Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Annonces    Femmes    Nécrologie    Publicité
NEWS
Comment

Accueil
News
Société
Article
Société

Dérive: Le Burkina Faso, peu touché par le Covid-19, succombe au virus de l’insécurité

Publié le dimanche 7 juin 2020  |  NetAfrique.Net
Au
© aOuaga.com par Halima K
Au moins 15 civils tués dans une attaque à Kain ouro dans le yatenga
Comment


Alors que la sécurité en Afrique figure au menu du Conseil de sécurité à New York ce vendredi, la dérive du Burkina Faso illustre les inquiétudes persistantes sur la situation au Sahel. Le pays fait face à un «ennemi» souvent insaisissable.

Qui a commis le massacre de Kompienga, une bourgade de l’est du Burkina Faso ? Samedi, en plein jour, des hommes armés ont soudain surgi au milieu du marché au bétail et tiré sur la foule faisant officiellement une trentaine de victimes. Un nouvel acte de terrorisme jihadiste ? La sécurité et la paix en Afrique sont au menu du Conseil de sécurité à New York ce vendredi. Et parmi les sujets de préoccupation, l’irrésistible dérive du Burkina Faso figure en bonne place. Voilà bien longtemps que les violences attribuées aux groupes armés ont anéanti la réputation pacifique et accueillante de ce pays enclavé de l’Afrique de l’Ouest, autrefois destination prisée des touristes. Les attaques récurrentes ont fait plus de 900 morts en quatre ans et poussé 860 000 personnes à quitter leurs foyers. Mais la thèse officielle d’une énième attaque terroriste visant le marché de Kompienga ne convainc pas tout le monde.

Et certains observateurs s’interrogent désormais sur une possible implication des forces armées et surtout de leurs nouveaux supplétifs civils, les «volontaires pour la défense de la patrie», parfois accusés d’être les vrais auteurs de la tuerie. «Personne ne vous le dira ouvertement, mais sur place, des témoins ont affirmé avoir reconnu certaines recrues volontaires. Ce sont des gars de la région, ils se connaissent», insiste un bon connaisseur de la situation sécuritaire du pays. Sans preuve, mais désormais cette version des faits est admise, même comme simple hypothèse, par de nombreux analystes. Alors même que le nombre des victimes fait également l’objet de controverse : est-ce qu’il y a eu une trentaine de morts ? Ou bien près de 70, comme l’affirment certaines sources ?

L’opacité de la situation illustre en tout cas l’un des problèmes récurrents dès qu’on évoque le terrorisme au Sahel : qui est réellement l’ennemi ? Qui tire sur des populations sans défense, au risque de s’aliéner les cœurs ? De «vrais» jihadistes ? Des bandits qui se parent des oripeaux de la religion pour justifier leurs rackets ou leur emprise sur les populations locales ? Ou plutôt les alliés du régime en place qui abusent du pouvoir qui leur a été accordé ?

«L’insécurité a des racines différentes»

«Au Burkina Faso, on désigne toujours les auteurs de ces attaques comme des « individus armés non identifiés ». C’est d’autant plus difficile de savoir qui ils sont que les attaques se déroulent dans des régions désormais isolées par l’insécurité. Personne, ni les journalistes ni les activistes des droits de l’homme ne se rend facilement sur place, car même la route est trop dangereuse», explique un journaliste burkinabé, joint à Ouagadougou, qui préfère parler sous couvert d’anonymat. «La confusion est d’autant plus forte que les jihadistes portent parfois des uniformes de militaires volés pendant des attaques. Et que de leur côté, les forces armées circulent parfois à moto, comme les terroristes», ajoute-t-il. Quant aux fameux volontaires recrutés depuis le début de l’année, personne ne connaît leur nombre, ni le montant du salaire qui leur est versé.

