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Mesures fiscales contre le coronavirus : « C`est un geste remarquable », Brahima Guiré, juriste-fiscaliste

Publié le mercredi 8 avril 2020  |  Sidwaya
Brahima
© Autre presse par DR
Brahima Guiré, juriste
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Dans cet entretien, le juriste fiscaliste expérimenté, Brahima Guiré, jette un regard critique sur les mesures fiscales prises par le président du Faso, Roch Marc Christian KABORE, dans la lutte contre le Covid-19.

Sidwaya (S.) : Quelle appréciation faites-vous de la quinzaine des mesures fiscales prises par le Président du Faso pour relancer une économie nationale presqu’à l’arrêt ?

Brahima Guiré (B.G.) : En réalité, les mesures fiscales contenues dans le discours du président du Faso sont au nombre de treize. L’annulation des pénalités de retard liées à l’exécution des marchés publics n’est pas une mesure de nature fiscale d’un point de vue technique. On peut repartir ces mesures en trois groupes. Un premier groupe de cinq mesures de portée générale destinées à l’ensemble des opérateurs économiques (remises d’impôts, abandon systématique de pénalités et amendes, suspension des contrôles sur place, délivrance sans condition des attestations de situation fiscale, report de la date d’échéance de la taxe sur les véhicules à moteur). Une seconde batterie de cinq mesures spécifiques orientées vers les micro-entreprises, ainsi que les secteurs du transport des personnes, de la culture, du tourisme, de l’hôtellerie et de la restauration (exonération de la contribution des micro-entreprises, suspension de la TPA, réduction de la TVA, suspension des opérations de recouvrement, suspension de la perception du minimum forfaitaire, suppression de taxes, réduction ou compensation de la patente). Une troisième catégorie de mesures spéciales à but sanitaire (exonération des droits et taxes de douanes, ainsi que de la TVA sur les produits entrant dans le cadre de la riposte contre le COVID-19). De notre point de vue, il ne s’agit pas, à proprement parler, de relancer l’économie mais bien plus d’aider les opérateurs économiques à faire face aux contre-coups de la crise. C’est une bonne chose que l’on ait entendu, depuis le sommet de l’État, les supplications du monde des affaires et surtout qu’on essaie d’y donner suite. On peut épiloguer sur l’impact réel ou supposé du volet fiscal de la réponse présidentielle, mais il faut saluer la volonté d’accompagnement. Le geste est d’autant remarquable qu’il intervient dans un contexte de rareté des ressources budgétaires. Il est bien entendu que la mise en œuvre de certaines des mesures pourrait nécessiter la prise de mesures législatives. Toutefois, au regard de l’urgence, nous plaidons pour une mise en œuvre immédiate et complète, en attendant la réunion du Parlement.

S. : Ces mesures fiscales suffiront-elles à apporter une réponse adéquate aux préoccupations du monde des affaires?

B.G : Globalement, les premiers retours qui nous parviennent du monde des affaires tendent à montrer que les mesures fiscales annoncées semblent en deçà des attentes des entrepreneurs du secteur formel, qui sont de loin les plus gros contributeurs au budget de l’État. Maintenant, que pense l’analyste que nous sommes ? On peut observer que certaines mesures générales pourraient avoir une portée limitée. Nous employons le conditionnel parce que ce n’est pas très clair. Les mesures d’abandon systématique de pénalités et de remises de droits sur demandes ayant été évoquées « Au titre des mesures fiscales et de l’accès au financement pour les mois d’avril à juin 2020 », doit-on comprendre qu’elles ne concernent que des pénalités et droits liés à la période d’avril à juin ? Si tel est le cas, ces mesures seraient certainement d’un intérêt limité. C’est pourquoi, nous militons pour une extension à des périodes écoulées pour faciliter le recouvrement des arriérés fiscaux. De même, une mesure, comme celle du report de la date limite de paiement de la taxe sur les véhicules à moteur, revêt un intérêt limité pour les entreprises. On peut aussi légitimement s’interroger sur l’utilité d’accorder une réduction de TVA et de patente pour des secteurs qui sont à l’arrêt. Pour les secteurs concernés, des aides d’État sous forme de subventions semblent mieux indiquées.

