Validation de la candidature de Eddie Komboïgo par Blaise Compaoré : «Aux yeux de beaucoup, les termes de cette lettre, quoique allusifs et courtois, sonnent comme un désaveu»
La désignation du candidat du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), parti de l’ancien Président Blaise Compaoré, a donné lieu à des primaires, qui ont départagé deux prétendants : Eddie Komboïgo, le Président de cette formation et le Député Yahya Zoungrana. Eddie Komboïgo qui était le favori de cette compétition interne, du fait de sa position de dirigeant du parti et des moyens financiers qu’il est réputé avoir engagés pour s’assurer le suffrage des votants, est sorti largement vainqueur de ces primaires. Celles-ci se sont déroulées au sein d’un collège de proposition, regroupant les principales instances du parti, sous la présidence de Bernard Nabaré.
L’étape suivante, prescrite par les règles du CDP, était la validation du choix du Collège par le Président d’honneur, Blaise Compaoré, avant que cette proposition soit soumise à un congrès qui prononcera l’investiture finale du candidat.
Dès l’achèvement des délibérations du Collège de proposition, le 10 Mai 2020, les résultats de cette consultation furent transmis au Président Compaoré pour solliciter qu’il valide le choix opéré, afin que le congrès d’investiture puisse être convoqué. Cette approbation de Blaise Compaoré se fit attendre pendant deux mois, ce qui, pour le moins qu’on puisse dire, montrait le peu d’empressement que manifestait l’ancien Chef de l’Etat à entériner le choix de Eddie Komboïgo. Or le temps pressait, tous les principaux candidats à l’élection présidentielle du 22 novembre 2020 étaient connus et fourbissaient leur stratégie. Eddie Komboïgo, candidat putatif du CDP, bien que non-validé faisait de même, mais ses équipes laissaient apparaître leur agacement de devoir attendre un blanc-seing du Président Compaoré, qui tardait à venir pour une raison inconnue, derrière laquelle elles décelaient tout de même un manque d’enthousiasme évident.
Cette longue attente a pris fin les 9 et 10 Juillet 2020, avec deux courriers successifs de Blaise Compaoré, le premier adressé à Bernard Nabaré, le Président du Collège de proposition et le second, destiné à Eddie Komboïgo, candidat pressenti. Ces deux correspondances, au ton très différent, ont enflammé la toile dès leur publication sur les réseaux sociaux dans la soirée du 10 Juillet.
Par sa lettre du 9 Juillet, au style neutre et administratif, Blaise Compaoré félicite le Président du Collège de proposition pour son travail et déclare qu’il valide le choix de Eddie Komboïgo, invitant le parti à poursuivre le processus jusqu’à l’investiture du candidat par un congrès.
La lettre du 10 Juillet adressée à Eddie Komboïgo est celle qui a jeté le feu aux poudres. Elle a une tonalité plus politique et plus critique. Le Président Compaoré commence par exposer les défis multiples auxquels le Burkina Faso est confronté. En rapport avec cette situation calamiteuse, il dresse une sorte de portrait-robot du profil et des qualités que doit avoir la personnalité capable de représenter valablement le CDP dans cette élection.
Et c’est là qu’il s’est passé un phénomène étrange. La plupart des gens qui ont lu cette description y ont vu l’antithèse de la personnalité de Eddie Komboïgo, tellement ce dernier leur est apparu éloigné des qualités préconisées par Blaise Compaoré. Les propres partisans de Eddie Komboïgo ont eu spontanément la même réaction. Ils se sont fâchés parce qu’ils ont tout de suite vu par eux-mêmes que ce portrait ne ressemblait pas à leur champion. Même pour eux il est difficile d’imaginer le fringant et narcissique président du CDP dans la peau d’un homme d’Etat expérimenté, doté d’une grande capacité d’écoute, au fait des problématiques de développement et de sécurité à l’échelle nationale, sous-régionale et internationale…. D’autant que certains passages de la lettre esquissent une critique à peine voilée de la gestion de leur chef : manque de cohésion dans le parti, clientélisme…
Aux yeux de beaucoup, les termes de cette lettre, quoique allusifs et courtois, sonnent comme un désaveu cinglant de l’obstination de Eddie Komboïgo à imposer sa candidature au CDP, quitte à saper l’unité de cette formation et ses chances électorales. Le message subliminal que Blaise Compaoré semble adresser à Eddie Komboïgo est celui d’une nette désapprobation de sa candidature, même s’il se trouve contraint de la valider, pour la forme, par égard pour les règles du parti et par respect pour ses militants. Il est significatif d’ailleurs que nulle part dans cette lettre il ne mentionne qu’il valide la candidature de Eddie Komboïgo, qui pourtant est le principal intéressé, alors qu’il l’a fait la veille dans le courrier purement formel adressé au Président du Collège de proposition.
Les militants et sympathisants du CDP fidèles à Blaise Compaoré, qui constituent l’écrasante majorité, peuvent s’interroger sur la lecture qu’ils doivent faire de ces deux lettres successives et sur la conclusion pratique qu’il convient d’en tirer face aux prochaines élections.
Depuis qu’il a quitté le pouvoir en 2014, l’attitude de Blaise Compaoré à l’égard du CDP s’est caractérisée par son refus d’imposer des injonctions au parti. Il considère les militants comme des citoyens responsables et raisonnables, aguerris par les vicissitudes de la vie politique. Il se contente habituellement de leur prodiguer des conseils, des recommandations et des encouragements. La seule fois où il s’est montré un peu directif, c’était pour demander l’annulation des exclusions qui avaient été prononcées en 2019 et le retrait des plaintes en justice formulées par certains militants contre le parti.
Les Statuts du CDP lui donnent explicitement le droit et la vocation d’exprimer des « orientations » aux militants sur les grandes questions politiques, singulièrement en matière électorale, libre à eux de les suivre, ou de les ignorer.
Si la lettre du 10 juillet 2020 a été rendue publique par des proches de Blaise Compaoré, c’est parce que au-delà de son principal destinataire, elle s’adresse aussi aux militants et sympathisants du CDP. Elle leur parle de notre pays, le Burkina Faso, de ses souffrances, de ses espérances, des vrais enjeux de l’action politique, par-delà les questions de personnes.
Alors lisez attentivement et relisez la lettre en date du 10 juillet du Président d’honneur du parti. Est-ce que vous y voyez le début du commencement de la trace d’une consigne de vote en faveur de Eddie Komboïgo ?
Soyez lucides et sereins. Peu importe que Eddie Komboïgo soit investi comme candidat par un congrès du CDP, vous n’êtes pas obligés de voter pour lui, car la Constitution du Burkina vous en donne la liberté. Le suffrage pour l’élection présidentielle est libre, personnel et secret. Alors le 22 novembre, votez en âme et conscience pour la personnalité qui incarne à vos yeux les espérances du Burkina. Grâce au ciel, elles sont nombreuses dans l’opposition. Vous n’êtes pas condamnés à la médiocrité.