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Kadré Désiré Ouédraogo à propos de l’IUTS: « Il est hors de question de diminuer les ressources des travailleurs. Si on ne peut pas faire plus, au moins qu’on ne les diminue pas. »

Publié le mardi 2 juin 2020  |  netafrique.net
Kadré
© Autre presse par DR
Kadré Désiré Ouédraogo (KDO), candidat à la présidentielle de 2020
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Candidat déclaré à la présidentielle de novembre 2020 au Burkina Faso, l’ancien premier ministre Kadré Désiré Ouédraogo était dans nos murs le 26 mai dernier. Pendant plus d’une heure d’horloge, nous avons échangé à bâtons rompus avec celui qui a claqué la porte de l’ex-parti majoritaire, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), le 23 septembre 2019 et qui aspire aujourd’hui à un destin national. Il est aidé en cela par le ‘’Mouvement Agir ensemble pour le Burkina’’ qui, selon ses propos, est déjà représenté dans les 45 provinces du pays. «Si je suis élu, vous aurez un Burkina apaisé», a promis celui-ci qui a aussi occupé de hautes fonctions à la BCEAO et à la CEDEAO.

En 2015, beaucoup de militants du CDP, et même au-delà, vous avaient fait un appel du pied que vous n’aviez pas voulu entendre. De quoi aviez-vous eu peur en son temps?

Il y a une clarification qu’il me faut apporter sur ce que j’ai entendu maintes fois. Il se trouve qu’en 2015, quand au mois de juillet, le CDP a choisi d’investir son candidat à la présidentielle, j’étais toujours président de la commission de la CEDEAO et je…

…Vous n’auriez pas pu vous libérer ?Pas dans le délai qui était à l’époque imparti. Dans ma fonction de président en exercice, je n’avais pas le droit de faire de la politique active et, de surcroît, d’être candidat, à moins que je ne quittasse mes fonctions. D’ailleurs, j’étais en mission en Amérique lorsque des amis m’ont appelé de toute urgence pour dire qu’il fallait que je dépose ma candidature parce que le CDP veut se choisir un candidat et l’investir. J’ai demandé à ceux qui m’interpellaient à savoir quels était le délai pour le dépôt des candidatures. Au moment où ils m’appelaient, c’était dans les 48 heures qui suivaient. Je leur ai demandé s’ils ont les formulaires de candidature. Ils ont répondu par la négative et précisé qu’ils se sont rendus au siège du parti mais que les formulaires n’étaient pas encore disponibles. Je leur ai fait comprendre que quelle que soit ma bonne volonté, dans la position où je me trouvais, il m’était difficile de me libérer des hautes fonctions que les chefs d’Etat m’avaient confiées.

Comment pouvais-je quitter mon statut de fonctionnaire international pour venir me déclarer candidat dans les 48 heures sans en avoir informé les chefs d’Etat, la présidence en exercice et sans me décharger du statut qui était le mien ? C’était impossible. Je me suis demandé pourquoi c’était si indispensable qu’on le fasse dans les 48 heures. On m’a dit que c’étaient les instructions. J’ai eu le sentiment que le calendrier a été sciemment précipité pour empêcher des gens, comme moi, qui étaient hors du pays, de se présenter.Aujourd’hui, cinq ans après, vous vous jetez finalement à l’eau. Qu’est-ce qui explique cet engagement à briguer la magistrature suprême ? Vous y sentez-vous vraiment prêt ?

Il s’est passé la chose suivante : la situation politique, économique et sociale de notre pays, qui n’était déjà pas reluisante en 2015, s’est fortement détériorée. Elle est même inacceptable pour tout Burkinabè, et interpelle tous les citoyens. Personne ne doit y être indifférent. Nous sommes assaillis par le terrorisme, par les divisions communautaires, par des problèmes de gouvernance et par la maladie. J’ai été appelé par beaucoup de nos compatriotes à m’impliquer dans la course à l’élection présidentielle dans l’espoir de redresser la situation et de donner un nouveau départ à notre pays. Mon engagement est un engagement patriotique et citoyen pour permettre à notre pays d’amorcer un nouveau départ.

Justement, vous avez dit «oui» à ceux qui sollicitaient votre candidature en février 2019. Une présidentielle est un long combat qui se prépare. Aujourd’hui, vous sentez-vous prêt pour y aller?Bien sûr. Depuis Bobo-Dioulasso le 16 février 2019, à tous ceux qui appelaient à mon engagement dans l’élection présidentielle j’ai répondu «oui», mais je les ai prévenus qu’il ne s’agit pas d’une œuvre d’un homme providentiel. Aucun homme ne peut sauver un pays à lui tout seul. Ce sera l’œuvre des Burkinabè eux-mêmes.

J’ai signifié qu’une élection présidentielle s’organise, nécessite des instruments, des hommes, des moyens, et qu’il faut s’y préparer. J’ai appelé tous ceux qui soutenaient ma candidature à s’organiser pour entrer dans la bataille électorale. Des organisations de la société civile et des particuliers qui soutiennent ma candidature ont décidé de s’organiser davantage et de se regrouper en mouvement politique. C’est dans ce sens que mes partisans ont décidé de se regrouper pour créer ce mouvement qui a été lancé le 7 septembre 2019, qui est en train de se structurer et est présent dans l’ensemble des 45 provinces de notre pays.

Vous êtes donc prêt à 6 mois de l’échéance !

Nous sommes en ordre de bataille. On n’est jamais totalement prêt, et je compte sur la mobilisation des uns, des autres et de tous ceux qui m’ont soutenu depuis Bobo pour qu’ensemble nous puissions présenter au peuple burkinabè ce que nous avons à lui offrir.N’est-ce pas faute d’avoir réussi votre OPA politique sur le CDP que vous avez suscité la formation «Agir ensemble pour le Burkina » ? N’avez-vous pas fait cette option plutôt que de devoir passer par des primaires qui vous rebutaient visiblement ?

