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Burkina Faso : La création d’un parti politique par le Dima de Boussouma marque un recul de la démocratie représentative

Publié le samedi 23 mai 2020  |  Netafrique.net
Burkina
© Autre presse par DR
Burkina Faso : La création d’un parti politique par le Dima de Boussouma marque un recul de la démocratie représentative
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Donald Karim Ouédraogo est le Dima de Boussouma, c’est-à-dire le Chef traditionnel de l’une des cinq monarchies qui constituent l’empire Mossi. Il a été intronisé le 10 Août 2019, sous le nom de règne de Naaba Siguiri, succédant à son père, Salfo Théodore Ouédraogo, décédé le 30 juillet 2019, qui régna sous l’appellation de Naaba Sonré.

Outre sa place éminente dans la chefferie coutumière mossi, le précédent Dima était connu également pour avoir exercé des activités politiques. Après avoir milité dans le Mouvement de Libération Nationale (MLN) de Joseph KI-Zerbo, il fonda son propre parti, le Rassemblement pour la Démocratie et le Socialisme (RDS), dont il fut l’unique député deux décennies durant.

Après son intronisation, le nouveau Dima, Naaba Siguiri, avait annoncé à son entourage qu’à la différence de son père, il entendait se tenir à l’écart de la vie politique, pour se consacrer exclusivement à ses fonctions coutumières, en observant une stricte neutralité à l’égard des partis politiques, de manière à préserver la cohésion parmi les ressortissants de son « royaume ».

Revenant sur cette promesse, voilà que le 16 Mai 2020, soit moins d’un an après son accession au trône, il réunit les chefs coutumiers de sa cour pour leur annoncer sa décision de créer un parti politique : l’Alliance Panafricaine pour la Démocratie (APR). Quelques jours plus tard, il fit la même annonce aux responsables et militants du parti de son défunt père, le RDS, dans l’intention manifeste de les inviter à rejoindre la nouvelle formation. Le roi est mort, vive le roi. Le RDS est mort, vive l’APR. Ainsi, la succession dynastique s’accompagne d’une succession politique. Et l’ordre républicain est préservé dans le royaume, dans une totale confusion des genres. Comment ne pas voir le caractère ubuesque de cette mascarade, qui illustre l’affaissement des valeurs civiques, républicaines et démocratiques dans notre pays.

Entendons-nous bien. M. Donald Karim Ouédraogo est un citoyen burkinabè. En cette qualité, il jouit pleinement des droits civiques et politiques reconnus à tous les citoyens par les articles 11, 12 et 13 de la Constitution du Burkina Faso. Il a donc parfaitement le droit de fonder un parti politique, sous réserve de respecter les prescriptions légales. Ce n’est pas la légalité de cette démarche qui est en cause, encore que des réserves peuvent être émises à cet égard. Ce qui est en cause, c’est la confusion flagrante entre les prérogatives coutumières et l’exercice des libertés politiques. C’est la perversion du système démocratique par des pratiques relevant de la féodalité. Dans un sens inverse, c’est aussi la dévalorisation de l’autorité morale de la chefferie coutumière, du fait de son implication outrancière dans le jeu politique.

Jusqu’à ce qu’il succède à son père comme Dima de Boussouma, M.Donald Karim Ouédraogo était un parfait inconnu sur la scène politique burkinabè. Et voilà que devenu Dima, sa première initiative majeure est de créer un parti politique, dont l’unique vocation est de lui servir de marchepied pour accéder sans nul doute à un mandat de député, comme l’avait fait son père avant lui.

On aurait pu s’attendre à ce que, accédant au trône au moment où la crise sécuritaire frappait de plein fouet la région du Centre-Nord, entraînant des conflits intercommunautaires sanglants et un afflux de déplacés, le nouveau Dima se donnât comme priorité de restaurer la concorde, la tolérance mutuelle et la sécurité dans son royaume, plutôt que de susciter lui-même un facteur de division supplémentaire en se lançant de plein pied dans l’arène politique.

