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Burkina Faso : Une communication maladive du pouvoir sur le Covid 19

Publié le lundi 6 avril 2020  |  Netafrique.net
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© Présidence
Le Conseil des Ministres réuni en visioconférence, sous la présidence du Chef de l`Etat Roch Marc Christian Kaboré.
Le Conseil s’est penché principalement sur l’épidémie du Covid-19, pour envisager les mesures complémentaires à prendre. Entre autres, il est institué une mise en quarantaine des villes où des cas sont notifiés, à partir de ce vendredi 27 mars 2020.
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Parmi les victimes du COVID 19 au Burkina, il en est une qui a besoin de soins intensifs, c’est la communication des pouvoirs publics, dont le pronostic vital est engagé, à force de maladresses etd’approximations. Cela ne serait pas bien grave si nous étions dans une situation sanitaire normale, sans épidémie, et qu’on pouvait mettre ce constat sur le compte d’erreurs de communication, comme il en existe dans les pays réputés démocratiques et bénéficiant d’une administration présumée efficace.

Ce qui est grave dans notre pays et presque tragique, c’est que cette communication déficiente est le symptôme d’une gouvernance maladive. C’est connu, le COVID 19 fragilise davantage les sujets qui souffrent déjà de pathologies chroniques antérieures. Il en est de même pour la gouvernance du pays. Elle était déjà notoirement mauvaise avant cette épidémie.

La survenance de l’épidémie ne fait qu’accentuer cette mauvaise gestion, en mettant au grand jour l’incapacité des gouvernants à faire preuve d’un minimum d’intelligence, de clairvoyance et d’esprit de décision, pour prendre avec diligence les mesures qui s’imposent. Pour communiquer à bon escient, il faut avoir quelque chose de sérieux et de crédible à dire. En règle générale, ce régime communique à mauvais escient parce que sa gestion de la crise laisse à désirer et que ses sorties publiques désordonnées, plutôt que de rassurer la population, ne font qu’aggraver le doute, l’inquiétude et la défiance en son sein. Prenons quelques exemples :

A tout seigneur, tout (dés)honneur, commençons par le Président du Faso. Cette crise aurait dû être pour lui une occasion d’affirmer son leadership, en montrant qu’il tient fermement la barre du navire Burkina et qu’il sait rassembler autour de lui toutes les forces du pays pour affronter l’adversité dans un élan de solidarité nationale. Au lieu de manifester cette présence rassurante, il a souvent brillé par son absence, se murant dans un silence incompréhensible, alors que ses homologues de la sous-région prenaient la parole devant leurs concitoyens pour annoncer des efforts croissants dans la lutte contre la maladie et dans le soutien aux populations.

C’est au point où la rumeur a souvent couru qu’il était, soit absent du pays, soit atteint lui-même par la maladie et dans l’incapacité d’assumer ses fonctions. Dans la même période, on ne s’est pas posé de question sur la présence à leur poste de Macky Sall, d’Alassane Ouattara, ou de Mahamadou Issoufou, parce qu’on les voyait agir, au-devant de la lutte contre la propagation de pandémie. En fait, il n’y a qu’au Burkina que l’on s’est interrogé sur l’impression de vacance du pouvoir que donnait le mutisme des principales autorités de l’Etat. La rumeur a même couru d’une évacuation discrète du Chef de l’Etat et d’autres dignitaires vers des centres hospitaliers du Maroc, à la faveur d’un couvre-feu qui écartait les regards indiscrets.

Vous me direz : qu’aurait-il pu ou dû faire ? Peut-être s’exprimer plus souvent, rendre visite au personnel soignant dans les centres qui s’occupent du COVID 19, avoir des consultations avec la classe politique, les personnalités du monde de la médecine et de la recherche, celles du milieu des affaires et de la banque, les représentants du secteur informel frappés par la fermeture des marchés … en somme, montrer qu’il travaille sur cette crise, en dehors des conseils de ministres en visio-conférence, où il est étrangement affublé d’un masque devant son ordinateur, comme si le virus se transmettait par internet.

En plus, les rares fois où il s’est exprimé au travers de déclarations solennelles, son attitude était compassée et son ton, comme le contenu de ses propos, ressemblaient au discours insipide d’un bureaucrate qui récite un texte écrit par des collaborateurs en mal d’inspiration. Utiliser un prompteur est une bonne chose, mais il faut savoir le faire en insufflant au discours une dose de naturel, de sincérité, de conviction personnelle. En bref ce n’était pas le discours d’un Chef d’Etat qui rassure, indique une stratégie, annonce de grandes mesures.

