L’actualité mondiale est dominée par le Covid-19 dont on parle au quotidien. Et tout est au ralenti pour ne pas dire à l’arrêt dans bien des domaines et le Burkina Faso n’est pas épargné. C’est dans cet environnement que nous avons approché le président de la NAFA, Mamoudou Hama Dicko, Professeur titulaire de biochimie/biotechnologie de classe exceptionnelle à l’Université Pr Joseph Ki-Zerbo. Avec lui, nous avons échangé sur le parti qu’il dirige et bien d’autres sujets de l’actualité politique et sur le coronavirus sur lequel il n’a pas hésité à donner son avis.
« Le Pays » : Comment se porte votre parti ?
Pr Mamoudou Hama Dicko : La NAFA se porte assez bien parce que c’est un parti qui est bien implanté au Burkina Faso. Mais, à l’image du pays, on peut dire qu’actuellement, il y a des soucis compte tenu du contexte sécuritaire, socioéconomique et de ce que nous vivons actuellement avec le Covid-19. D’une manière globale, la NAFA a cinq années d’expérience puisque créée en 2015 et lors des législatives à cette époque, le parti était représenté dans les quarante-cinq provinces, surtout pour un parti qui venait de naître. Nous avons obtenu deux députés et cela faisait de nous, la quatrième force politique avec 131 225 voix. En plus, le parti compte 454 conseillers municipaux dont cinq maires à savoir Pâ, Péni, Dassa, Kyon et Namissiguima ; 18 adjoints aux maires, 33 présidents de commissions et 13 conseillers régionaux. Présentement, le parti a mis en place pratiquement toutes les structures et il ne reste qu’à les réactiver dans la perspective de la campagne électorale.
Avez-vous des nouvelles du Général Djibrill Bassolé ?
Depuis son arrivée en France le 29 janvier dernier, nous avons quelques informations par le biais de son épouse. Il a pu avoir des soins et son état de santé évolue mieux qu’ici. La prise en charge de sa pathologie est meilleure en France où il est dans un environnement médical plus salutaire. Ici, au Burkina, il était à la MACA dans un environnement confiné et il n’y avait pas de spécialistes pour bien s’occuper de lui.
A quand son retour au Burkina Faso ?
Tout dépendra puisque c’est une suspension de peine qu’il a obtenue pour raison de santé. Donc, nous ne savons pas quand est-ce qu’il va revenir. Certainement que c’est d’un commun accord avec les autorités judiciaires, qu’il reviendra. Dans tous les cas, tant qu’il est condamné, il doit purger sa peine puisqu’il ne bénéficie pas d’une amnistie. Il a également fait un appel et nous attendons le jugement. Après celui-ci, sa condamnation sera infirmée ou confirmée, et même au-delà, il peut faire recours aux juridictions internationales (CEDEAO ou Union africaine). En attendant, il poursuit sa peine. Dès qu’il recouvrera la santé, il reviendra pour être aux mains de la Justice et même actuellement, il est sous contrôle judiciaire. Cela veut dire que s’il a des déplacements à faire, il lui faudra certainement une autorisation au niveau de la Justice. Que ce soit les autorités françaises ou burkinabè, elles savent où il habite et suivent ses mouvements.
Sitôt arrivé en France, Djibrill Bassolé avait accordé une interview. Une sortie que bien des Burkinabè n’avaient pas appréciée. Quel commentaire cela vous inspire-t-il ?
Nous avons vu l’interview comme tout le monde et j’avoue que je n’étais pas au courant. Et je le dis en toute honnêteté que le jour où il est arrivé en France, j’étais surpris de la vélocité avec laquelle l’interview a été accordée. Néanmoins, je peux aussi comprendre que c’est peut-être une interview qui avait été entamée depuis le Burkina Faso et certainement que le média voulait que cela passe le plus tôt possible. Les gens doivent comprendre surtout qu’en plus, il n’a pas dit quelque chose de mauvais. Le vin est tiré et il a été déjà bu. Donc, j’invite les uns et les autres à regarder le contenu et non l’opportunité ou la forme tout en leur demandant d’être tolérants et de comprendre. C’est comme s’il avait quelque chose sur le cœur, qu’il a vidé. Maintenant, s’il y a des Burkinabè qui ne sont pas contents du fait qu’il ait accordé aussi rapidement une interview, je leur présente mes excuses au nom de la NAFA. Il faut que les gens comprennent que ce n’est pas aussi facile d’être prisonnier, d’avoir perdu des libertés pendant au moins cinq ans et surtout lorsqu’on est victime de politique.
