Au Burkina Faso, Djibo dans le Soum fait office d’épicentre ou de foyer incandescent du terrorisme. Depuis plus de deux mois, c’est la terreur sur l’axe Namsiguia-Djibo. Les terroristes ont imposé un blocus sur ce tronçon long de 36 km. S’aventurer actuellement sur cet acte et particulièrement sur le village de Gaskindé, situé entre les communes de Namsiguia et de Djibo serait suicidaire. Les terroristes n’hésitent pas à abattre le moindre téméraire qui y plane. Le 13 mai dernier, une caravane hautement sécurisée a permis au Président de la CENI, Newton Ahmed Barry et au coordonnateur du Groupe d’action pour le Soum de se rendre à Djibo. Ce fut aussi l’occasion pour quelques camions stationnés depuis quelques jours de ravitailler Djibo en vivres. Pourquoi les terroristes jettent-ils tant leur dévolu sur Djibo ? Comment cette partie du territoire peut- elle définitivement échapper aux girons des terroristes ?
A Djibo, les habitants vivent la peur dans le ventre au jour le jour. L’axe Namsiguia-Djibo est jonché de carcasses de véhicules criblés de balles, de restes de motos réduites en cendres, de corps en putréfaction parfois. Ici, fin effroyable et effroi sans fin se côtoient. Les Djibolais sont plus que confinés. Depuis près de deux ans, il leur est impossible de rallier Dori, Baraboulé, Ouahigouya. Pour asphyxier davantage la ville est ses habitants, les terroristes ont décidé d’occuper la route de Ouagadougou qui permettait de ravitailler la ville. Ceux qui essaient de forcer le blocus essuient des tirs et sont quelques fois abattus sans ménagement. Preuve qu’ils ne font pas dans la dentelle, les terroristes installent des engins explosifs improvisés tout au long du tronçon. Ainsi, le 20 mai dernier, un terroriste s’est fait déchiqueté après avoir tenté d’enterrer un explosif à l’aide d’un bidon de 20 litres sur l’axe Namsiguia-Djibo. L’incident est survenu après le passage d’un convoi d’au moins 70 véhicules escortés par les FDS pour ravitailler le marché de Djibo.
Plusieurs groupes terroristes opèrent à Djibo. L’un des plus en vue est le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM), qui a pour mode opératoire les enlèvements, les attaques contre les symboles de l’État et la pose d’engins explosifs improvisés. C’est autour de cette organisation que gravitent Ansarul Islam (dont Malam Dicko fut le géniteur en 2017) et des groupuscules de trafiquants et délinquants qui écumaient et contrôlaient l’économie grise avant l’arrivée des groupes terroristes. La puissance de cette vague terroriste, venue du Niger et surtout du Mali, qui frappe le Burkina Faso depuis 2015, réside dans les causes multiformes dont elle se nourrit pour se développer. Comme au Mali et au Niger, elle trouve sa dynamique en exacerbant les conflits intercommunautaires et en se nourrissant de toutes sortes de difficultés : rivalités politiques locales, difficultés économiques ou sentiment d’abandon des populations, crise de gouvernance,…
Une crise aux multiples ramifications
La province du Soum est majoritairement peuplée de Peul. Ce grand groupe ethnique peul est subdivisé principalement entre Peul issus des classes nobles et descendants d’esclaves, appelés Rimaibé. Les Rimaibé sont les descendants des populations autochtones qui ont été réduites en esclavage par les Peul et assimilées. Aujourd’hui, Peul et Rimaibé sont inclus dans le même grand groupe ethnique peul. Ils partagent la même culture, la même langue et ont souvent des patronymes identiques. Le clivage reste néanmoins marqué. L’absence d’un pouvoir coutumier central, les fortes rivalités entre les trois chefferies (Djibo, Baraboulé et Tongomayel) et leur politisation compliquent davantage leur rôle. L’absence d’un contre-discours et l’affaiblissement des responsables religieux et coutumiers favorisent la radicalisation d’une frange importante de la population. Des raisons historiques expliquent également la vulnérabilité de la province du Soum. Le clivage entre Peul et Rimaibé y étant davantage marqué que dans les provinces voisines du Séno et du Yagha, la contestation des inégalités sociales y rencontre logiquement un écho plus important. Les émirats du Séno et du Yagha étaient plus homogènes que celui du Jelgooji (l’actuel Soum), traversé par des divisions entre familles et chefferies. Il y ‘a donc tout un enchevêtrement de raisons qui rendent la lutte anti-terroriste particulièrement complexe au Soum.
Face à une telle situation, il urge de développer des réponses qui tiennent compte des dimensions sociales et locales de la crise. Tant que l’ordre social local continuera à produire des frustrations et des conflits, il sera difficile de trouver un règlement définitif de la crise. L’action de l’État est toutefois limitée dans ce domaine, car il n’a pas vocation à modifier une organisation sociale qui prévaut depuis des siècles. C’est davantage aux acteurs locaux qu’incombe la tâche de réflexion et de production de solutions adaptées aux spécificités locales. Des initiatives comme le Groupe d’action pour le Soum sont à encourager. Mais elles ne doivent pas répondre seulement à un besoin ponctuel. La réflexion et l’action doivent s’inscrire dans la durée. En dépit des immenses moyens déployés depuis 2015 dans la zone, la réponse militaire à elle seule ne saurait venir à bout de cette crise aux multiples ramifications. L’État devra continuer à jouer son rôle régalien en termes de sécurisation, de désenclavement et de développement socio-économique du Soum. Mais pour que cette crise puisse se résoudre, les fils et filles du Soum doivent accepter de se parler. Sans faux fuyants.