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Me Prosper farama, avocat. «Ce sont les moins bien de l’ancien système, qui sont aujourd’hui au pouvoir»

Publié le mercredi 20 mai 2020  |  netafrique.net
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© Autre presse par DR
Me Prosper Farama, avocat
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L’invité de votre rubrique « Mardi Politique » de ce jour, est un homme qui ne mâche pas ses mots quand il s’agit de la gouvernance au Burkina Faso. Me Prosper Farama, coutumier des dossiers chauds dans les palais de justice, aborde avec nous plusieurs sujets : la gestion de la Covi-19, la gouvernance du pays, les droits humains, entre autres. Sur tous ces sujets, l’avocat titille le pouvoir de Roch Marc Christian Kaboré.

« Le Pays » : Quel regard portez-vous sur la gestion de la maladie à coronavirus au Burkina Faso ?

Me Prosper Farama : Il ne faut pas détacher la gestion de cette situation conjoncturelle de la gestion structurelle du pays. La première question que je me pose, en regardant les gouvernants dans leur gestion de notre pays, est de savoir s’ils ont conscience de ce que c’est qu’un pays, un Etat. Cela peut paraître fort mais je le dis, franchement. Comme disent les juristes, un Etat, c’est une population, un territoire, un gouvernement. Aujourd’hui, je doute fort qu’on ait un territoire car, en réalité, nous ne contrôlons qu’une infime partie de notre territoire. Ça, c’est déjà un problème. Ensuite, on a une population qui vit dans une situation très difficile, à 45° C à l’ombre pendant que les gouvernants, eux, se la coulent douce. En ce qui concerne le gouvernement, je n’ai pas l’impression qu’on ait des gens qui gouvernent. Cela peut paraître blessant mais gouverner, c’est avoir de la vision, de la méthode et un idéal. Un ami m’a dit un jour que la seule chose que les gouvernants donnent l’impression de pouvoir gérer, c’est leur ego surdimensionné, leurs comptes bancaires et, peut-être, leurs maîtresses. J’ai trouvé qu’il était un peu dur mais c’était une façon pour lui, de faire un constat qui est, malheureusement, très amer. Et donc, ça n’étonne personne de constater que le Covid-19 est géré de façon chaotique. Tout a été géré jusqu’aujourd’hui, par ce gouvernement, de façon chaotique.

En quoi cette gestion est-elle chaotique ?

Depuis que les choses ont commencé et que j’observe le gouvernement dans sa communication, dans sa gestion, cela me fait penser aux conducteurs de taxi-motos à Ouagadougou. Ils clignotent à gauche et tournent à droite. C’est affreux. Vous ne comprenez absolument rien dans la communication gouvernementale. Il n’y a qu’eux seuls qui y comprennent quelque chose. Quand on pose des actes, ils doivent être réfléchis, avec un objectif bien précis. L’objectif, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, à mon sens, c’était d’arriver à faire prendre conscience aux populations qu’il y a une maladie qui est là, très contagieuse et que des dispositions doivent être prises et ces dispositions doivent être comprises et acceptées des gens. Mais on a abouti, aujourd’hui, à une situation où beaucoup pensent que le Covid-19 n’est qu’une invention du gouvernement pour arnaquer le peuple. Donc, on a abouti au contraire de ce qu’on a espéré. Aujourd’hui, personne ne veut aller à Tengandogo, centre névralgique de la gestion de la maladie parce qu’il est considéré comme un mouroir. Entre les décisions prises et les résultats escomptés, il n’y a aucune logique. En plus, un pays comme le nôtre ne peut pas se payer le luxe d’une gestion crise par crise. Le Covid-19 nous a révélé le dysfonctionnement de notre système de santé.

Me Farama, même les systèmes de santé des grands pays ont été éprouvés par cette crise sanitaire !