La NAFA compte-t-elle aligner un candidat à la présidentielle de 2020 ?
Pour le moment, nous sommes en débats sur ce sujet et aussi en contact avec d’autres partis politiques à l’intérieur tout comme à l’extérieur du chef de file de l’opposition politique dans la perspective des élections de 2020 et des municipales de 2021. Notre priorité actuellement à la NAFA, c’est la mise en place des structures, la consolidation du parti. L’important actuellement n’est pas d’avoir la Présidence mais il faut contrôler l’Assemblée nationale parce que nous sommes dans un régime semi-présidentiel. Dans ces conditions, c’est le parti majoritaire à l’Assemblée nationale qui désigne le Premier ministre. Contrairement à ce que les gens pensent, la conquête du pouvoir doit se faire au niveau législatif parce que, qui contrôle le Parlement, contrôle l’Exécutif et contrôle le budget national. La preuve en est que le Premier ministre est voté (à bulletin secret) par le Parlement conformément aux dispositions de l’article 46 de la Constitution et cela veut dire que les partis qui auront la majorité à l’Assemblée nationale, la contrôleront et il y a une possibilité d’avoir une cohabitation. Je pense que si les élections se tiennent à bonne date, il est fort possible qu’aucun parti, comme en 2015, ne puisse contrôler entièrement le Parlement et on va vivre une expérience nouvelle au Burkina Faso, qui sera intéressante en matière de débats démocratiques. C’est vrai que le Président est important pour le symbole parce qu’il est le garant de l’unité nationale mais, le combat à mener est d’avoir des représentants au Parlement. Pour l’instant, nous n’avons pas de candidat à l’élection présidentielle mais on n’exclut aucune hypothèse en politique.
Est-ce que la NAFA pourrait soutenir un autre candidat s’il n’en a pas pour la présidentielle ?
Dans la scène politique, il y a des partis avec lesquels nous avons des rapprochements idéologiques, notamment sur le plan de la social-démocratie et nous faisons également partie intégrante du CFOP. Au CFOP et sans tout déballer, nous avons mis en place un accord politique dont le contenu sera disponible dans les mois à venir. Le but global est que les partis puissent soutenir le candidat le mieux placé pour le second tour et nous osons croire qu’il y en aura. Ce sera bon pour la démocratie burkinabè tout en espérant avoir un débat ouvert à la Télévision nationale pour confronter les candidats par rapport à leur vision du développement, leurs connaissances du pays. Sur ce dernier point, il y a des dirigeants politiques qui ne maîtrisent pas bien le pays et qui cherchent à diriger pour les honneurs alors qu’ils ne sont pas capables de vous donner le prix du pain, du transport ou de la scolarité. On les voit beaucoup plus sur les plateaux de télévisions et dans les journaux. Ainsi, pour le second tour, les Burkinabè vont décider en leur âme et conscience pour élire le président qu’ ils veulent.
Avez-vous foi que les élections auront lieu à bonne date ?
La date des élections en novembre est constitutionnelle et on ne peut pas la reculer. La proroger serait un cas de force majeure et cela va nous conduire dans un régime d’exception. Nous ne souhaitons pas revivre cela au Burkina Faso parce que nous connaissons les conséquences d’un régime d’exception et de transition. Ce n’est pas pour rien que d’anciens dirigeants de la Transition sont hors du pays pendant que d’autres, vivant au pays, sont boudés. Bien que ce fut une Transition, nous avons vu les gaffes qu’ils ont commises en un an. Il faut aussi relever que nous ne sommes pas les premiers à vivre des problèmes d’insécurité et les zones où il y a une possibilité de voter, il faut le faire. Pour ce qui est de la présidentielle, le problème des déplacés ne se pose pas. C’est au niveau des législatives qu’on peut avoir des soucis mais la classe politique pourra s’entendre. Sinon, la date des élections est intouchable et surtout dans la situation actuelle. Les Burkinabè doivent confier leur sort aux personnes en qui ils ont confiance. Actuellement, il y a une remise en cause à la limite de l’intégrité du territoire. Si les gens décident de renouveler leur confiance aux mêmes dirigeants, cela les engage et s’ils pensent qu’il est temps de changer de fusil d’épaule pour confier nos destinées à une nouvelle classe politique qui aura un autre esprit de management de la Nation, c’est aussi un choix idéal. C’est important que les Burkinabè soient encore consultés pour préciser davantage leur position. Ils avaient voté le MPP parce qu’ils pensaient peut-être que les transfuges du CDP avaient une expérience mais on constate que cela n’a pas servi au management de la République puisque le Burkina Faso est pratiquement dans le chaos. On sent que la tête qui était là, avait une responsabilité par rapport à ses lieutenants. Ces derniers ont pris le bateau après en avoir chassé la tête mais, on se rend compte qu’il y a des soucis. Cela est la preuve que ce n’est pas souvent la tête qui est mauvaise dans une gouvernance.
