Le Burkina Faso est à trois mois des élections couplées présidentielle et législatives. Dans tous les partis politiques c’est l’ambiance de campagne qui prévaut. En attendant Libreinfo.net a rencontré Dr Emile Paré, candidat à la présidentielle de 2005 et 2010,aujourd’hui, il est membre du bureau exécutif du MPP,le parti au pouvoir. Dans cet entretien,il fait son analyse de la situation politique et les élections à venir.
Propos recueillis par Albert Nagréogo
Libreinfo.net : Nous sommes déjà à l’orée des élections, comment les choses se préparent au niveau du MPP ?
Dr Emile Paré:Si vous voulez aller très loin vous devez ménager votre monture. C’est pourquoi depuis plus de trois (03) mois nous sommes engagés dans notre processus d’organisation pour affronter les élections couplées du 22 novembre 2020.
Libreinfo.net : est-ce que le bilan du Président Kabore vous rassure d’une victoire ?
Dr Emile Paré : Vous vous souvenez en 2015 lorsque très tôt le président feu Salif Diallo avait annoncé la victoire au quart de tour, d’aucuns ont dit que nous sommes des bavards, qu’on fait les gonflés et qu’il n’est pas possible que nous passions au premier tour. La suite a montré qu’il avait bel et bien raison. C’est un visionnaire. C’est fort de cette expérience des élections de 2015, que nous nous sommes mis à la tache depuis longtemps et je crois également avec le président Simon Compaoré que la victoire est assurée au premier tour. Le quart de tour est déjà assuré. Et je pense que ce n’est pas une vue de l’esprit, c’est le résultat d’un processus d’action, d’un processus d’organisation que nous avons entamé depuis plus d’un an. La présidentielle de 2020 est déjà gagnée.
Libreinfo.net : Salif Diallo que vous évoquez est absent, est-ce que cela ne va pas jouer sur votre campagne, y a pas d’inquiétude ? Comment vous compter combler le vide ?
Dr Emile Paré : il est évident que nous regrettons l’absence de Salif Diallo. Mais comme nous l’avons dit, le MPP est un parti créé par des hommes qui ont l’expérience de la chose politique et je n’ai cessé de le dire, c’est depuis le mouvement estudiantin que ces leaders se connaissent. De mouvement clandestin dans le mouvement étudiant, ils sont passés à des mouvements officiels à travers les partis politiques et l’un dans l’autre vous savez très bien quand vous regardez l’histoire du MPP, c’est une fusion de plusieurs partis politiques animés par des hommes politiques avérés connus sur la scène politique. De ce point de vue, tout en reconnaissant au président Salif Diallo ses qualités de visionnaire, de stratège et de tacticien d’organisateur hors pairs, on pourrait penser à raison que son absence va se faire sentir au cours de ces élections. Mais globalement, le président Salif Diallo n’a pas travaillé seul, il a travaillé avec d’autres camarades. Le MPP en tant que parti démocratique, ses dirigeants et militants ont travaillé en collégialité avec le camarade Salif Diallo pour la conquête du pouvoir en 2015 et de ce point de vue nous regrettons certes l’absence du président Salif Diallo, mais en réalité nous allons travailler à combler ce vide. Nous en avons les capacités politiques, les capacités organisationnelles car ce n’est pas la première fois que les leaders actuels participent à des élections.
Libreinfo.net : Vos adversaires disent également que vous avez une expérience de fraude, comment appréciez-vous les inquiétudes qui naissent au niveau de l’opposition en termes de manipulations ?
Dr Emile Paré : je pense que pour quelqu’un comme moi, qui a affronté le CDP que vous connaissez très bien aux élections présidentielles de 2005 et aux élections présidentielles de 2010, j’avais une connaissance de la machine de fraude du CDP à l’époque. Mais ce que les gens doivent savoir, c’est que depuis l’insurrection populaire et depuis l’organisation de la transition je pense que la machine de fraude du CDP a disparu. Le MPP s’est engagé « à écrire une nouvelle page de l’histoire politique de notre pays » et c’est une nouvelle page qui doit renforcer le processus démocratique, instaurer dans notre pays une véritable démocratie dont un des éléments fondamentaux est l’organisation régulière d’élections libres transparentes et équitables. Et je crois que pour les élections de 2015 ce n’est pas le MPP qui les a organisé mais ces élections ont été reconnues libres, équitables et transparentes au point que les adversaires du président Roch Kabore l’ont félicité avant même la publication des résultats officiels par le conseil constitutionnel. Je ne vois pas pourquoi nos adversaires aujourd’hui nous parlent de fraude.