Quand je parle de mon pays, je ne me compare jamais aux autres. La comparaison par le pire est l’art des idiots. Quand on doit comparer, on se compare aux meilleurs. Ce qui m’intéresse, c’est ce que mes gouvernants ont prévu pour mon pays. Quand je vois un pays comme le nôtre, où les maires changent de voitures, où les ministres se font acheter des voitures dignes de leurs fonctions, quand on voit que les députés sont grassement payés et en même temps, on nous dit qu’il n’y a que 20 appareils respiratoires pour 20 millions d’habitants, soit un appareil pour 1 million de personnes, il faut réfléchir sur la gestion et la gouvernance de ce pays. On a parlé d’un budget de plus de 200 milliards de F CFA pour gérer la crise du Covid-19. Pendant ce temps, dans les villages, beaucoup de centres de santé n’ont même pas l’électricité, même pas une plaque solaire, même pas un petit frigo pour conserver des vaccins. N’est-il pas plus intelligent de penser à une vision à long terme pour améliorer le système de santé ? C’est pourquoi j’estime que nos gouvernants n’ont aucune vision.

Nous sommes dans une situation d’urgence. Peut-on la gérer comme dans une autre situation où on serait plus programmatique ?

Dès lors que vous arrivez à une situation d’urgence et que vous vous rendez compte que vous n’avez pas été préparés à l’affronter, c’est que votre programme de gestion de la société, n’était pas bien conçu. Dans la gestion du Covid-19, on a demandé aux gens de se cotiser. Donc, on veut gérer le pays par tontine et c’est grave. Si vous allez gérer un pays et régler les problèmes par des cotisations ou tontines, cela veut dire que c’est un échec total.

« Ce sont les moins bien de l’ancien système, qui sont aujourd’hui au pouvoir »

Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui, ont travaillé pendant 27 ans auprès de Blaise Compaoré et donc, ils ont de l’expérience dans la gestion du pouvoir d’Etat. Comment expliquer les tâtonnements auxquels vous faites référence ?

Je n’ai jamais su pourquoi les Burkinabè ont considéré qu’en chassant Blaise Compaoré et en ramenant ces gens au pouvoir, il y avait eu un changement. Quand on parle de changement, ce n’est pas un changement d’individus. Si après 27 ans, on a estimé que le régime de Blaise Compaoré ne méritait pas de continuer, je ne vois pas pourquoi on pourrait penser que des gens qui ont géré le pays avec lui, selon les mêmes règles et dans le même système, pourraient constituer un changement. Ceux qui ont cru à cela, tant pis pour eux ! Moi, je n’y ai pas cru. La question fondamentale qu’on devait se poser, était de savoir si ces gens avaient une autre offre politique que celle qu’on a toujours connue. Ils n’en avaient aucune. Je pense d’ailleurs que c’était les moins qualifiés de l’ancien système. Avec tout le respect que je dois au président Roch Marc Christian Kaboré, je ne l’ai jamais vu à un poste stratégique où il a pris une décision qui m’est restée en mémoire comme étant une décision historique d’un homme politique. Le président Roch n’est pas le seul. Les autres caciques du pouvoir sont également dans le même lot. Ce sont les moins bien de l’ancien système, qui sont aujourd’hui au pouvoir.

Selon vous, qu’aurait-il fallu faire en remplacement de Blaise Compaoré ?

Il aurait fallu changer.

Changer par qui ?

Moi, je ne choisis pas les hommes. Il faut qu’on se comprenne dans la notion de changement. Les peuples doivent savoir une chose : changer, ce n’est pas remplacer X par Y ; ce n’est pas changer Blaise Compaoré par Compaoré Blaise. Si c’était cela, on n’aurait pas besoin de faire une insurrection. Lorsqu’on n’est pas d’accord avec un mode de fonctionnement dans la gestion du pouvoir, on doit appeler à une autre offre politique. Le peuple a fait ce qu’il fallait faire en rejetant le système politique d’alors mais les élites politiques et les élites intellectuelles n’ont pas fait leur travail. C’était à elles de comprendre qu’il fallait s’organiser pour qu’une autre offre politique remplace l’ancien système. Mais, les gens ont géré les choses en fonction de leurs intérêts personnels, c’est-à-dire avoir quelque chose à gagner dans l’ancien-nouveau système qui se mettait en place. Conséquence, on a fait un pas en avant et trois en arrière.

Vous êtes très critique envers le pouvoir actuel. Avez-vous un problème personnel avec eux ?

