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Au Burkina Faso, la polémique enfle autour de la gestion de la lutte contre le coronavirus

Publié le jeudi 14 mai 2020  |  netafrique.net
Kaya
© Autre presse par DR
Kaya : Désinfection du marché central en prélude à sa réouverture
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C’était le 18 mars, le gouvernement burkinabé organisait son premier « point de situation » sur l’évolution du Covid-19 face à la presse. Ce jour-là, rares sont ceux à porter un masque. L’heure est encore à l’insouciance. « Nous avons enregistré dans la nuit le décès d’une patiente de 62 ans, diabétique, qui était sous réanimation », annonce le professeur Martial Ouédraogo, le coordonnateur national de la réponse à la pandémie du nouveau coronavirus.

L’annonce fait l’effet d’un électrochoc. Le Burkina Faso, qui n’enregistre alors que 27 cas positifs à cette date, devient le premier pays à compter ses morts du coronavirus en Afrique subsaharienne.

Le même jour, on apprendra que la patiente décédée est Rose Marie Compaoré, une députée de l’opposition et deuxième vice-présidente de l’Assemblée nationale. Or, près de deux mois après les faits, la polémique enfle autour des circonstances de sa mort. La députée était-elle vraiment atteinte du Covid-19 ? Son décès aurait-il pu être évité ? Les révélations se multiplient et mettent au jour des failles dans la gestion de l’épidémie.« Ça me hante »
Depuis le décès de son épouse, Amado Compaoré cherche à comprendre. « Ça me hante », souffle cet ingénieur à la retraite, assis dans la cour de sa maison. Le 16 mars, la sexagénaire, hospitalisée dans une clinique privée de la capitale après « un contrôle de routine de son diabète », indique la famille, est transférée au CHU de Tengandogo, le centre de prise en charge des malades du Covid-19. « Elle présentait de la fièvre et des difficultés respiratoires », des « signes suspects » de la maladie, affirme un soignant de l’hôpital.

« Personne ne m’a parlé du coronavirus, on me disait qu’elle avait une pneumonie virale », insiste de son côté M. Compaoré. Le lendemain, lorsqu’il retourne dans la nuit au CHU, après être allé chercher quelques affaires à leur domicile, il est déjà trop tard. « On m’a expliqué qu’elle était morte d’une crise cardiaque », relate le veuf, qui soutient n’avoir « jamais pu consulter les examens ni le dossier médical » de sa femme, malgré ses multiples demandes.

Selon nos informations, les médecins n’ont pas pu transférer Rose Marie Compaoré en réanimation cette nuit-là. Il aura fallu attendre près d’un mois, début avril, pour que le service, fermé pour « des travaux de mise à niveau », soit opérationnel. « Pendant tout ce temps, nous avons perdu de nombreux malades en détresse respiratoire, ils auraient pu être sauvés », fustige un médecin, sous couvert de l’anonymat.

Nombreuses contradictions
En coulisses, plusieurs « blouses bleues » émettent également des doutes sur la rapidité du diagnostic. A l’époque, il n’y a pas encore de laboratoire habilité à faire le dépistage du Covid-19 dans la capitale, ni de tests rapides. Il faut envoyer les prélèvements à Bobo-Dioulasso, à 350 kilomètres à l’ouest du pays. « Minimum 72 heures avant la réception des résultats », précisent plusieurs sources médicales. Contactés, le ministère de la santé et la direction de l’hôpital n’ont pas souhaité donner suite à nos demandes de précisions.

Autre contradiction : le 21 avril, la ministre de la santé Claudine Lougué est auditionnée à l’assemblée nationale sur la gestion gouvernementale de la pandémie de Covid-19. Celle-ci affirme alors que le domicile de la défunte a bien été « désinfecté » et que « des médecins ont reçu la famille et le mari ».

Des propos contredits par le journaliste d’investigation, Yacouba Ladji Bama, qui a révélé l’affaire dans le bimensuel Courrier Confidentiel. « Aucun médecin ne nous a contactés, la maison n’a jamais été désinfectée et nous n’avons pas été testés ni mis en quarantaine ! », soutient Amado Compaoré.

Le mea culpa arrivera en pleine tempête médiatique, le 25 avril. « On m’a fait mentir à l’Assemblée nationale », lâche la ministre Claudine Lougué, dans les colonnes du Courrier Confidentiel, justifiant qu’après avoir convoqué « une réunion de crise », ses collaborateurs lui ont finalement « avoué » que la rencontre avec la famille ne s’était « jamais tenue », et encore moins « la désinfection du domicile ».

« De gros cafouillages »
Aujourd’hui, si la ministre est allée présenter « ses excuses et ses condoléances » à la famille et que l’affaire a valu le limogeage du coordonnateur national de la réponse à l’épidémie du Covid-19, le dossier est loin d’être clos. « Tout ce que l’on souhaite, c’est connaître la vérité, qu’on nous montre les tests prouvant qu’elle avait ce virus », martèle Amado Compaoré rappelant que personne dans leur entourage n’a été malade et qu’aucune mesure spécifique n’a d’ailleurs été demandée pour les funérailles.

Manque de matériel de protection et de respirateurs, médecins contaminés, témoignages de patients « abandonnés » la nuit : le CHU de Tengandogo n’en est pas à sa première polémique. « Il y a eu de gros cafouillages dans la gestion des premiers cas, un manque d’humanisme aussi. Ces bévues ont fortement dégradé l’image de l’hôpital. Depuis, beaucoup de malades préfèrent se tourner vers le privé ou les tradipraticiens », regrette un médecin.

Alors que six ministres ont déjà été infectés au coronavirus, les critiques visent également le gouvernement. A la date du 11 mai, le pays enregistrait 766 cas, dont 51 décès, l’un des taux de létalité les plus élevés de la sous-région. L’opposition dénonce « une gestion catastrophique » et exige la démission de la ministre de la santé.

« La cacophonie sur l’application des mesures, les contradictions au sommet, ajoutées à ce scandale, qui est une démonstration de communication mensongère, ont dévalué la parole politique et effrité la confiance de la population », alerte Lookman Sawadogo, à la tête du groupe de réflexion Cercle citoyen d’aide à la gouvernance du Covid-19. Selon lui, de plus en plus de Burkinabés doutent de l’existence même de la maladie.

Une « crise de légitimité »
« Pour certains, l’affaire Rose Marie Compaoré est venue renforcer l’idée que les chiffres de l’épidémie seraient surévalués », regrette le journaliste, qui s’inquiète également d’un « manque de transparence » autour du budget du plan de riposte, estimé à 177 milliards de francs CFA (quelque 270 millions d’euros).Une « crise de légitimité » d’après lui, qui expliquerait également les différents mouvements de grogne qui ont eu lieu ces dernières semaines au Burkina. Manifestations des commerçants, relâchement dans le respect des mesures barrières, désobéissance… Les autorités ont d’ailleurs décidé d’assouplir un certain nombre de mesures restrictives, avec la suspension de la mise en quarantaine des villes, la reprise des transports et la réouverture des marchés et des lieux de culte.

« Ce n’est pas une réponse à la pression, c’est un risque que nous assumons. Il était nécessaire d’avoir cet allègement des mesures de façon concertée. En cas de rebond de la courbe, nous appliquerons les mesures de restriction rapidement », assure le porte-parole du gouvernement Rémis Fulgance Dandjinou. Une nouvelle épreuve pour l’exécutif, à sept mois d’élections présidentielle et législatives, et alors que le pays doit déjà faire face à une grave crise sécuritaire et humanitaire.

Sophie Douce(Ouagadougou, correspondance)
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