S. : Qu’aurait-il fallu faire pour mieux répondre aux attentes du monde des affaires ?

B.G. : Une réponse pertinente repose sur un diagnostic précis et approfondi des difficultés auxquelles les entreprises font face. Un tel exercice nécessite l’implication des concernés. En tout état de cause, il n’est un secret pour personne que depuis le déclenchement de la crise du COVID-19, la quasi-totalité des entreprises a connu une baisse sensible d’activités, et partant de revenus. De fait, elles ont de plus en plus du mal à supporter les charges de fonctionnement, notamment les charges sociales et locatives. Il faudrait mieux affiner le ciblage des secteurs à soutenir pour un meilleur impact des mesures sociales. Il faudrait également étudier la possibilité, d’accorder aux entreprises dans le besoin un allègement ou une exonération temporaire en matière d’impôts sur le bénéfice, de Taxe patronale et d’apprentissage, de droits d’enregistrement sur les renouvellements de baux professionnels. Il serait aussi indiqué de repousser les échéances pour la déclaration annuelle des résultats comme l’ont fait certains pays.

S. : Que doit-on entendre, par exemple, par les « remise automatique des pénalités et amendes exigible » ?

B.G. : Les pénalités sont des sommes mises à la charge des contribuables dont les déclarations ne sont pas exhaustives ou intervenues dans les délais ou qui ne respectent pas certaines prescriptions particulières (par exemple, l’obligation de payer par chèque au-delà de 100 000 FCFA). Elles sont exigibles lorsque l’Administration a le droit d’en réclamer le paiement. Dans notre système, cela intervient, sauf demande de sursis à paiement, dès l’émission d’une notification définitive, dans certains cas, ou d’un avis de recouvrement, dans d’autres cas. Normalement, les remises de pénalités et d’amendes se font dans le cadre de procédures particulières (recours gracieux et transaction), à la discrétion de l’autorité compétente et sous certaines conditions. Ce que l’on comprendre de l’annonce du Président du Faso c’est que les pénalités et amendes appliquées sont abandonnées de droit sans condition aucune. Maintenant, s’agit-il seulement des pénalités liées à la période d’avril à juin ou pourrait-on aller au-delà ? Les mesures complémentaires nous le diront.

S. : La suspension des opérations de contrôle sur place, à quelques exceptions près, annoncée par le chef de l’État ne risque-t-elle pas d’inciter à des pratiques frauduleuses ?

B.G : Il faut se rappeler que, pour freiner la propagation de la maladie, les autorités préconisent des mesures de distanciation sociale et de confinement. Conséquemment, les entreprises ont dû réaménager leur organisation ; certaines ont même basculé complètement en mode télétravail. Dans ces conditions, il paraît difficile et risqué, autant pour les contribuables que les vérificateurs, de mettre en œuvre des opérations de contrôles sur place. Certes, l’occasion fait souvent le larron, mais on peut se rendre bien compte que c’est une mesure nécessaire. Il ne faut pas aussi perdre de vue que le Président du Faso l’a assorti d’une limite importante. En effet, il demeure toujours possible d’effectuer un contrôle sur place dans les « cas avérés de fraudes ». De plus, les autres formes de contrôle, comme les contrôles sur pièces, restent possibles. Notre opinion est que la suspension devrait concerner aussi bien les vérifications qui n’avaient pas démarré à la date de la prise de la mesure, mais également celles qui étaient en cours et pour lesquelles le débat contradictoire n’était pas encore intervenu. Nous pensons aussi que la mesure de suspension ne devrait avoir aucun effet sur le cours de la prescription qui se poursuit normalement, sauf si les dispositions de livre des procédures sont modifiées à cet effet.

S. : Il est aussi question de l’exemption de la contribution des microentreprises du secteur informel. Comment se faisait cette contribution vue que le secteur informel est très peu organisé ?