Si c’était le cas, j’aurais eu un problème personnel avec ceux qui sont partis. Je les critiquais de la même façon. Cela n’a rien de personnel. Ceux qui sont au pouvoir doivent le comprendre et l’accepter. Je vois souvent quelques réactions épidermiques de certaines autorités politiques, à certaines critiques. Mais, elles sont déconcertantes. On n’a jamais amené un individu, de force, au pouvoir. On vient au pouvoir volontairement et quand on vient volontairement au pouvoir, c’est qu’on a le dos assez large pour accepter les critiques. Si vous dites être dignes de diriger 20 millions de Burkinabè, c’est que vous vous sentez capables de supporter 20 millions de critiques. Si vous n’êtes pas capables d’accepter les critiques, ne venez pas au pouvoir. Si on vous critique et vous estimez que vous avez la possibilité d’améliorer, vous améliorez. Il ne faut pas considérer que tous ceux qui vous critiquent, sont vos ennemis. Moi, je n’ai pas d’ennemi ; je n’ai rien à y gagner d’ailleurs.

D’aucuns estiment que les critiques acerbes de Me Farama à l’encontre de ceux qui sont au pouvoir, s’expliquent par le fait qu’il est un « rouge ». Que leur répondez-vous ?

Moi, j’assume mes postures. Si le fait de dire que le régime actuel agit mal et que ce qu’il nous propose-et je ne suis pas le seul à le penser – n’a rien de positif pour nous, c’est cela être rouge, alors là, je suis prêt à dormir en rouge tous les jours, à me balader en rouge, à manger rouge, à boire rouge. Un homme, quand il pense quelque chose, doit être capable de le dire et de l’assumer.

Pour revenir à la crise sanitaire, l’Assemblée nationale a initié une mission d’information parlementaire pour investiguer sur la gestion du Covid-19. Qu’attendez-vous de cette mission ?

De cette mission d’information parlementaire, je n’attends rien du tout.

Certains cas de décès dus au Covid-19, font débat. Le plus emblématique étant celui de Rose Marie Compaoré dont vous êtes l’avocat de la famille. Qu’avez-vous à dire sur ce cas ?

Je vais juste parler de ce que je sais. J’ai suivi, dans la presse, le gouvernement qui a dit qu’elle était le premier cas de victime de Covid-19 déclarée au Burkina Faso. La famille a juste demandé de lui apporter la preuve qu’un examen a été fait et qu’effectivement, l’examen s’est révélé positif. Ce, d’autant plus qu’elle avait été déjà hospitalisée dans une clinique avant d’être transférée à Tengandogo et que cette clinique n’avait jamais parlé de Covid-19. La famille n’avait jamais été informée que Rose Compaoré avait été atteinte de Covid-19. Elle a été déclarée décédée de Covid-19, 24 heures après son entrée à Tengandogo alors que la famille a entendu dire qu’entre le prélèvement et les résultats, il s’est écoulé un délai de 72 heures. C’est cela qui a suscité des questionnements au niveau de la famille qui a demandé à accéder au dossier médical. Jusqu’aujourd’hui, elle n’a pas encore eu accès à ce dossier. Nous sommes dans l’attente parce que nous avons reçu un courrier de l’avocat de l’hôpital, qui dit qu’ils sont en train d’étudier la demande.

« La justice ne se porte pas mieux par rapport à ce qui se faisait il y a 5, 15, 20 ans »

Il semble que vous avez reçu un résumé du dossier médical !