Je pense qu’au moment où je déclarais mon intention d’entrer en compétition à la présidentielle il n’était même pas encore question de primaires…

Peut-être que vous avez tâté le terrain et que vous sentiez qu’on s’acheminait vers là…

Non, pas du tout ! Lorsque j’ai consulté mes amis du CDP, que j’informe avant d’entreprendre quelque chose, j’ai senti, que pour eux, la priorité n’était pas à choisir un candidat. Ils parlaient plutôt de consolidation des structures du parti. J’ai dit qu’au regard de la situation de notre pays, je n’hésiterais pas à prendre mes responsabilités. Après mûre réflexion, j’ai donc décidé d’annoncer ma candidature à Bobo-Dioulasso le 16 février 2019. Ce faisant, je n’ai lancé aucune sorte d’OPA sur le CDP. Et rappelez-vous, lorsque j’étais à Bobo-Dioulasso, avant ma rencontre, la direction du CDP a fait diffuser un communiqué sur les radios locales, dans quatre langues, pour avertir la population que la manifestation qui aurait lieu n’était pas organisée par le parti. Sur ce point, elle a eu raison, car c’était effectivement une manifestation de citoyens burkinabè. Elle appelait donc ses militants à s’en démarquer. Mais au finish, vous avez vu la mobilisation, au point qu’il n’y avait même plus de place au palais de la culture Anselme Sanon. C’est dire la soif de changement de notre peuple, la soif d’un nouvel espoir pour notre jeunesse. Pour moi personnellement, l’intérêt du Burkina dépasse les propres intérêts partisans dans les carcans d’un parti politique.

Tous les opposants parlent de changement. Kadré Désiré Ouédraogo une fois à Kosyam, aura-t-on le sentiment de ce changement puisque vous avez géré ce pays pendant 27 ans ?

Je n’ai pas géré ce pays pendant 27 ans…

Non, nous parlons du CDP, l’ex-parti majoritaire, dont vous avez été l’un des premiers ministres pendant cinq ans.

Posez alors la question aux responsables de ce parti. Moi je suis un candidat. Ce dont je suis responsable, c’est d’avoir été premier ministre pendant cinq ans. Je crois qu’il y a des Burkinabè qui m’ont connu à l’œuvre, qui ont vu ce que je peux faire ou pas. J’ai pour moi une expérience dans la gestion, ajoutée à l’expérience et le vécu quotidien dans mes différentes fonctions, tant sur les plans national, sous-régional qu’international. J’estime qu’il est de mon devoir d’apporter ma contribution à la résolution des problèmes auxquels nous faisons face. Je veux montrer aux Burkinabè qu’il y a encore de l’espoir pour ce pays pourvu que nous ayons la résolution de nous lever et de ne pas nous satisfaire de ce que nous avons actuellement.

Mais pour sûr, si vous aviez eu la possibilité d’être adoubé comme candidat naturel de l’ex-parti majoritaire, vous y seriez resté ?

Non, j’ai quitté le CDP après le congrès du 22 septembre 2019. Il n’était ni question d’adoubement ni de candidat naturel du parti. Si je l’ai quitté, c’est pour des raisons précises et après mûre réflexion. Ce n’est pas lié au problème de ma candidature en tant que telle ou que je cherchais à être adoubé. J’ai présenté ce que je veux faire, et j’ai lancé tout simplement un appel à tous les Burkinabè qui partagent ces options de se joindre à moi. C’est le seul message que j’ai lancé, et je n’ai rien cherché d’autre.

La candidature à la présidence du Faso est d’abord une question personnelle et non une affaire de parti. C’est un rendez-vous entre un homme (ou une femme) et son peuple.

Des retrouvailles entre KDO et son ancien parti sont-elles possibles en cas de second tour à la présidentielle de novembre prochain ?Pourquoi pas ? Nous sommes prêts à toutes les ententes possibles, pourvu que nous puissions avoir l’alternance dans notre pays. C’est bien connu, on ne dit jamais «jamais» en politique.

Comment réagissez-vous à l’appel à l’union, voire au retour à la maison mère que continue de lancer Eddie Komboïgo, devenu le candidat officiel du CDP ?

J’ai quitté le parti pour des raisons qui ont trait à sa gouvernance et à sa stratégie électorale. Tant que ces raisons qui m’ont fait partir subsisteront, ma position restera la même.

Que s’est-il passé avec le député Yahaya Zoungrana, que nous avons vu dans un premier temps vous soutenir et qui, ensuite, semble avoir retourné sa veste en participant aux primaires du parti ?

Il ne m’a jamais dit qu’il a retourné sa veste. Si retournement de veste il y a eu, c’est à lui que vous devez poser cette question pour savoir s’il l’a fait ou s’il l’a toujours à l’endroit.

Quels sont vos rapports actuels avec l’ex-président Blaise Compaoré ?Ce sont des rapports de courtoisie, de respect et de reconnaissance. Il m’a fait confiance en me nommant premier ministre, me donnant ainsi l’occasion de servir mon peuple à un très haut niveau de responsabilité. Je crois d’ailleurs que c’est à l’occasion de l’exercice de ces fonctions que beaucoup de Burkinabè ont appris à me connaître. Je m’honore de ce que les opinions qui me parviennent sont satisfaisantes de la manière dont j’ai géré le gouvernement, et c’est pour moi quelque chose d’épanouissant.

Quand avez-vous vu ou entendu Blaise Compaoré pour la dernière fois ?

J’ai des rapports avec lui, je le consulte comme je le fais avec beaucoup d’autres personnalités. Mais je ne vous dirai pas quand je l’ai vu ou entendu pour la dernière fois.

Votre candidature n’aurait-elle pas été inspirée par lui ou par un de ses proches ; François Compaoré par exemple ?

Ma candidature n’a été inspirée par personne. C’est une décision personnelle que j’ai prise, encouragé en cela par les nombreux appels de nos concitoyens, qu’ils soient membres de partis politiques, d’organisations de la société civile ou de simples particuliers. En tant que Burkinabè et citoyen, j’ai décidé que je devais me mettre à la disposition de ce pays dans la situation difficile qui est la sienne aujourd’hui. C’est bel et bien une décision personnelle ; même si je me réjouirais d’avoir le soutien du président Blaise Compaoré et de tous les Burkinabè d’ailleurs convaincus que ce que je veux faire est dans l’intérêt supérieur du pays.