B.G : Il paraît utile de rappeler que la contribution des micro-entreprises fait l’objet des articles 532 à 540 du code général des impôts. Il s’agit d’une contribution synthétique à la charge des entreprises dont le chiffre d’affaires annuel est inférieur à quinze millions de francs CFA. L’entreprise qui la paie est considérée s’être acquittée de l’impôt sur les bénéfices industriels, commerciaux et agricoles, de l’impôt sur les sociétés, du minimum forfaitaire de perception, de la taxe patronale et d’apprentissage et de la contribution des patentes. Les tarifs applicables sont forfaitairement déterminés par zone, par classe et par profession pour les activités exercées à demeure, et en fonction du moyen de déplacement pour celles exercées en ambulance. Pour assurer la sincérité des données des micro-entreprises, celles-ci doivent tenir une comptabilité selon le système minimal de trésorerie. La mesure présidentielle est à saluer, en ce qu’elle vise les plus petites entreprises qui sont durement touchées par la crise en raison des mesures de confinement et de quarantaine. Bien que l’annonce fasse état d’une exemption, il s’agit en réalité d’une exonération temporaire dans la mesure où le champ d’application de la CME ne devrait pas être modifié. Il est légitime de s’interroger quant à la durée de validité de l’exonération eu égard au fait que la CME est acquittée une fois l’an ou par quart au titre de chaque trimestre. Autrement dit, l’exonération veut-elle pour toute l’année 2020 ou seulement pour la portion d’impôt liée au trimestre allant d’avril à juin 2020 ? Il conviendrait que le Gouvernement clarifie ce point.

S. : Le chef de l’État a aussi fait cas de l’exonération de la TVA sur la vente des produits utilisés dans le cadre de la lutte conte le COVID-19. Comment cette exonération pourrait-elle impacter l’ordonnance du patient?

B.G. : Il faudrait parler plutôt de « la poche du consommateur » et pas seulement « l’ordonnance » du patient. En effet, l’exonération TVA couvre tous les « produits utilisés dans le cadre de la lutte contre le COVID-19 » et pas seulement les produits pharmaceutiques. Au demeurant, la plupart de ces produits font ordinairement objet d’une exonération de la TVA en vertu de l’article 308 du code général des impôts. De fait, la mesure présidentielle a un spectre large incluant tous les biens pour lesquels il est possible d’établir un lien avec la lutte contre le COVID-19. Pour les consommateurs finaux, l’exonération TVA aura pour effet de réduire le prix des produits de 18% ; cela paraît appréciable dans le contexte critique que nous connaissons. En pratique, pour les besoins de la mise en œuvre de la mesure, il paraît nécessaire qu’une liste des biens pouvant bénéficier de l’exonération soit établie et diffusée. Elle devrait nécessaire inclure des biens tels l’eau, le savon, le gel hydroalcoolique, les masques de protection, les instruments de prise de température, les dispositifs de lavage de main, etc. Il reste le cas des prestations de services y liés à ces produits. En vertu de la règle suivant laquelle il n’y a pas d’exonération sans texte et au-delà du texte, ces services devraient être traités comme imposables à la TVA. Ce qui constitue, à n’en point douter, une limite importante de la mesure présidentielle.

S. : Quel est le poids de la taxe patronale d’apprentissage dans les ressources fiscales et quel peut être l’impact de sa suspension sur certains secteurs de l’économie nationale ?

B.G : La taxe patronale et d’apprentissage (TPA) est l’impôt sur salaires à la charge de l’employeur. Elle est régie par les articles 227 et suivants du code général des impôts. Les recettes y afférentes s’élevaient à 13 202 021 617 FCFA pour l’année 2019, soit environ 2% des recettes fiscales totales de l’exercice 2019. La suspension de la TPA va entrainer une réduction systématique des dépenses de personnel des entreprises des secteurs concernés. La mesure consistant en une suspension et non une exonération temporaire, elle n’opère qu’un simple report d’échéance ; les entreprises bénéficiaires devraient s’en acquitter après la crise. Cela pourrait se révéler compliqué dans la pratique. Pour plus d’impact, il aurait peut-être fallu accorder une atténuation partielle ou totale temporaire.

S. : Le chef de l’Etat a également promis des remises d’impôts directs dans le cadre d’un examen individualisé des demandes, pour les cas extrêmes. En termes simples qu’est-ce que cela veut dire ?