Que devient votre prédécesseur Rasmané Ouédraogo ?
Le camarade Rasmané Ouédraogo a définitivement démissionné en septembre 2017 de la NAFA dont il fut le premier président et membre fondateur. Nous avons cheminé et actuellement, il s’intéresse beaucoup plus à ses affaires personnelles parce que c’est un consultant en économie. Je n’ai aucune nouvelle de lui sur le plan politique et je ne sais pas non plus s’il s’est engagé dans un autre parti. Nous restons amis et anciens collègues puisque nous avons siégé ensemble en tant que députés et nous avons de bons rapports sociaux que je souhaite garder.
Une certaine opinion préconise le dialogue avec les terroristes. Partagez-vous cet avis ?
Le problème du terrorisme est très complexe. Dialoguer ou pas, nous avons suivi le chef de l’Etat, Roch Marc Christian Kaboré, qui s’est contredit. En effet, il dit les avoir reçus à Kosyam et refusé d’accéder à une promesse parce qu’on avait fait une commande de véhicules et d’infrastructures pour eux. Que c’est une affaire avec son prédécesseur et que cela ne l’engageait pas. Ce qui signifie qu’il avait entamé une communication avec eux. A quel titre ? Tu peux recevoir ton ennemi chez toi et le laisser partir sauf si tu as des accointances avec lui ? En politique, tout est possible et aucune piste ne peut être exclue. Du temps de Blaise Compaoré, c’était sous l’égide de la CEDEAO voire de l’Union africaine, que le ministre des Affaires étrangères de l’époque, M. Djibrill Bassolé et autres Burkinabè, discutaient avec les groupes islamistes. On ne peut pas exclure totalement une communication, mais il faut savoir qui ils sont et je pense que ceux qui nous dirigent le savent, connaissent mieux leur adresse et savent qui est compétent pour échanger avec les djihadistes. Au Mali, les autorités ont décidé, à travers un Médiateur, de discuter avec Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa. Si cela peut amener la paix et l’unité nationale, tant mieux. Sinon, ceux qu’on appelle djihadistes, voire des terroristes, sont des Africains qui viennent tuer leurs propres frères.
Et comment ce dialogue peut-il s’opérationnaliser, selon vous ?
La responsabilité d’engager une communication avec ces groupes, engage ceux qui dirigent actuellement la vie de la Nation. Toute solution qui peut amener la paix dans notre pays, est à prendre puisque la paix n’a pas de prix. Conformément aux dispositions de l’article 36, le chef de l’Etat est le garant de l’unité nationale, de la paix, du respect des traités et accords internationaux que le Burkina Faso signe avec d’autres pays et entités. Tout ne peut pas être public également, puisqu’un Etat a des secrets et je suis pour les secrets d’Etat. Qu’est-ce qui prouve que les grandes nations comme les Etats-Unis, la France et autres ne communiquent pas avec certains groupes ou n’ont pas une autre intelligence pour les infiltrer. C’est pour cela que je ne suis pas d’accord avec le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré que je respecte beaucoup, parce que, personnellement, c’est un grand frère du quartier à Dapoya, lorsqu’il a dit avoir échangé avec ces gens-là. A la limite, il n’y a pas de secret d’Etat au Burkina Faso. De même qu’exposer toutes les armes lors des défilés du 11-décembre à la Place de Nation, sous la Transition, n’est pas non plus bien à mon avis.
Comment appréciez-vous la réponse au Covid-19 mise en place par le gouvernement au Burkina Faso ?