La préoccupation majeure des Burkinabè, c’est le terrorisme. Quel remède miracle allez-vous leur vendre pendant la campagne pour les sortir du pétrin ?

Il n’y a pas de remède miracle et je ne serai pas un marchand d’illusions. Ce que je propose aux Burkinabè est une vision, ce sont des objectifs et des stratégies. Parlant du terrorisme, je pense qu’il est bon que nous changions de stratégie, car manifestement celle qui est utilisée actuellement ne marche pas si on en juge aux résultats que nous avons sur le terrain : des portions de notre territoire où il n’y a aucune présence de l’Etat, des mairies, des préfectures, des commissariats de police et des écoles fermés, des centaines de milliers de déplacés internes qui vivent dans des abris précaires, dans des conditions inimaginables, des milliers d’écoliers qui ne vont plus à l’école. Il faut changer de stratégies pour trouver les solutions à cette situation…

La question est donc celle-là : quelle stratégie, quelles solutions concrètes allez-vous mettre en œuvre, de fondamentalement différentes de ce qui se fait présentement pour venir à bout de ce phénomène ?

Pour moi, il faut d’abord que les Burkinabè se retrouvent. On ne gagne pas une guerre contre le terrorisme en étant divisés comme nous le sommes en ce moment ; si nous avons la haine les uns envers les autres, si nous manquons de respect les uns à l’égard des autres. C’est pour cela que je prône la réconciliation nationale vraie qui nous permettra d’avoir les ressorts nécessaires pour élaborer de nouvelles stratégies, qui ne seront pas simplement des stratégies militaires. La réponse militaire est indispensable, mais elle n’est pas la seule…

Mais n’est-ce pas ce qui se dit actuellement…

Il faut que nous ajoutions à la stratégie militaire des solutions politiques, économiques, sociales. C’est l’ensemble de ces éléments qui nous permettront de venir à bout de ce phénomène.

Vous parlez de réconciliation nationale vraie ; comment cela va se passer ? Ira-t-on de maison en maison pour se réconcilier, quelle sera concrètement votre formule, vu que tout le monde utilise ce jargon ?

La différence se fera sur le terrain. Pour moi, la réconciliation, ce n’est pas simplement des mots mais des comportements. Dans votre action de tous les jours, on doit percevoir que vous la recherchez. A mon avis, ce sont ceux qui gouvernent le pays qui doivent lancer la première balle. Il y a mille manières d’accélérer la réconciliation dans notre pays, et c’est de la responsabilité de ceux qui nous gouvernent. Quand je vais divulguer mon programme, j’indiquerais l’approche que j’entends suivre pour y parvenir. Je conçois qu’il s’agit d’un phénomène difficile et complexe, mais nous avons le devoir d’y faire face avec des idées novatrices, et nous devons analyser notre stratégie actuelle, notre situation, voir ce qui ne va pas et changer notre fusil d’épaule.

Vu justement la complexité du problème comme vous dites, n’est-ce pas trop facile de critiquer le pouvoir en place sur la question alors que, si vous êtes élu, ce n’est pas sûr que vous arriveriez avec une baguette magique pour régler ce problème ?

Et vous voudriez que nous vivions les drames que nous vivons, que nous subissions les difficultés que nous avons sans broncher ? Je pense que celui qui gouverne doit être prêt à entendre la critique, laquelle est, quelque part, une façon pour les gouvernants d’améliorer leur gouvernance. C’est la raison pour laquelle nous disons qu’il est temps que les Burkinabè se lèvent, parlent haut et fort et disent que ça ne va pas. Si nous nous taisons et subissons tout cela en silence, sans broncher, comment voulez-vous que la situation s’améliore ? C’est pourquoi je rends hommage aux Burkinabè qui ont eu le courage de se lever pour dire haut et fort qu’ils ne sont pas satisfaits de la situation et qu’ils se battront afin qu’elle change. Ils ne sont pas contents de la situation sécuritaire du pays, et c’est un fait. C’est le cas de la situation sociale et économique, et de la gouvernance. Il faut que nous changions et que chacun soit de la bataille. Il ne sert à rien que chacun reste chez soi. C’est l’action et non la théorie qui fera évoluer les choses. Il faudra que chacun s’engage, et c’est que j’ai fait et compte poursuivre.

Etes-vous de ceux qui estiment qu’il faut dialoguer avec les terroristes ?

On ne dialogue pas pour dialoguer. Si vous dialoguez, il faut d’abord chercher à comprendre ce que réclament celui ou ceux qui sont en face et si vous êtes prêt à marchander ce qui est réclamé. C’est aux gouvernants de répondre à cette question avant de s’engager dans toute stratégie de dialogue. Lorsqu’on est à la tête du pays, on a la sécurité des Burkinabè à gérer, on se doit de les protéger. Mais on a des principes, on a ce dont on peut discuter et ce qui ne peut pas l’être. C’est le devoir des dirigeants de l’établir et de le dire clairement.

Il y a comme une fronde permanente sur le front social ; vous qui avez été premier ministre, comment vous jugez les sempiternelles revendications des syndicats au regard de la situation de nos finances publiques que vous avez eu la chance de toucher du doigt ?

C’est une situation que j’ai vécue en tant que chef du gouvernement, et si j’ai un commentaire à faire, c’est de dire que les syndicats sont naturellement dans leur rôle de se battre pour l’amélioration des conditions de travail et de vie de leurs membres. Le gouvernement est aussi dans son rôle de veiller à ce que les finances publiques du pays, qui sont un patrimoine national, soient gérées avec équité mais en n’oubliant pas qu’il y a des difficultés que vivent les uns et les autres. Le gouvernement doit être une sorte d’arbitre de l’intérêt général. C’est la raison pour laquelle je pense que, par un dialogue franc et sincère entre le gouvernement et les syndicats, on peut trouver des pistes de solutions pourvu que chacun soit sincère dans son engagement et que, lorsque des promesses sont faites, des décisions prises, chacun s’attelle à respecter la parole donnée et à mettre en œuvre ce qui a été convenu. Je pense que si cela est fait, il y aura une baisse de la tension sociale.