Libreinfo.net : Il y a des militants du parti de la majorité qui ont été pris par la gendarmerie et la police qui sont même incarcérés pour des inscriptions douteuses sur les listes électorales, est-ce qu’il n’y a pas raison de douter ?
Dr Emile Paré: Nous n’avons pas de militants MPP parmi ces gens. Moi je cause MPP. Le MPP va seul aux élections législatives et le MPP s’est donné pour objectif d’obtenir seul la majorité absolue. Bien entendu le MPP va en alliance aux élections présidentielles. Mais on ne peut en déduire que nous sommes responsables de l’attitude des partis de l’alliance. De ce que je sais, si on trouve un militant MPP entrain de frauder à ces élections, sachez que c’est une initiative individuelle ou locale et non commanditée par la direction du parti. Nous n’avons pas fraudé en 2015 ; nous n’avons pas besoin de frauder en 2020 pour gagner.
Libreinfo.net : Quels sont vos atouts aujourd’hui ? Le bilan de Roch Kabore ou la structuration du parti ?
Dr Emile Paré:Du point de vue de la stratégie électorale nous avons intégré et combiné plusieurs facteurs qui vont nous permettre de remporter les élections au premier tour. Et parmi ces facteurs, il y a le bilan du président Roch Marc Christian Kaboré. Ce bilan est sans appel dans le domaine de la santé, dans le domaine de l’éducation, dans le domaine de l’eau potable, dans le domaine des infrastructures routières et hydrauliques, dans le domaine de l’agriculture et dans le domaine de l’électrification urbaine et rurale. Ce bilan est sans appel en dépit de la situation difficile imposée au président Roch Kabore dès la prise du pouvoir à savoir le terrorisme et la fronde sociale. Malgré cela, le président réalise un bilan positif à près de 80% dans plusieurs domaines. Quelqu’un disait qu’un bilan ne suffit pas pour gagner les élections, Il faut toujours faire rêver le peuple, il faut avoir une vision de développement à long terme, c’est en cela que la structuration du parti, les actions et engagements futurs du parti sont également des éléments clés qui vont nous permettre de gagner les élections au premier tour. Donc nous avons une stratégie qui va reposer certes sur les résultats positifs du président Kabore mais qui va prendre en compte aussi nos nouveaux engagements programmatiques et électoraux vis-à-vis de notre peuple. Quand vous regardez notre structuration, Il y’a pas un seul village sans une structure du MPP. De ce point de vue,on peut dire que le MPP est prêt pour remporter les élections de 2020.
Libreinfo.net : On a des candidats pas des moindres. Eddie Komboigo, Zéphirin Diabré, Roch Kaboré et plein d’autres. Est-ce que le second tour n’est pas inévitable ?
Dr Emile Paré:Nous avons intégré le renouvellement et la recomposition de la classe politique dans notre stratégie électorale. En 2015, des candidats comme Eddie Komboigo et Gilbert Ouédraogo ont été recalés. Pour les élections de 2020, en plus de ces deux candidats, nous voyons apparaitre de nouvelles cartes ; des jeunes « loups » dont les Professeurs Soma et Loada, Maître Ambroise Farama etc. Tous ces acteurs politiques nouveaux sont pris en compte dans notre stratégie analytique du terrain.
Un deuxième tour n’est pas envisageable à notre niveau. Vous savez très bien qu’en matière électorale il n’y a peu de nouveaux électeurs. Les électeurs sont déjà positionnés dans un camp. Le processus démocratique dans notre pays est vieux de combien d’année ? Plus d’une vingtaine d’année. Chaque burkinabè que vous voyez, chaque électeur que vous voyez est positionné dans ou derrière un parti ou un candidat depuis 2015. Donc les débauchages, les flux et reflux d’électeurs permettent difficilement à de nouveaux candidats de gagner. Les experts en sciences politiques comme les professeurs Loada et Soma le savent bien. C’est dire que ces débauchages, ces petits flux et reflux n’entachent pas l’électorat du MPP de 2015 pour ces élections de 2020.
Libreinfo.net : Vous pensez avoir le contrôle de l’Assemblée nationale ?