On nous a fourni un rapport et nous avons dit que ce n’était pas ce que nous demandons. Un rapport, c’est juste la transcription écrite de ce que le médecin vous a expliqué. S’il y a un doute, c’est que la parole du CORUS cause problème. C’est pourquoi la famille veut des éléments concrets pour pouvoir se rassurer. Quand on fait un examen, je suppose qu’il y a un bulletin. Jusqu’aujourd’hui, on n’a même pas été capable de présenter cela à la famille. Cela fait maintenant deux mois, voire plus, qu’on tourne la famille en rond. Pourquoi cela ? Pourquoi on a parfois évoqué le secret médical alors que le gouvernement a été le premier à sortir sur les ondes, pour dire que Rose Marie Compaoré est décédée de Covid-19 ? Comment pouvez-vous invoquer le secret médial à sa famille dès lors que vous avez dit à toute la Nation et à tout le monde entier, qu’elle a été la première personne à décéder du Covid-19 au Burkina Faso ? Ce sont ces incompréhensions qui habitent la famille. Tenez-vous, pendant qu’on a dit qu’elle est décédée du Covid-19, la famille n’avait jamais été approchée dans le sens d’une quarantaine, ou d’une désinfection. En plus de cela, il y a des mensonges grossiers de la part de l’Etat. Les représentants de l’Etat ont dit que la famille avait été prise en charge, ce qui n’est pas vrai. D’ailleurs, le ministre l’a reconnu elle-même devant l’Assemblée nationale. En outre, la famille veut savoir comment la situation a pu dégénérer entre son entrée et son décès 24 heures après. Ils ont dit qu’elle était dans un état « comateux », mais cela est faux. Il y a des preuves. De son lit d’hôpital, elle a échangé avec des gens par texto. Comment quelqu’un qui est dans le coma, peut-il envoyer des messages à des collègues députés ? Des choses se sont donc passées et la famille veut comprendre.

Quel intérêt l’équipe de prise en charge avait-elle à mentir si c’était vraiment le cas ?

Il faut lui poser la question. Demandez à Mme la ministre de la Santé, l’intérêt que ses camarades avaient à la faire mentir devant la Représentation nationale. Moi, je n’ai fait que constater.

En quoi des décès dus au Covid-19, méritent-ils d’être traités sur le plan judiciaire ?

Les questions qui se posent principalement, c’est la prise en charge. On entend beaucoup de rumeurs mais je n’aime pas ergoter sur les rumeurs. J’aime critiquer sur des faits avérés. Mais il y a des rumeurs qui, si elles sont avérées, sont des faits graves qui commandent que les responsabilités soient situées et que des comptes soient demandés à qui de droit.

Selon vous, pourquoi y a-t-il tant de décès au Burkina comparativement à certains pays en Afrique ?

Personnellement, j’ai un seul reproche à faire aux médecins dans cette crise sanitaire. Ils ont été étonnamment silencieux. Il appartient aux médecins, à ceux qui sont sur le front, qui se sont tus pendant des mois, d’expliquer au peuple burkinabè et au gouvernement, qu’ils avaient besoin de conditions adéquates pour pouvoir travailler. Dans cette crise, on s’est rendu compte combien il était important d’avoir un système sanitaire très bien organisé, avec un personnel soignant qui soit dans les meilleures conditions pour travailler. Mais c’est à eux de le dire. S’ils ne le disent pas, tant pis pour eux ! Pour le peu que je sais, notre système sanitaire est l’un des moins bien organisés et équipés en Afrique.

Le gouvernement a pris la mesure de la situation. Il y a une réorganisation au niveau de l’équipe de gestion du Covid-19. Le Pr Martial a été notamment débarqué !

Dans pareilles situations, il y a toujours un bouc émissaire. Malheureusement, pour le Pr Martial, c’est lui qui a été visé comme le bouc émissaire. Sinon, je pense que les responsabilités doivent être situées au niveau d’une échelle supérieure.

Le Burkina Faso se retrouve face à plusieurs problèmes : insécurité, fronde sociale, Covid-19. Comment sortir de cet engrenage ?

La seule référence des Burkinabè aujourd’hui, c’est Dieu. Mais je pense que Dieu est là pour tout le monde. Il n’est pas seulement là pour les Burkinabè. Pour moi, il faut être objectif. Après avoir observé ce régime pendant près de cinq ans, je ne pense pas qu’il ait la capacité, la compétence, la vision, un projet de société et un idéal qui puissent nous sortir des difficultés dans lesquelles nous nous trouvons. C’est de deux choses l’une : soit ces gens partiront du pouvoir d’une façon ou d’une autre, et le Burkina sera autre chose ; soit ils vont continuer et le Burkina Faso tombera d’où il nous sera très difficile de ressortir.

Sur la question de la fronde sociale, une partie de la population se sent prise en otage par les querelles entre gouvernement et syndicats. Quel est votre avis sur le sujet ?