B.G : Cela voudrait dire que l’Administration aura le pouvoir, sur demandes motivées, de décharger certains contribuables en difficultés du paiement d’impôts directs (impôt sur les bénéfices industriels et commerciaux, impôt sur les bénéfices non commerciaux, impôt sur les sociétés, taxe patronale et d’apprentissage, impôt sur les revenus fonciers, impôt sur les propriétés bâties et non bâties, taxe foncière, etc.). Toute la difficulté réside dans les critères permettant d’identifier “les cas extrêmes”. Le citoyen lambda pourrait légitimement s’inquiéter de ce que cette mesure permette à des entreprises d’échapper indument à leurs obligations fiscales. Aussi, s’avère-t-il nécessaire que la loi de finances rectificative ou qu’une circulaire ministérielle donne les orientations utiles à la mise en œuvre de la mesure présidentielle. Sous cette réserve, la mesure paraît parfaitement justifiée compte tenu du contexte de crise qui impose des mesures exceptionnelles. Ne dit-on pas que nécessité fait loi ?

S. : Quels peuvent être les critères de l’examen individualisé dont il est question dans cette remise d’impôts directs?

B.G : Tout ce que l’on sait à l’heure actuelle c’est que l’annonce du Président du Faso vise « les cas extrêmes ». Fait-il référence à l’indigence ou à la gêne visée par l’article 636 du code général des impôts ? La situation commande, de notre point de vue, d’aller au-delà, car il s’agit aussi de faciliter la mobilisation des recettes fiscales pour faire face au coût de la riposte. Une chose est sûre, si l’on tient compte du contexte, nous comprenons par-là qu’y seront au moins éligibles les entreprises qui éprouvent de réelles difficultés financières du fait de la crise du COVID-19. Il n’est pas exclu que d’autres critères puissent être arrêtés par l’Administration, notamment l’impact négatif que pourrait avoir la dette fiscale considérée sur la continuité de l’exploitation du demandeur.

S. : Pensez-vous que le Burkina Faso est en mesure de trouver les 394 milliards de F CFA pour faire face au COVID-19 ?

B.G : C’est bien difficile, car la marge de manœuvre est vraiment faible. Les ressources budgétaires proviennent principalement des recettes fiscales ; or celles-ci sont compromises par la situation de crise. Le Président du Faso l’a dit clairement, le Burkina Faso perdra jusqu’à 4 points de croissance. C’est énorme. Déjà, les unités de recouvrement éprouvaient des difficultés certaines à atteindre les objectifs de recouvrement. Avec cette situation, l’écart entre prévisions et réalisations de recettes budgétaires ne peut que se consolider. C’est du reste l’une des raisons, pour lesquelles une loi de finances rectificative s’avère nécessaire pour tenir compte de la réalité du moment. Pour le dire simplement, l’État a besoin de fonds pour soutenir l’économie à un moment où il n’est pas en mesure de mobiliser des ressources fiscales conséquentes. Cela s’annonce une tâche ardue mais pas impossible dans l’absolu.

S. : Que doit faire le gouvernement pour y arriver sans trop de difficultés?

B.G : Nous pensons très sincèrement que le Burkina Faso ne pourrait passer au travers de cette dure épreuve qu’en faisant appel au génie créateur de l’ensemble de ses fils. Il faudrait élargir le cercle de réflexion, en y intégrant les acteurs de premier plan du monde des affaires, pour rechercher des solutions à même d’endiguer la crise. Tous les analystes sont d’accord sur le fait que cette crise incite à un changement d’approche. En matière de politique et d’administration fiscale, comme dans les autres domaines tels l’organisation du travail ou l’enseignement, il nous faudrait changer de paradigme. Notre conception de la politique fiscale, on aura de cesse de le dire, est fortement été marquée par une approche répressive. Le niveau des sanctions et le penchant pour un système de contrôle a posteriori sont des éléments révélateurs d’une telle approche.

Nous pensons qu’il est temps d’expérimenter une approche coopérative basée sur l’établissement d’une relation de confiance avec les contribuables. Dans cette perspective, les contribuables seraient de réels partenaires ; nous pesons bien les mots. Pour revenir à la crise actuelle, le gouvernement devrait faire appel à la responsabilité citoyenne et sociale des entreprises à même de soutenir ses efforts.

Honoré KIRAKOYA
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