Dr Emile Paré : Ce qui est intéressant dans les élections de 2020 c’est que l’assemblée va connaitre une nouvelle configuration. Quand vous prenez le CDP, il connait actuellement une déliquescence, des scissions multiples. Dans l’histoire récente du CDP après l’insurrection certains de ses militants et pas des moindres, sont allés à la NAFA du Général Djibril Bassolet. Aujourd’hui d’autres et pas des moindres ont rejoint Kadré Désiré Ouédraogo dit KDO dans son mouvement politique « Agir Ensemble ». D’autres ont quitté pour créer de petites organisations politiques. Enfin d’autres et pas des moindres ont pris congés ou leur retraite politique. Donc on peut imaginer le score du CDP en 2020.
Quand vous prenez l’UPC il a actuellement une situation similaire au CDP. L’UPC connait actuellement plusieurs fractures. La première fracture fut le départ du député Elisé KIEMDE qui a créé son parti l’URD. Puis s’en est suivi celui du député Daouda Simboro et ses camarades démissionnaires du groupe parlementaire UPC qui ont créé le Mouvement Pour le Burkina du futur (MBF). C’est donc sûr (rires) que l’UPC ne reviendra pas avec son score de 2015.
Quand vous prenez le MPP il est resté uni, organisé et solide. Il a perdu certes des camarades comme Salif Diallo, connu quelques départs de militants de base mais il n’a pas connu de scission notable. Donc pour répondre à votre question le MPP est en bonne position pour prendre l’Assemblée Nationale
Libreinfo.net : Plusieurs fois vous avez évoqué que le gouvernement n’est pas politique, ça veut dire naturellement que le Président puise ses ressources humaines hors du parti. Comment vous comptez arriver aux élections avec cette distance entre le président et le parti ?
Dr Emile Paré:En ce qui concerne l’architecture et la composition du gouvernement durant les cinq ans de notre gouvernance j’ai toujours eu une position critique. Pourquoi ?parce qu’au MPP c’est la liberté de débats démocratiques et ces débats quelquefois contradictoires visent un seul but : améliorer notre gouvernance en corrigeant nos insuffisances.
Moi je suis de ceux qui pensent que si nous voulons renforcer la démocratie, il faut rendre la démocratie très fluide, très transparente avec ses règles de jeux qui sont connues de tous à savoir l’opposition s’oppose, la majorité gouverne et la société civile est neutre appréciant par moment les actions positives du gouvernement et critiquant les actions négatives quand il le faut. Donc pour moi je ne conçois pas des théories du genre « je n’ai pas de parti politique, je ne fais pas la politique, je soutiens le président Rock et je suis dans son gouvernement pour cela ». Tout en sachant que ce président est candidat élu d’un parti le MPP, son parti dont il assumait la présidence avant son élection. Et que son programme de gouvernement n’est rien d’autre que le programme de gouvernement de son parti. Vouloir séparer le président de son parti c’est de l’éclectisme intellectuel qu’on ne voit qu’en Afrique.
C’est donc dire qu’au fond l n’y a pas de distance entre le président et le parti
J’ai eu à le dire, le Président Kabore est comme le capitaine ou l’entraîneur d’une équipe. Il peut faire son classement comme il le veut mais nous pouvons critiquer son classement quand-même.
Libreinfo.net : Ca veut dire que son gouvernement n’est pas une combinaison gagnante ? Comment vous comptez gagner les élections alors ?
C’est le parti qui fait gagner en réalité. Ce n’est pas le gouvernement.
Libreinfo.net : Puisque vous alliez faire la campagne sur le bilan du gouvernement.
Dr Emile Paré : nous allons faire campagne avec le bilan dans les domaines que nous maîtrisons. Si nous ne maîtrisons pas un domaine, nous n’allons pas nous hasarder de parler de cela. Ne me demandez pas par exemple le bilan dans le domaine de la défense, de la communication, de la justice, parce que les ministres de ces domaines n’ont jamais eu de redevabilité à notre direction politique. Pour ces domaines le président Rock himself s’en chargera et j’espère que ce sera positif à l’image des autres domaines que la direction du parti a suivie permanemment.
Libreinfo.net : Donc vous avez échoué dans ces secteurs ?