Selon vous, est-il économiquement sain pour un Etat de consacrer plus de la moitié de ses recettes propres à satisfaire les revendications d’une minorité de Burkinabè, notamment les 200 000 salariés du public ?

Les recettes d’un Etat servent d’abord aux dépenses courantes et aux investissements. Si vous devez utiliser plus de 50% de vos recettes propres à payer des salaires, quelle partie va être disponible pour les investissements ? Or nous savons que ce sont les investissements qui apportent la croissance par la production et qui nous permettent de nous enrichir et de répondre aux besoins sociaux. Sans investissement, il n’y a pas d’économie. Par conséquent, on doit veiller à ce que la partie des dépenses courantes n’étouffe pas la partie des investissements. C’est la raison pour laquelle plusieurs organisations internationales se sont fixé des normes : je crois que, dans la zone UEMOA, la part des salaires sur les recettes propres ne doit pas dépasser 35%. Au Burkina, je crois qu’actuellement, si mes chiffres sont bons, que nous sommes à plus de 50%. C’est une situation intenable qu’il faut chercher à corriger. Dans une situation comme celle-là, soit vous diminuez le numérateur, soit vous élargissez le dénominateur du ratio.

Qu’est-ce cela signifie en français facile?

Soit vous travaillez à augmenter les recettes de l’Etat, soit vous travaillez à comprimer les dépenses courantes de l’Etat pour améliorer la situation. Je crois que le gouvernement doit jouer sur ces deux tableaux en n’oubliant pas qu’en ce qui concerne les salaires, c’est des avantages acquis et qu’on n’y touche pas. Mais en dehors de cela, il faut travailler à ce que ce ratio devienne tenable, à ce qu’il devienne soutenable parce qu’un Etat qui n’investit pas est un Etat qui ne peut pas progresser. Nous ne pouvons pas nous contenter de produire pour payer des salaires ; il faut qu’on progresse. Or il n’y a que l’investissement qui fasse progresser. C’est pour ça qu’il faut faire en sorte que les sommes consacrées aux salaires ne dépassent pas une proportion donnée de nos recettes nationales. C’est le travail du gouvernement de faire en sorte qu’il en soit ainsi.

Quelle est votre position sur l’extension de l’IUTS aux primes et indemnités des agents de la fonction publique ?

Ma position est qu’il faut instaurer une équité de traitement entre les agents du public et ceux du privé dans cette affaire. Ils sont tous des Burkinabè, donc le premier principe, c’est celui de l’équité. Le deuxième principe est que nous devons avoir à l’esprit que nos travailleurs burkinabè ne bénéficient pas déjà d’avantages extraordinaires et qu’ils font face à des difficultés. Il faut en tenir compte. Il appartient à l’Etat, tout en cherchant l’équité, de faire en sorte que nous n’aggravions pas la situation de précarité dans laquelle se trouve déjà beaucoup de nos agents. Je pense même qu’au Burkina, nous aurions intérêt à payer les gens beaucoup plus que cela si nous en avions les moyens. Il est hors de question de diminuer les ressources des travailleurs. Si on ne peut pas faire plus, au moins qu’on ne les diminue pas. Mais on peut trouver une solution pour assurer une équité de traitement entre les agents du public et les agents du privé.

Donc l’équité pour vous consisterait par exemple à supprimer l’IUTS sur les primes et indemnités qui sont déjà ponctionnées au niveau du privé ?

Absolument. Il faut aligner le privé et le public. Si on doit arriver à cette solution, pourquoi pas ? Mais il faut trouver des solutions qui soient des solutions tenables. Et c’est par le dialogue qu’on peut y arriver.

N’est-ce pas paradoxal pour vous qui parliez tantôt d’augmenter les richesses, de maintenant évoquer la possibilité de supprimer des ressources à travers la suppression de l’IUTS sur les primes et indemnités du public ?

Est-ce que vous avez évalué la masse de cet IUTS sur les primes et les indemnités ? Ça représente quoi ?

Vous allez nous le dire…

Selon moi ce n’est pas une somme qui ferait crouler l’économie du Burkina Faso

Mais il n’y a pas d’économies de bouts de chandelles…

Mais il y a d’autres poches, d’autres niches de fiscalité qu’il faut trouver. Dans notre pays actuellement, si vous regardez bien, vous allez voir qu’il y a des poches de fiscalité qu’on peut utiliser. Ce que je propose, c’est d’avoir des solutions imaginatives pour qu’ensemble nous puissions trouver la solution à notre problème. Ne pas appauvrir l’Etat en asséchant les recettes, mais ne pas non plus chercher à taxer les travailleurs de façon indue. C’est une équation à résoudre, et c’est au gouvernement de résoudre cette équation.

On a comme l’impression que vous ne voulez pas vous mettre à dos les fonctionnaires. Si vous êtes élu, vous serez pourtant confronté aux mêmes 200 000 fonctionnaires. Qu’est-ce que vous comptez faire au bout du compte ?

Je dialoguerai sincèrement avec eux, j’exposerai en toute honnêteté l’état des finances de l’Etat. Ils diront leurs préoccupations et, si chaque partie est honnête et sincère, il n’est pas impossible qu’on arrive à un terrain d’entente. C’est souvent le dialogue de sourds qui pose problème. Il faut accepter un dialogue franc et sincère en exposant les possibilités du gouvernement, en exposant aussi les difficultés des syndicats et, ensemble, y trouver un juste milieu. Ce n’est pas un travail facile, et si c’était facile on n’aurait pas besoin d’un gouvernement et d’un président.

Vous suivez certainement les préparatifs des prochaines élections. En êtes-vous satisfait ou avez-vous des suggestions à formuler pour améliorer les choses ?