Sa dernière allocution en particulier, dans sa partie sur les mesures fiscales, était celle d’un inspecteur des impôts besogneux, qui cherche à embrouiller les gens sur des dégrèvements soumis à une multitude de conditions restrictives. Je suis sûr que deux jours après ce discours, les commerçants du marché doivent être encore en train de se demander en quoi consistent exactement les mesures fiscales annoncées en leur faveur. L’opinion attendait des mesures fortes et simples, sans doute coûteuses, mais d’une grande portée symbolique : abandon, ou suspension de la mise en œuvre de la réforme de l’IUTS, suspension totale ou partielle du paiement des factures d’électricité et d’eau des ménages à une large échelle, aide significative aux commerçants des marchés-yaars et aux tenanciers de maquis, pour compenser la perte de leurs revenus de subsistance, etc…

Je suppose que le Gouvernement a fait ce qu’il pouvait dans les circonstances présentes, compte tenu des moyens de l’Etat. Mais alors, pourquoi ne pas montrer davantage de compassion à l’égard des populations les plus touchées par les conséquences de la lutte contre la pandémie ? Pourquoi les membres du Gouvernement, les présidents d’institution, les parlementaires et les dignitaires du régime ne manifestent-ils pas leur solidarité financière dans cette lutte, alors que quelques semaines auparavant ils étaient engagés dans une surenchère de dons pour acheter les voix des électeurs en leur offrant des CNIB ?

Avant d’arriver au pouvoir, Roch Kaboré avait la réputation, non usurpée, d’être un homme affable, jovial, d’esprit conciliant. Le pouvoir l’a mué en personnage fermé, buté, sans affect, apparemment habité par des haines et des rancœurs inexpiables. Sinon, comment expliquer que ce drame du COVID 19, qui ajoute au traumatisme du terrorisme, ne lui ait pas ouvert les yeux sur l’urgence d’une réconciliation des burkinabè pour affronter dans l’unité ces défis incommensurables.

A défaut d’accélérer le processus de réconciliation, pourquoi tarde-t-il à ouvrir des consultations avec la classe politique sur la gestion de la lutte contre la pandémie ? En refusant ce dialogue minimal et indispensable, son régime donne l’impression d’être sur la défensive et de se retrancher derrière des barrières illusoires, comme s’il craignait d’être submergé par l’adversaire au moindre signe d’ouverture. Voilà le sentiment d’enfermement que crée une communication unilatérale, basée sur l’opacité, l’ostracisme et la méfiance maladive.

Si la parole présidentielle est rare et inaudible, est-elle au moins compensée par celle du Premier Ministre ? Nullement : le Premier Ministre est encore plus silencieux que le Chef de l’Etat, comme si la gestion de cette crise ne relevait pas de ses attributions.

Il reste les ministres, qui ont rivalisé de bêtise par leurs déclarations incongrues. L’un s’est fendu d’un communiqué hautain pour démentir une rumeur qui laissait entendre qu’il serait atteint du COVID 19, avant de démentir son propre démenti. A présent guéri, il publie des complaisamment des photos de lui-même en train de faire du sport, comme si la population burkinabè, traumatisée par l’épidémie, avait besoin d’être rassurée sur la forme olympique de ce ministre. L’excès de narcissisme conduit souvent à ce genre de comportements triviaux et indécents.

Une autre nous a fait vivre un épisode tragi-comique, en tenant le pays en haleine avec l’histoire abracadabrantesque d’un ressortissant chinois qui, se sachant atteint du COVID 19, aurait choisi de venir jusqu’au Burkina Faso pour y recevoir des soins car, comme cela est de notoriété universelle, notre beau pays est mieux outillé que la Chine pour vaincrecette terrible épidémie ! Ensuite la farce s’est achevée avec un démenti cinglant de l’Ambassade de Chine, qui n’a donné lieu à aucun commentaire du gouvernement. Quelques fois, lorsqu’on a dit une bêtise, il vaut mieux en effet se taire et laisser l’oubli faire son œuvre.

Un autre encore, communicant patenté du gouvernement, a trouvé judicieux d’approuver les violences et tortures infligées par des agents des forces de l’ordre à certaines personnes, au motif qu’elles auraient enfreint les règles du couvre-feu. Le geste de braver un couvre-feu, surtout lorsqu’il est imposé pour des raisons de sécurité sanitaire, est absolument condamnable. Comme l’est pour les forces de l’ordre celui de fouetter des citoyens. Comme l’est aussi le fait, pour un ministre de la République, d’approuver des actes de violence et de torture commis par des agents de la force publique.