On aurait pu attendre de ce nouveau Dima qu’il prit conscience que les temps avaient changé et lui commandaient d’obéir à une conception plus saine de ses responsabilités coutumières. La Constitution burkinabè dans son Préambule reconnaît « la chefferie coutumière et traditionnelle en tant qu’autorité morale dépositaire des coutumes et des traditions dans notre société ». A ce titre, sa vocation essentielle est de contribuer à la préservation et au renforcement de la cohésion sociale. Cela implique qu’elle doit exercer sa mission dans l’intérêt de toutes les personnes qui relèvent de son ressort territorial, en observant à leur égard une totale neutralité en ce qui concerne leur affiliation politique. Comment peut-on rendre crédible cette neutralité lorsqu’on est soi-même chef d’un parti politique et candidat dans des compétitions électorales.

Ce qui illustre de manière flagrante la confusion des genres (et des systèmes de gouvernance) à laquelle nous assistons, c’est que le premier cercle auquel M. Donald Karim Ouédraogo choisit de faire l’annonce officielle de son projet politique, fut l’assemblée des chefs traditionnels qui relèvent de son autorité coutumière, comme pour requérir leur allégeance à son nouveau parti. Il fit cette démarche avant même de s’adresser aux militants du parti de son défunt père, qu’il entend transférer dans sa nouvelle formation, comme un bétail électoral qui fait partie de son héritage.

L’autre incongruité de cette opération politique, c’est que de toute évidence l’envergure de ce parti sera limitée au territoire du royaume de Boussouma, quels que soient les subterfuges qui seront utilisés par le promoteur de l’APR pour faire croire le contraire. N’ayant aucune notoriété politique à l’échelle nationale, le seul argument qu’il pourra utiliser pour recruter des militants sera le fait qu’il est le Dima de Boussouma. Ce qui ne présente d’intérêt que pour les gens de Boussouma. De ce point de vue, il faut garder en mémoire que la Constitution du Burkina interdit « les partis ou formations politiques tribalistes, régionalistes, … ». Certes, rien ne permet de dire, à ce stade, que l’APR professe une doctrine tribaliste, ou régionaliste. Mais quelle vertu républicaine, ou démocratique peut incarner un parti d’obédience locale, créé dans le seul but de faire élire à l’Assemblée Nationale un personnage en mal de reconnaissance ?

Le nom du parti lui-même est une vaste blague, qui en dit long sur la vacuité de cette initiative. Alliance « panafricaine » : peut-on trouver plus éloigné du panafricanisme qu’un parti dont la vocation est de confisquer à des fins personnelles l’électorat d’une province ? Alliance Panafricaine pour la « Refondation » : Qu’est-ce que M. Donald Karim Ouédraogo entend refonder ? Le siège permanent de député de son père ? La collusion entre la chefferie coutumière et le pouvoir politique ? Le dévoiement de la démocratie représentative ? L’institutionnalisation d’un clientélisme politique fondé sur l’usage abusif de l’autorité morale que la tradition reconnaît au chef coutumier ?

Le respect des valeurs et des institutions traditionnelles peut constituer une richesse culturelle et sociale inestimable pour notre pays, à condition que nous sachions en faire un usage raisonnable, loyal et responsable, compatible avec l’Etat républicain. C’est aux autorités coutumières qu’il incombe au premier chef de préserver ce patrimoine culturel, en faisant preuve de sagesse et de discernement. Elles peuvent aussi contribuer à la dépréciation de ce patrimoine et à son rejet violent par la population, à force d’abus de toutes sortes. L’Histoire contemporaine du Burkina Faso en porte témoignage. Après tout, il existe bien des pays africains où aucune place particulière n’est faite à la chefferie coutumière. Elle est regardée simplement comme le symbole désuet d’un passé révolu. Cela n’est pas souhaitable pour notre pays, car il y eut des époques où des chefs traditionnels d’une grande autorité morale ont joué un rôle décisif dans le maintien de la cohésion à l’échelle locale ou nationale.

La monarchie de Boussouma est héritière d’une tradition d’honneur et de courage qui fait la fierté de ses ressortissants, à juste titre. Elle ne doit pas déchoir de cette stature morale.

Sanou Kadari
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