Je voudrais encourager la CENI à poursuivre ses efforts pour que nous ayons une élection libre, transparente et inclusive. Les élections, c’est la pierre angulaire de toute démocratie. Si nous ratons les élections, nous courons de grands risques de rater l’approfondissement de notre démocratie. Dans ce que nous observons actuellement, il y a beaucoup de choses à améliorer, et il faut que la transparence soit de rigueur dans la manière dont on gère les préparatifs de ces élections. Si je prends par exemple le cas de l’enrôlement de nos compatriotes à l’étranger, la CENI est partie lancer l’opération à Abidjan le 4 janvier dernier. Et il a fallu attendre dix jours pour que l’ONI vienne donner des pièces d’identité aux Burkinabè. On dit que sans pièce d’identité burkinabè, on ne peut pas s’enrôler ; on commence l’enrôlement, et les pièces d’identité sont produites après. Mieux, on a dit que, pour permettre au maximum de Burkinabè de voter, il faut simplement ne pas faire comme le prévoit la loi, c’est-à-dire que les élections aient lieu dans les ambassades et les consulats, mais délocaliser le vote dans les écoles, comme d’autres pays le font chez nous en accord avec le gouvernement pour permettre à la majorité de leurs compatriotes de voter. Il y avait une loi pour consacrer ce principe sur la table de l’Assemblée nationale qui devait être votée le 23 janvier. La CENI a arrêté l’enrôlement, mais la loi a été votée. Ça sert à quoi ? Je pense qu’il y a des indices qui montrent que nous devons traiter ces questions avec plus de sérieux. Même quand vous regardez sur le plan national, il y a des provinces où la CENI est passée, et l’ONI s’y rend après. Ceux qui voudront s’enrôler auront leur carte d’identité pendant que la CENI sera partie.

Vous avez donc peur que le scrutin à venir ne soit pas juste et équitable ?

Et surtout qu’il ne permette pas à la majorité des Burkinabè de s’exprimer. Or, il est important que chaque Burkinabè ait l’occasion de s’exprimer. Et même pour l’enrôlement, on nous dit qu’il y a des départements entiers qui sont zappés dans plusieurs provinces où il n’aura pas lieu et certainement où l’élection n’aura pas non plus lieu. Nous pensons qu’il est de la responsabilité du gouvernement de faire en sorte que chaque Burkinabè ait l’opportunité de s’exprimer. Les conditions de sécurité, c’est la responsabilité du gouvernement. Le gouvernement s’est engagé à défendre l’intégrité territoriale de notre pays et à protéger les Burkinabè là où ils sont. C’est ça, la responsabilité : faire en sorte que le minimum de sécurité soit garanti pour que les Burkinabè puissent aller aux urnes. Je crois que c’est une question d’engagement, et il y a beaucoup de défaillances à ce niveau. Donc nous pensons qu’il y a encore beaucoup d’efforts à faire pour que nous puissions arriver à des élections transparentes, inclusives et libres.

Que pensez-vous de la gestion de la covid 19 par le gouvernement burkinabè ?

Pour dire vrai, je pense que cette gestion a manqué d’anticipation et de cohérence. D’anticipation d’abord parce que pour un pays qui a eu à vivre l’épidémie d’Ebola il y a cinq ans, il y a des réflexes qui devraient nous être restés pour que nous ne soyons pas pris au dépourvu cinq ans plus tard par une épidémie similaire.

Mais contrairement à ce que vous dites, le Burkina n’avait pas été touché par l’épidémie d’Ebola…

Oui, c’est vrai, mais c’est parce qu’on a eu la chance et qu’on a pris les dispositions. Moi j’étais président de la commission de la CEDEAO, j’ai parcouru tous les pays qui étaient contaminés. Et même au Burkina, il a fallu prendre des trésors de précautions pour que la maladie ne vienne pas chez nous.

Et qu’est-ce qu’on avait pris comme ‘’trésors de précautions ‘’?

Demandez aux personnels de santé, ils étaient là. Pourquoi ce qu’ils ont fait il y a cinq ans, ils ne l’ont pas fait cette année ? On semble avoir été surpris par cette épidémie. Et si vous regardez déjà la façon de prendre la chose, il y a eu un manque d’anticipation, comme je l’ai dit, dès les premières alertes. Un comité économique et social devait être mis en place pour imaginer et anticiper les effets de la maladie ainsi que ses conséquences sur l’économie et voir comment l’Etat allait appuyer les différents secteurs. Ce comité économique, à mon avis, devait être mis en place dès les premiers instants pour anticiper. Ça aurait pu nous éviter les tâtonnements dans la gestion de la pandémie.

A la décharge des gouvernants, est-ce que ce n’est pas le même cafouillis qu’on a constaté au niveau des autres pays ou regroupement de pays, même ceux qui ont des moyens énormes tels l’Union européenne ou les Etats-Unis ?

Les pays de l’Union européenne ont des économistes qui ont planché sur la réponse, de sorte que leur réponse est coordonnée. Ici, je n’ai pas été au courant de la création d’un comité économique ou d’un regroupement d’économistes, de sociologues pour tenir la réflexion sur les conséquences économique et dire comment l’Etat doit pallier ces conséquences économiques. Parlant de la cohérence, vous êtes vous-mêmes témoins des échanges entre différents ministères qui ne sont pas de nature à rassurer quant à la cohérence de l’action gouvernementale. Et même du point de vue de la transparence dans la gestion des ressources, il y a des choses à redire. Beaucoup de citoyens ont apporté leurs contributions à la gestion de cette covid 19. A mon sens, il aurait été logique que le gouvernement rende compte régulièrement de la gestion de ces fonds et qu’il dise : «Voici les sommes que nous avons collectées, voilà les dépenses entreprises et voilà ce qu’il nous reste en caisse». Cette transparence, nous la devons aux citoyens, nous la devons à tous ceux qui ont fait des efforts pour contribuer à cette lutte, mais nous ne la voyons pas. Il y a également l’encouragement du personnel de santé qui est sur le terrain, dont je ne vois pas les mesures phares. Pourtant, ce sont des gens qui se sacrifient à longueur de journée pour notre santé collective. C’est tout un tas d’indices qui me font penser qu’il y a quand même beaucoup de choses à corriger dans la façon dont la covid 19 est gérée par notre pays.