Il faut remettre les choses dans leur contexte. Dans un pays, chacun joue son rôle. Un gouvernement gouverne. Les syndicats défendent les intérêts de leurs membres respectifs. Quand je regarde nos gouvernants, je pense qu’ils ont fini par faire des travailleurs, leurs principaux ennemis. Ils considèrent leurs propres citoyens comme leurs propres adversaires parce que, dans leur optique, il n’y a qu’une chose qui compte : comment conserver le pouvoir. On doit gouverner en se demandant ce qu’on peut faire pour améliorer la situation des populations. Dans un pays où tout va bien, ça se voit et ça se sent. Je pense qu’il y a deux choses qu’on ne peut pas cacher : la richesse et la pauvreté. Si le gouvernement fait ce qu’il y a à faire, les autres seront obligés de constater. Mais quand je vois que le gouvernement considère les syndicats comme des mal- propres, je ne peux pas l’accepter. Quand on vient au pouvoir, c’est celui qui dirige qui doit se sacrifier. Ce n’est pas ceux qu’on dirige qui se sacrifient. Comment comprendre que des ministres négocient des salaires au-delà de la loi et refusent aux autres, le minimum? Il y a un problème.

Selon vous, la Justice se porte-t-elle mieux aujourd’hui qu’hier ?

Je n’ai pas l’impression qu’il y ait un changement fondamental au niveau de la Justice. Sous la Transition, il y a eu ce qu’on appelle le Forum national de la Justice. A l’époque, j’avais estimé que c’était du folklore. Le problème n’était pas d’aller signer des papiers pour dire qu’on fera ceci ou cela. Aujourd’hui, à quoi a servi le Pacte pour le renouveau de la Justice ? Tous les acteurs signataires sont en bagarre. Le vrai problème au niveau de la Justice, c’est le problème général qu’on a au niveau de la gouvernance. On n’a pas une politique cohérente générale de la Justice au Burkina Faso, qui soit lisible. Aujourd’hui, tout ce que nous vivons, est lié à l’inadaptation et à l’inadéquation de notre système de Justice par rapport à ce que nous voulons et nous sommes. Au regard de tout cela, je crois que la Justice ne se porte pas mieux par rapport à ce qui se faisait il y a 5, 15, 20 ans.

Comment entrevoyez-vous les confrontations politiques globales entre partis politiques, aux prochaines élections, notamment entre majorité et opposition?

Moi, je ne vois aucune confrontation. Je m’excuse auprès de l’Opposition mais je m’interroge sur l’existence d’une opposition dans notre pays. Pour moi, une opposition, c’est un groupe qui, politiquement, a des propositions à faire, qui a une vision différente de celle du pouvoir en place. Dites-moi, entre ce que vous appelez l’Opposition aujourd’hui et la majorité, c’est quoi la divergence sur la question de l’éducation ? Sur la question de la gestion économique, quelle est la divergence ? Je les écoute, les observe mais je n’en sais rien. Je constate seulement qu’on est dans un système libéral qui nous fait beaucoup de mal. Et d’ailleurs, le Covid-19 nous a permis de nous en rendre compte.

Et pourtant, ceux qui sont dans l’Opposition disent qu’ils feront mieux dès qu’ils arriveront au pouvoir !

Une chose est de dire qu’on fera mieux, une autre est de le concrétiser. Il y a quelques années, le MPP nous avait promis monts et merveilles mais voilà les résultats. Sur les rapports de forces, je vois venir des choses. Je crois que le MPP est pressé d’aller aux élections. Déjà, je pressens qu’on posera le problème de la légitimité de ces élections parce qu’on aura près de la moitié du pays où les gens ne pourront pas voter. Aujourd’hui, on fait semblant de ne pas le voir mais tout le monde sait qu’il n’y aura pas d’élection dans toutes les zones sous occupations terroristes. De même, dans les zones proches de celles terroristes, personne ne sortira pour aller voter. On va donc élire des gouvernants avec 500 000 ou 800 000 Burkinabè sur 20 millions, comme on l’a déjà vu ici. Après, on viendra nous dire que c’est le jeu démocratique. J’imagine que le MPP va gagner ou je suppose qu’il mettra tout en œuvre pour gagner mais qui sait, le CFOP peut gagner aussi. Je pressens qu’ils se mettront autour d’une table de négociations au nom de ce qu’ils appellent la cohésion nationale. Ils vont faire des gouvernements de coalition pour que chacun puisse retrouver son petit gâteau.