EP : Non, non. Je ne dis pas qu’on a échoué. Ici il s’agit de nous assumer vis à vis de nos militants et du peuple. Le Président ROCK s’assume vis-à-vis de son gouvernement et du peuple en tant que président de tous les burkinabè. Il faut le relever, le MPP n’est pas un parti Etat, il n’est pas un parti de la dictature d’une classe sur toutes les sphères de la société burkinabè. Par exemple avec la fameuse séparation des pouvoirs sommes-nous responsables des insuffisances au niveau de la justice, notamment la lenteur dans le traitement des dossiers emblématiques de l’insurrection, de Thomas Sankara ? De Norbert Zongo et du juge Salif Nébié ?
Libreinfo.net : une dizaine déjà de candidatures à la présidentielle de 2020, ce n’est pas exclus que d’autres candidatures viennent, comment vous appréciez la qualité de ces candidats déclarés ?
Dr Emile Paré : Je dois dire jusque-là, les candidats déclarés sont de qualité. Zeph a dit que les trois baobabs de la politique burkinabé sont le MPP,l’UPC et le CDP et que les deux derniers vont se coaliser pour terrasser le baobab MPP. Je constate que les deux se sont déclarés sans coalition alors ils sont cuits. Comment peut-on aller dans une arène politique sans la volonté de gagner au premier tour et compter sur un hypothétique deuxième tour pour rendre la coalition effective?.
Et voilà un candidat indépendant, Kadré Desiré Ouédraogo qui se déclare, donc il y a quand-même des candidats de taille. Et Tahirou Barry et Me FARAMA qui disent incarner la jeunesse et la rupture générationnelle. Et les professeurs Loada et Soma qui veulent appliquer à la société burkinabè leur science politique enseignée dans les Amphi de l’université.
Il y a donc tous les types de candidats c’est en cela que la campagne sera palpitante. Personne ne dira au soir du 22 novembre que le MPP a gagné par défaut ou par fraude.
Libreinfo.net : Le CDP en lice pour la présidentielle, est-ce que vous ne sentez pas l’ombre de Blaise Compaoré sur ces élections ?
Vous savez, c’est un des points noirs de notre gestion du pouvoir durant les cinq ans. Le peuple qui a fait l’insurrection au risque de sa vie, qui a chassé le président Blaise Compaoré qui a changé de nationalité, (Kouassi, Kouadio ou Kouakou) et qui a un mandat international sur son dos que ce peuple voit Blaise Compaoré intervenir librement dans les affaires politiques du Burkina vraiment ça me choque. Que son parti le CDP agite librement le spectre de son retour comme stratégie de conquête du pouvoir c’est ahurissant quel cas d’école politique ?
Pour moi le président Compaoré doit avoir la décence de se taire sur les questions ayant trait à la vie politique du Burkina Faso tant qu’on n’a pas finis de gérer le passif concernant son régime et négocier son retour au pays en tant qu’ancien président de tous les burkinabè. Vouloir continuer à participer à la politique dans ce pays c’est aggraver son sort et celui de ses compagnons.
Du point de vue historique, je n’ai jamais vu un pays où le peuple a chassé le président par voie insurrectionnelle et qui est en exile dans un pays frontalier qui se donne la liberté d’intervenir dans ce pays pour orienter son ancien parti dans la reconquête du pouvoir. Le pays d’exil doit lui exiger le devoir de réserve or ce n’est pas le cas pour Blaise Compaoré, c’est pourquoi avec d’autres anciens parlementaires nous avons exigé l’extradition de Blaise Compaoré. Tant qu’il n’y a pas vérité et justice pour les insurgés des 30 et 31 octobre 2014 le peuple burkinabè ne saurait pardonner à Blaise Compaoré et les caciques de son régime.
Libreinfo.net : Quelle est la position du parti dans ce cas ?
Dr Emile Paré : sur ces questions le parti ne s’est jamais penché. La position que je donne est une position individuelle. En tout cas ça c’est le point noir qui me diverge avec un certain nombre d’acteurs politiques.
Quand je vois ou j’entends Melégué ou Eddie parler, Blaise est utile, quand je vois le CDP faire des photos de Blaise Compaoré, les photos emblématiques de leur campagne de 2020,je considère que c’est de la provocation envers le peuple. Les cadres intellectuels du CDP sont-ils incapables de se construire une nouvelle voie sans Blaise Compaoré ? La jeunesse du CDP est-elle si incapable au point de manquer d’imagination pour faire la rupture avec l’ère Blaise Compaoré ?