Une autre question sociale d’importance, c’est le chômage des jeunes. Que comptez-vous faire pour résoudre ce problème auquel tous les gouvernants ont été confrontés sans jusque-là être parvenus à y trouver le remède qui sied ?

C’est vrai que c’est un phénomène très complexe auquel ont été confrontés les gouvernants de ce pays et de plusieurs autres pays également, mais ce n’est pas une raison pour ne pas s’attaquer au phénomène en prenant le taureau par les cornes. Je vois deux piliers pour affronter ce problème : d’abord, il y a l’éducation et la formation, surtout la formation professionnelle, technique et scientifique ; en dehors de la formation, il y a le soutien et l’accompagnement des jeunes à l’auto-emploi. Je pense qu’en jouant sur ces deux tableaux, nous allons faire un pas de plus dans la résolution du problème du chômage des jeunes. Et naturellement, nous aurons à proposer des mesures dans ce sens dans les programmes que nous soumettrons au peuple burkinabè. Je pense que c’est un problème essentiel de toute société que de faire en sorte que les jeunes travaillent. Mais pour cela, il faut que nous ayons une formation et un accompagnement adaptés de ces jeunes pour que ceux qui veulent se mettre à leur propre compte aient les moyens de le faire.

Un autre sujet qui va s’inviter dans la campagne, c’est celui en lien avec les sociétés minières. Le Parlement a accompli une mission d’information qui a révélé que certaines sociétés ne respectent pas leurs cahiers de charges. Une fois au pouvoir, Kadré Désiré Ouédraogo aura-il les moyens de faire face à ces sociétés puissantes qui dictent leurs lois même au gouvernement ?

Dans cette question, je vois deux éléments : l’autorité de l’Etat et de notre gouvernance. Au regard des textes qui existent, je ne vois pas comment il se fait qu’un Etat ne puisse pas appliquer ses propres lois. Le rôle du gouvernement, c’est d’appliquer la loi, et si les lois ne sont pas appliquées, il y a une faute quelque part.

Les choses étaient-elles fondamentalement différentes du temps de Blaise Compaoré et de Kadré Désiré Ouédraogo ?

A ma connaissance, je n’ai pas eu ce problème de mine quand j’étais premier ministre ; mais je vous assure qu’avec l’autorité de l’Etat et avec une gouvernance renouvelée, les abus ne seront pas tolérés. Il faut que l’Etat soit suffisamment fort pour défendre les intérêts du peuple et défendre ses propres intérêts.

Ensuite, il faut que nous ayons les outils. Vous avez dit que ce sont des géants, mais nous qu’est-ce que nous avons comme personnel minier qui s’y connaît dans ce secteur ? C’est la raison pour laquelle je pense qu’il nous faut très rapidement former des ingénieurs dans ce domaine qui soient capables de défendre l’intérêt national et de comprendre les différents textes et de les appliquer. Quand j’étais à la CEDEAO, nous avions instauré un système de grandes écoles, à l’image de celle des mines et de la géologie à Niamey, qui devait servir à toute la sous-région. Si nous avions continué cet effort, aujourd’hui nous serions dotés d’ingénieurs des mines capables de discuter d’égal à égal avec ces compagnies minières. Donc, c’est déjà une lacune qu’il faut corriger en formant nos propres ingénieurs qui vont défendre nos intérêts. Mais en attendant, il y a des moyens de faire en sorte que les contrats signés avec les compagnies minières soient équitables, et c’est ce que nous avons fait au niveau de la CEDEAO en essayant d’élaborer des contrats-types de sociétés minières pour tous les 15 Etats membres. A ce moment-là, vous opposez ce contrat-type à une société minière, elle ne pourra pas l’enjamber. Mais si vous êtes seul et que vous allez dans ce cafouillis sans être au courant des subtilités qu’il peut y avoir dans un contrat minier, il y a de grands risques que vous vous fassiez rouler. On peut se mettre ensemble à travers des contrats-types avec des pays qui en ont déjà l’expérience et des organisations comme la Banque mondiale. Cela étant une solution intermédiaire, la vraie étant de produire des ingénieurs nationaux capables de défendre vos intérêts. Le gouvernement doit appuyer cela par une volonté politique et une surveillance sans faille des engagements pris par ces sociétés minières. Regardez même le principe de nos privatisations : qu’est-ce qu’on fait ? On privatise des sociétés avec des repreneurs qui signent des cahiers des charges où ils promettent qu’ils vont investir des milliards. Une fois que c’est signé, on met le document dans un tiroir, et tout le monde est content. Le gouvernement ne cherche pas à savoir si l’investisseur a respecté ses engagements, et l’investisseur se contente d’augmenter son bénéfice en oubliant ses obligations. Cette situation doit cesser, mais elle ne peut cesser que si on a un Etat fort. Et un Etat fort suppose un Etat de bonne gouvernance, un Etat d’hommes dignes qui sont là uniquement pour les intérêts du peuple et qui sont capables d’imposer ses intérêts à qui que ce soit. Je vous assure que quand j’étais Premier ministre, je ne marchandais pas l’intérêt du Burkina. Qui que vous soyez, je suis là pour défendre le Burkina, je n’ai pas peur de vous, je vous dirai ma position et j’invite les Burkinabè à être de cette trempe.

Après le NEPAD, dont les résultats sont plus que mitigés, l’Union africaine a lancé la Zone de libre échange économique du continent. C’est à croire que nos dirigeants tâtonnent sur la voie de l’intégration. Quelle est votre vision de la question ?

Pour avoir passé une bonne partie de ma carrière professionnelle dans les organisations d’intégration régionale, je puis vous assurer que le sentiment personnel qui m’anime est que c’est un formidable gâchis d’idées et de résolutions que nous avons particulièrement en Afrique. Avec le Plan de Lagos, nous avions le meilleur plan que l’Afrique ait jamais conçu ; malheureusement, on l’a laissé dans un tiroir. On est parti pour le NEPAD, que l’on a écarté. Maintenant on parle de zone de libre-échange.