La maladie du Covid-19 est liée à un coronavirus ou SRAS-Cov-2 et est beta-coronavirus. Ce sont des virus qui étaient bien connus dans le monde vétérinaire et après, on a vu qu’il y avait une possibilité d’une transmission d’homme à homme. Leurs dégâts sont connus depuis 2002–2003, ensuite en 2012 en Arabie Saoudite et avec une létalité qui est assez importante. Il faut rappeler qu’en 1918–1919, le virus de la grippe qui est lié à un virus influenza, que l’humanité avait négligé, a fait plus de 50 millions de morts. Avec le Covid-19, le gouvernement du Burkina Faso n’a pas une bonne capacité d’anticipation. Dès lors qu’on avait commencé à parler du virus, le gouvernement devait prendre des précautions comme l’ont fait d’autres pays africains tel le Bénin qui avait aménagé un centre d’accueil, balisé le terrain et commencé à faire le contrôle. Au niveau de l’anticipation, les mesures qui sont prises, ne peuvent pas faire l’unanimité parce qu’il n’y a pas une bonne communication et je ne suis pas sûr qu’elles puissent marcher. Dans la prévention, il faut bien communiquer pour que les gens comprennent le sens des mesures. Ce n’est pas parce que les pays européens ont dit qu’il faut faire un confinement que nous pouvons le faire et que ça va marcher parce que nous n’avons pas les mêmes réalités. Ces pays n’ont pas de marchés ouverts comme les nôtres puisqu’ils ont des supermarchés et personne ne les a fermés. Les marchés ouverts sont spontanés et il n’y a pas assez de monde. Nous devons considérer que nos marchés sont nos supermarchés locaux puisque c’est là-bas que nous nous ravitaillons. Le secteur informel représente 80% de la population et si vous dites à ces gens de fermer les marchés, qu’est-ce qu’ils vont manger à la maison et quelles seront leurs occupations ? Il faut aussi relever que le confinement des villes n’est pas une solution parce qu’une personne peut bien travailler à Ziniaré et résider à Ouaga et vice-versa. Je suis pour qu’on limite les mobilités au niveau des cars de transport, ou qu’on adopte des mesures d’hygiène spéciales avant que les passagers n’y entrent. Vous pensez qu’une personne qui perd un membre très proche, ne va pas aller à ses obsèques ? Je crois qu’il faut trouver d’autres stratégies que celles qui sont prises car je suis convaincu qu’on ne pourra pas s’en sortir avec ces mesures. Je suis pour la sensibilisation, la distanciation (1 à 2 m), l’hygiène de vie, l’alimentation, une distribution massive de masques pour le corps médical qui, il faut le rappeler, a une durée de vie limitée. Je ne peux pas comprendre qu’on installe des systèmes de lavage des mains au niveau des grands marchés par les maires et après, nous apprenons que les marchés sont fermés. Je vais aussi revenir sur la réponse du gouvernement par rapport à la mise en place du Conseil scientifique. Ce n’est pas quand le feu va commencer à s’en prendre à une maison qu’il faut aller appeler les sapeurs-pompiers. Le Conseil scientifique a été créé par loi en 2013 lorsque je siégeais à l’Assemblée nationale et il a fallu le Covid-19 pour qu’on mette en place le Haut-conseil. Celui-ci avait pour but de conseiller le gouvernement par rapport à ces pandémies qui sont liées aux connaissances scientifiques et proposer des mesures pour y faire face et être en mesure d’anticiper sur ce qui va venir. De même, il y a une Académie des sciences, des Arts et des Lettres qui est créée et fonctionnelle. Je ne vois pas trop son implication dans la lutte contre le Covid-19 et sa synergie d’action avec le Haut conseil scientifique. Je reste optimiste par rapport au Covid-19 pour les pays tels que le Burkina Faso, le Mali, la Mauritanie, le Niger parce que tout simplement, nous avons l’avantage environnemental puisque nous sommes dans des pays chauds, secs et ensoleillés. Il faut exploiter ces avantages avant le 30 mai, à cause de la saison des pluies. Dans le cas contraire, je crains que la situation soit plus catastrophique. Au sujet de la fermeture des écoles et universités, il faut alternativement trouver des solutions, soit des cours à distance, c’est-à-dire dispatcher des supports de cours, et aussi commencer à les utiliser pour la sensibilisation. Il faut aussi saisir cette opportunité pour désinfecter les salles de classes, mettre en place des mesures d’hygiène. Je persiste en disant qu’aucun pays dans le monde ne peut résister au confinement ou à l’isolation.