Mais la décision d’armer les civils pour seconder les forces armées dépassées par l’ampleur de l’insécurité, a souvent été dénoncée, jusque dans les rangs des militaires. «C’est une folie, ils sont absolument incontrôlables», souligne encore notre journaliste qui s’inquiète de l’ampleur de l’insécurité qui grignote de larges parties du territoire national. «Depuis le mois de mars, l’est échappe globalement à l’autorité de l’Etat», confirme le chercheur Mahamadou Savadogo depuis Ouagadougou. «En réalité, dans chaque zone, l’insécurité a des racines différentes, ajoute-t-il. Dans l’est, c’est au départ une insurrection locale, liée à un très fort et ancien sentiment d’injustice, de populations lésées et expropriées de leurs terres. Au nord, on ne peut ignorer la proximité de bases arrière implantées à la frontière avec le Mali [également en proie aux groupes armés islamistes, ndlr]. Et dans le centre-nord, elle s’appuie sur un cycle de violences intercommunautaires, renforcées par l’impunité.»

Malgré tout le label djihadiste n’est pas un faux-semblant. «Dans l’est, c’est l’Etat islamique au Grand Sahara qui domine la région. Au nord en revanche, la zone abrite une alliance rassemblant entre autres Al-Qaeda et la katiba malienne du Macina même si ce sont des groupes armés locaux qui agissent», explique encore Mahamadou Savadogo. Reste que d’une région à l’autre, ce sont presque toujours les membres de l’ethnie peule qui sont soupçonnés de connivence avec les groupes armés. Et sont la cible fréquente d’exécutions extrajudiciaires. Le 11 mai, on annonçait ainsi la mort de 12 détenus du poste de gendarmerie de Tanwalbougou, près de la ville de Fada N’Gourma, dans l’est du pays. Tous Peuls. Selon leurs proches, ils auraient été abattus d’une balle dans la tête, le crâne parfois écrasé. Une enquête a été ouverte mais jusqu’à présent les autorités refusent d’entériner la thèse d’une exécution et aucun responsable de cette gendarmerie n’a été mis à pied.

«Au nord et à l’est, tous les Peuls sont considérés comme des terroristes et la cohésion avec les autres ethnies ne fait que se dégrader», affirme pourtant un militaire burkinabé, joint par téléphone jeudi soir. Certes, il reconnaît des «bavures» tout en soulignant la difficulté de faire la différence dans les villages entre ceux qui «sont forcés d’aider les groupes armés» et ceux «qui les applaudissent».

«Comme si on vivait dans un autre monde»
Lundi, une manifestation a eu lieu à Pama, le chef-lieu le plus proche de Kompienga, pour protester contre le massacre du marché mais surtout exprimer le ras-le-bol de populations locales qui se sentent abandonnés face à l’ennemi invisible. «Les FDS [Forces de défense et sécurité, les forces armées du Burkina, ndlr] sont restés inactifs» se plaignent les manifestants dans un communiqué publié à cette occasion. Mais sur le terrain, les militaires burkinabés se sentent souvent eux aussi bien seuls face à cette nébuleuse insaisissable.

«Rien que la semaine passée, dans la zone de Kaya, une équipe est tombée dans une embuscade. Ils ont appelé un renfort de Barsalangho, qui est également tombé dans une embuscade. Ils ont appelé ceux de Kelbo, qui sont également tombés dans une embuscade», énumère encore le militaire. Ajoutant : «Cette semaine, les groupes armés ont ouvert un nouveau front, à Farmana, à la frontière du Mali où ils ont tué deux gendarmes et saccagé le commissariat et la gendarmerie.» Le week-end de la Pentecôte, outre l’attaque du marché de Kompienga, deux convois civils, escortés par des militaires, ont été mitraillés au nord et à l’est, faisant 25 victimes supplémentaires. «Mais à Ouagadougou, c’est comme si on vivait dans un autre monde ! La seule préoccupation du pouvoir c’est le coronavirus», peste Ousmane, un habitant de la capitale.

Avec seulement 884 cas confirmés et 53 morts ce jeudi, le Burkina Faso s’en sort plutôt bien sûr le front de la pandémie. Cette semaine, le couvre-feu a été levé, les écoles ont rouvert, alors que marchés et restaurants fonctionnent à nouveau. Un retour à la normale rassurant. Reste à vaincre l’autre virus, celui d’une insécurité bien plus létale et contagieuse.
Commentaires