Qu’est-ce qui n’a jamais marché ?

C’est l’application. Nous, en Afrique, nous sommes prompts à signer des accords, à créer des organisations mais nous ne leur donnons pas la priorité. Et nous n’accordons pas d’importance à la mise en œuvre des décisions que nous prenons. C’est ça la difficulté. Je pense qu’une meilleure application des décisions nous conduirait à progresser dans l’intégration. Et si nous ne le faisons pas, nous allons voler d’idée en idée, mais rien ne se fera sur le terrain : exemple, la libre circulation des personnes et des biens ; combien de fois les chefs d’Etat ont proclamé que les frontières sont libres, qu’on les traverse comme on veut ? Si vous sortez aujourd’hui pour traverser l’Afrique de l’Ouest, vous verrez que la réalité est différente de ce qui est sur le papier. Nous devons travailler à ce que la réalité corresponde à ce qu’il y a sur le papier.

Je vous donne un exemple simple : la carte d’identité biométrique de la CEDEAO, qui a été adoptée lorsque j’étais président en 2015. Cette carte a été remise lors d’un sommet, et j’ai pris le soin d’en remettre un exemplaire à chaque chef d’Etat. Elle devait être en vigueur depuis 2016, et devait remplacer la carte de séjour. Ce précieux sésame fait de vous un citoyen de la CEDEAO sans que vous présentiez de carte de séjour. Quoi de mieux pour nos peuples ? Est-ce que vous pouvez comprendre que, jusqu’à ce jour en 2020, cette carte d’identité ne soit pas délivrée au peuple burkinabè ? L’intégration pour moi, c’est la mise en œuvre des accords. Je prends encore l’exemple de la zone de libre-échange dont vous parlez ; la CEDEAO est depuis des années dedans. On a adopté le tarif extérieur commun de la CEDEAO en 2015, qui fait de la zone CEDEAO une union douanière. Jusqu’à présent, les textes qui vont faire appliquer cette union douanière ne sont pas pris et achevés. L’union douanière dit que les marchandises qui viennent de l’extérieur payent la taxe douanière aux cordons d’entrée de la région. Et une fois à l’intérieur des régions, les marchandises circulent librement. Dans ces circonstances, il aurait fallu des textes pour partager la recette qui est prise au port. Pour un pays comme le nôtre, les marchandises viennent, les frais de douanes sont payés aux ports des pays voisins, et les marchandises entrent au Burkina sans payer les frais de douane. Qu’est-ce que nous, nous gagnons comme frais de douane ? Il y a un principe de répartition des recettes qui doit mis en œuvre, mais cela n’est pas encore effectif. Je pense que c’est une question de mise en œuvre. Nous avons déjà de bons textes. Il suffit d’avoir le courage de les appliquer.

L’abandon du CFA pour l’Eco est en voie depuis décembre 2019. Vous qui êtes un ancien de la BCEAO, le procès fait au CFA est-il toujours justifié d’un strict point de vue monétaire et économique ?

Dans cette question, il y a beaucoup de passions. A mon avis, on doit se concentrer d’abord sur l’économie. C’est la qualité de l’économie qui détermine la monnaie d’un pays. Une monnaie ne peut pas être viable si elle n’est pas portée par une économie solide. Nous devons faire en sorte que nous ayons ces économies solides capables de porter une monnaie. En tant qu’ancien vice-gouverneur de la BCEAO, ce que je peux attester, c’est vraiment la qualité exceptionnelle des cadres qui sont en charge de notre politique monétaire. Naturellement, chaque politique, chaque stratégie évolue avec son temps. Je suis heureux des réformes initiées pour faire changer notre monnaie commune et l’intégrer dans une monnaie commune plus large qu’est la monnaie de la CEDEAO. Je dois dire que j’ai été impliqué dans ce processus par deux fois : d’abord, j’ai été secrétaire exécutif adjoint chargé des questions économiques lorsque le programme de coopération monétaire africaine a été ravivé en juillet 1987 à Abuja ; après avoir quitté la CEDEAO, je l’ai retrouvé encore en 2012 en tant que président de la commission. J’ai donc apporté ma petite pierre pour que nous puissions prendre les orientations qui nous ont amenés à la situation ou nous sommes aujourd’hui. Je dois dire que nous n’avons jamais été aussi proches de notre objectif de création d’une monnaie commune que maintenant. C’est une question de volonté politique, et je fais confiance aux chefs d’Etat pour que cette volonté politique prédomine.

Comment avez-vous accueilli il y a deux ans la rupture des relations entre Taiwan et le Burkina et nos retrouvailles avec Pékin. Vous, une fois président, allez-vous retourner à vos anciennes amours ?

La rupture est toujours une perte pour un pays. Un Etat comme le Burkina se doit d’être ouvert à toutes les amitiés qui se présentent dans le monde entier. Il se trouve que particulièrement avec les deux Chines, il y a une non-acceptation réciproque. Vous ne pouvez pas être ami des deux. Le gouvernement a fait une option, je ne reviens pas là-dessus. Je sais ce que Taiwan et la Chine populaire ont apporté à notre pays. Si je suis élu président, j’analyserai la situation et j’agirai en sorte que partout, les intérêts du Burkina Faso soient préservés et promus. C’est la seule limite à la politique diplomatique ; sinon, je prône une politique d’amitié avec le monde entier sans exclusivité.

Quelles sont, selon vous, vos chances d’emménager à Kosyam en décembre prochain ?

Je pense que mes chances sont grandes. En tout cas, elles ne sont pas moindres que celles de n’importe quel candidat en compétition.

Comparées à celles de Roch Marc Christian Kaboré ?

Nous exposerons tous au peuple burkinabè ce que nous comptons faire. Et j’ai confiance que le peuple a besoin de changement. Le peuple a besoin d’un pays de liberté, d’un pays de sécurité et d’un pays de réconciliation.

