèle que près de 25% des femmes ont évité d’aller dans un centre de santé par peur d’être contaminées. La faible fréquentation des centres de santé a occasionné, foi de Marie Brigitte Bayili, des rendez-vous manqués avec des clientes. Elle explique qu’il s’agit des dames dont les contraceptifs sont arrivés à terme et qui n’ont pu être renouvelés à temps, du fait de coronavirus. Mariam, elle, enseigne dans une bourgade dans le Centre-Ouest, à une centaine de kilomètres de la capitale. Du fait de l’arrêt des transports en commun et de la mise en quarantaine de Ouagadougou, elle n’a pas pu faire le déplacement pour s’approvisionner en pilules. Rentrée à Koudougou pour ses vacances, Mariam est enceinte de 2 mois. Une grossesse qu’elle ne désirait pas de sitôt !
74% des GND aboutissent à un avortement
Etienne Koula est chargé de communication à SOS/ Jeunesse et défis, une structure qui promeut les droits en SSR. Il fait savoir que l’inactivité des jeunes et surtout des élèves du fait de l’absence des cours est un facteur de risques. « Les jeunes n’étant plus occupés, cela peut donner lieu à une sexualité intense. Les services de santé étaient moindres. Les centres d’écoute pour jeunes étaient fermés dans de nombreux endroits », fait-il remarquer. Déjà difficiles d’accès, les soins en SSR des adolescents et des jeunes sont devenus presqu’une denrée rare. Pourtant, « en cette période de pandémie, la demande en contraceptifs est forte », argue la sage-femme de l’ABBEF/ Koudougou. Les besoins non satisfaits constituent des facteurs de risques. Selon des sources de SOS/Jeunesse et défis, des centres de santé ont fait cas d’une multiplication des consultations dans les maternités et les services de gynécologie.
« Il y a une implosion de Grossesses non désirées (GND) chez les jeunes filles, surtout les élèves. Les risques de GND sont très élevés durant cette période. Par conséquent, il y aura un nombre important d’avortements clandestins, avec toutes les conséquences que cela comporte. Il y a lieu donc de craindre une hausse de la mortalité maternelle », s’inquiète Etienne Koula. Une étude du ministère de la Santé portant sur la période d’avril 2018 à mai 2019 montre que 74% des grossesses non désirées ont abouti à des avortements clandestins. Le gynécologue, Dr Norbert Djiguemdé, explique, en effet, que la pandémie a exacerbé la vulnérabilité des jeunes filles et des femmes, avec un impact non négligeable sur leur santé sexuelle et reproductive. En confinement, des jeunes filles et des femmes sont sujettes à des violences sexuelles, tombent enceintes, mais n’accèdent pas aux soins de SSR et d’avortement, regrette M. Koula.
« Préserver la vie et la santé de la femme… »
Dans ce cas de figure, la législation burkinabè autorise de recourir à un avortement sécurisé, précise la coordonnatrice de la Communauté d’actions pour la promotion de la santé sexuelle et reproductive (CAPSSR), Awa Yanogo. Le Code pénal et la loi portant santé de la reproduction notamment, fixent les conditions légales d’accès à un avortement médicalisé pour « préserver la vie et la santé de la femme, en cas de malformations graves du fœtus et en cas de viol ou d’inceste ». A la lumière de cette loi, Flora aurait pu bénéficier d’un avortement sécurisé ; mais encore faut-il qu’elle sache l’existence de cette loi et que la société, notamment son entourage, la lui autorise. Mme Yanogo ajoute que le pays a aussi ratifié de nombreux textes juridiques internationaux qui promeuvent les droits de santé sexuelle et reproductive.
L’un d’eux est le Protocole de Maputo. A travers son article 14, le Burkina s’est engagé à prendre toutes les mesures appropriées pour protéger les droits reproductifs des femmes, particulièrement en autorisant l’avortement médicalisé.
La coordonnatrice de la CAPSSR estime qu’appliquer la loi permettra de réduire considérablement le nombre d’avortements et la mortalité maternelle. Dans la batterie de mesures prises pour gérer la crise sanitaire, Awa Yanogo regrette que rien n’ait été fait pour réduire les risques de GND et d’avortements dans le cadre de la lutte contre la pandémie. Dans un rapport publié courant 2020, Gutmacher Institute souligne que la fourniture de soins essentiels de SSR réduirait d’environ deux tiers les grossesses non planifiées, les avortements non médicalisés et la mortalité maternelle. C’est pourquoi, il encourage les Etats à investir dans les soins de santé sexuelle et reproductive.
(NDLR : Les prénoms des victimes
ont été changés).