Me Prosper Farama compte-t-il se lancer en politique un jour ?

Mon père m’a toujours enseigné qu’un homme ne dit jamais, jamais. Je retiens cela. Par principe, mon objectif aujourd’hui, n’est pas d’obtenir un poste ministériel ou un poste de député. J’ai juste envie d’un changement dans la gouvernance. Il faut savoir une chose : ce ne sont pas les individus, pris isolément, qui sont capables de changer quelque chose dans ce pays. Vous mettrez Me Farama, ministre de la Justice ou quelqu’un d’autre dans un système comme celui-là, cela ne changera absolument rien.

Entrevoyez-vous un retour aux affaires du CDP dès les prochaines élections avec Eddie Komboïgo comme candidat ?

En politique et en matière électorale, tout est possible. Eddie Komboïgo peut gagner les élections comme n’importe quel autre candidat. C’est possible que le CDP revienne au pouvoir. Personnellement, je ne crois pas aux élections. Ça blesse certains mais c’est ma conviction et je l’assume. Et si on est logique avec nous-mêmes, on comprendra que les Burkinabè ne croient pas aux élections. Rappelez-vous ! Quand le CDP a demandé à ce qu’on aille aux élections pour la révision de l’article 37, la majorité des Burkinabè n’étaient pas d’accord. Mais pourquoi ? Je vous parie que si on était allé aux élections, l’article 37 serait passé. C’est parce que tout le monde a senti ce piège qu’on a refusé d’aller aux élections. Que l’on se comprenne ! Les élections, c’est bien et c’est mieux qu’un coup d’Etat. Mais dans l’état actuel de nos sociétés, les élections ne révèleront jamais la volonté réelle des peuples. J’aime taquiner des amis en disant : si je prends n’importe quel Burkinabè inconnu aujourd’hui par les Burkinabè et que je suis capable de lui donner 2000 milliards de F CFA pour postuler à la présidence du Faso, je vous assure qu’il sera président. Est-ce cela la vérité des urnes ? Je ne le pense pas !

Comment analysez-vous la situation des droits humains au Burkina Faso dans ce contexte de lutte contre le terrorisme ?

Je n’ai pas été aussi meurtri par rapport aux atteintes aux droits de l’Homme que sous ce régime. Sous le régime de Blaise Compaoré, il y a eu beaucoup de choses, y compris même des tueries. Je ne dis pas que c’est une excuse mais au moins, les choses étaient claires. C’est un régime qui est venu par la force des armes, qui a conquis le pouvoir par la force, qui a essayé de se policer après et qui était prêt à tout pour rester au pouvoir, y compris à marcher sur les droits de l’Homme. Mais je suis totalement déçu de ce régime. Parce que c’est un régime qui est venu par la force de l’insurrection dont l’une des revendications essentielles, était le respect des droits humains. Qu’un tel régime en soit à une situation où il est incapable d’assurer un minimum de respect des droits humains, je crois que c’est dangereux. J’entends souvent des arguments qui me font peur. On est tous d’accord qu’il faut combattre le terrorisme mais combattre le terrorisme sans respecter un minimum de droits, on se met tous en danger. Quand je discute avec certaines communautés, notamment celles du Nord, j’ai le sentiment que nous sommes entrés dans un engrenage où si rien n’est fait, dans les années à venir, les questions de nationalités au Burkina Faso, vont créer beaucoup de problèmes. Aujourd’hui, pour camoufler l’incompétence dans la gestion de la crise du terrorisme, on a laissé la porte ouverte à certaines dérives.

Comment peut-on recadrer cela ?

D’abord, je crois que c’est une question de volonté politique. Il faut déjà qu’en haut lieu, on ait conscience de cette situation et qu’eux-mêmes, veuillent entrer dans cette logique en disant : « Nous voulons faire la guerre contre les terroristes mais nous voulons tout mettre en œuvre pour que nos Forces de défense et de sécurité puissent le faire en respectant les droits qu’elles sont censées défendre ». Pour le reste, je pense que c’est une question de mise en œuvre pratique.

Interview réalisée par Michel NANA
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