Quel est, selon vous, votre point fort ?

Ce sera sur le plan de la gouvernance. Vous allez voir comment le Burkina va être géré. Il y aura une différence par rapport à la gestion actuelle. Si nous ne nous attaquons pas au problème de la gouvernance, quels que soient les milliards qui seront versés au Burkina, nous serons toujours au même point. Ce que je propose, c’est une nouvelle gouvernance vertueuse, respectueuse des droits humains, mais également sans complaisance vis-à-vis des détournements et de la corruption. Une bonne gouvernance des ressources humaines, en mettant l’homme ou la femme qu’il faut à la place qu’il faut. Je crois que, sur ce point, j’ai quand même un avantage comparatif : je crois que les Burkinabè m’ont vu à l’œuvre.

On vous a vu à l’œuvre dans un contexte, celui du régime de Blaise Compaoré, sous le règne duquel la gouvernance n’était pas particulièrement vertueuse !

En tout cas, on ne tolérait pas les choses qui sont acceptées actuellement.

D’aucuns pensent que Kadré Désiré est trop lisse pour inverser la tendance, alors que le pays a besoin d’un homme qui a plus de poigne. Quel est votre avis ?

La politique n’est pas une lutte d’arène. C’est un ensemble de stratégies et d’idées. Et puis, il ne faut pas se fier aux préjugés. Pour moi, ce n’est pas la parole qui compte, ce sont les actes. Moi je suis un candidat du respect de la parole donnée.

Votre candidature est portée par un jeune parti, «Le mouvement Agir ensemble pour le Burkina » ; la jeunesse du parti ne vous inquiète pas ?

Le ‘’Mouvement Agir ensemble pour le Burkina’’ est animé par de bonnes volontés. Le parti est actuellement représenté dans les 45 provinces du pays. Je pense que c’est déjà un succès d’être ainsi représenté à cet âge. L’élection présidentielle n’est pas seulement l’affaire des partis, c’est aussi celle des hommes. Moi je crois plus aux hommes qu’aux partis. Les partis politiques sont chargés d’animer, d’amener les électeurs à prendre conscience et à accorder leur voix à un candidat donné, mais ils ne sont pas les seuls acteurs. Il y a les organisations de la société civile, les particuliers, notamment des jeunes et des femmes, qui vivent ce que nous vivons et sont déterminés à ce que ça change. C’est tout ce monde qui fera le travail de mobilisation. C’est la raison pour laquelle je ne suis pas du tout inquiet.

A la suite de son défunt père, le nouveau Dima de Boussouma, votre proche parent, vient de créer son parti. Votre commentaire ?

Je n’ai pas de commentaire à faire sur la création d’un parti politique qui est un droit reconnu à chaque citoyen du Burkina Faso. La démocratie s’enrichit de la pluralité des opinions et, sur point, je n’ai pas de commentaire à faire.

Pensez-vous comme certains que c’est une façon de grignoter votre électorat du Sanmatenga qui est votre fief ?

L’électorat du Sanmatenga ne m’appartient pas. Les partis entrent en compétition non seulement au Sanmatenga, mais aussi dans toutes les autres provinces du pays. Je ne parlerai d’ailleurs pas en termes de fief, parce que je veux une autre façon de faire de la politique. Je veux que les Burkinabè aient la chance de s’exprimer en toute sincérité. Qu’ils disent quelle est la personne qu’ils veulent pour gérer les destinées du pays, et ne pas se contenter des promesses et des illusions pour après se retrouver dans des situations regrettables. Nous voulons la démocratie vraie où chaque citoyen a la possibilité de choisir son leader sans contrainte. C’est cette démocratie que je veux. Je vous donne l’assurance que si je suis élu en 2020, vous aurez un Burkina stabilisé. Un Burkina où la bonne gouvernance est de retour. Un Burkina où nos valeurs ancestrales sont remises au-devant de la scène : la probité, l’honnêteté, la rigueur dans la gestion de la chose publique et enfin la justice. Ces valeurs, pour moi, sont incontournables pour notre propre développement.

De quoi vit aujourd’hui KDO ?

Je vis de ma pension de la fonction publique et de la CEDEAO.

En dehors de la politique, de quoi s’occupe Kadré Désiré Ouédraogo ? Est-ce que vous avez de petits loisirs ? Si oui, c’est lesquels ?

Quand on a occupé les fonctions que j’ai occupées, on n’a pas eu suffisamment le temps de faire ce qu’on veut faire dans la vie. Depuis 1985, je suis dans des responsabilités nationales ou internationales. Je profite donc actuellement de mon temps libre pour le passer avec ma famille et mes amis. Ce que je ne pouvais pas faire avant. Et aussi m’adonner à mes hobbies qui sont la lecture, la musique et le sport, particulièrement le vélo.

L’Observateur paalga lance, le 28 mai, un journal en ligne que nous appelons lobspaalga.com pour prendre le virage numérique. Comment est-ce que vous appréciez cette initiative ?

Je voudrais présenter mes félicitations à L’Observateur paalga pour le lancement de ce journal en ligne. Selon nous, la presse est un pilier essentiel de notre démocratie. C’est un outil d’information de la population afin qu’elle puisse faire les choix qui lui incombent. Bravo donc pour ce que vous faites déjà et pour ce que vous ferez avec votre nouveau journal en ligne. Je profite donc de l’occasion pour rendre aussi un hommage à L’Obs., le doyen de notre presse écrite, pour sa qualité, sa vigueur qui a d’ailleurs transparu dans cet entretien. Je vous en félicite. Je voudrais, à travers votre journal, rendre un hommage mérité à toute la presse burkinabè. Lorsque j’ai eu le plaisir d’accueillir les hommes de médias pour les vœux du nouvel an, j’ai dit que ça serait une tradition si je suis élu de rencontrer toute la presse burkinabè au moins une fois par an.

Entretien retranscrit par

Issa K. Barry

Aboubacar Dermé

Hugues Richard Sama

Akodia Ezékiel Ada

Félicité Zongo
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