Circonstance aggravante : ledit ministre s’est autorisé à critiquer le rappel à l’ordre qui a été adressé aux agents de l’ordre fautifs, à bon droit, par le Procureur du Faso. Cela qui a valu au ministre, adepte des coups de fouet, d’être recadré vertement par le Conseil Supérieur de la Magistrature, qui lui rappelé les règles élémentaires de la séparation des pouvoirs. La bonne nouvelle dans cette histoire, c’est que dans la pétaudière qu’est devenu le Burkina Faso, certaines institutions s’efforcent de faire respecter le principe de la primauté du droit et l’état de droit, tout simplement.

Mais l’exécutif n’est pas seul en cause dans les déboires de la communication face au COVID 19. C’est le pouvoir MPP et consorts dans son ensemble qui est concerné, incluant le Président de l’Assemblée Nationale. Tout le monde l’a constaté, le Président de l’Assemblée Nationale est un homme attentif à sa propre image, qu’il soigne avec une indéniable assiduité. Comme il l’a fait en d’autres circonstances, l’apparition du COVID 19 est pour lui l’occasion de faire des sorties médiatiques calculées, au cours desquelles il multiplie les recommandations sur les gestes barrières, accompagnées de dons divers d’argent, ou de de matériel de prévention et de protection.

Selon toute vraisemblance, les dons qu’il prodigue si généreusement sous l’œil des médias, sont faits sur les fonds spéciaux qui sont mis à sa disposition et dont il peut décider de l’usage sans avoir à en rendre compte. Mais il s’agit bien de deniers publics, constitués à partir des impôts des citoyens. Il n’est donc pas normal qu’il en use comme s’il s’agissait de ses revenus propres, de son salaire par exemple, ou d’une fortune qu’il aurait acquise en dehors de sa fonction de Président de l’Assemblée Nationale. Il n’est pas normal de laisser dire que le Président de l’Assemblée Nationale, dans sa grande générosité, a fait don de telle somme à des citoyens, dès lors que ces soi-disant dons sont financés par des deniers publics, c’est-à-dire par les citoyens eux-mêmes.

Je sais que le fait qu’il utilise ces fonds pour aider à la prise en charge du COVID 19 peut susciter de l’indulgence et même de la sympathie. Rappelons-nous qu’il y a à peine deux mois, c’est avec le même procédé qu’il faisait des tournées de propagande dans le pays, distribuant des subsides aux militants et sympathisants du MPP, pour les aider à acquérir des CNIB au profit des électeurs jugés favorables à la ligne de leur parti. Cela montre bien le dévoiement auquel peut conduire l’utilisation abusive des fonds spéciaux, même si elle est couverte actuellement par la loi : dévoiement de la démocratie, dévoiement de l’utilisation vertueuse de l’argent public.

Regardons un peu ce qui se passe dans les grandes démocraties qui nous servent habituellement de référence, pour le meilleur et pour le pire. Est-il concevable de voir le Président du Parlement en France, en Grande Bretagne, en Allemagne, aux Etats-Unis, ou même en Afrique du Sud, utiliser des fonds publics pour financer à sa discrétion des actions qu’il présente comme relevant de sa générosité personnelle ? En 2019, en France, un ancien Président de l’Assemblée Nationale, devenu ministre, s’est vu contraint de démissionner du gouvernement parce qu’il lui était reproché d’avoir organisé, lorsqu’il était à la tête du Parlement, un dîner coûteux qui n’avait pas de lien évident avec ses fonctions. Il lui a été enjoint de rembourser ces dépenses.

Que dire alors du Président de l’Assemblée Nationale du Burkina Faso qui puise impunément dans les caisses que l’Etat lui a confiées, pour faire des dons personnels tous azimuts. C’est en cela aussi que consiste la mal gouvernance. C’est cela aussi l’un des enjeux de la réduction du train de vie de l’Etat et de la bonne gestion des deniers publics. Si nos lois permettent ces abus, elles doivent être changées. En tout état de cause, le COVID 19 ne doit pas devenir un instrument de propagande politique personnelle. Lorsqu’il le devient, nous ne devons pas être dupes et applaudir à ce qui n’est ni plus, ni moins qu’une malversation ou, si l’on veut être indulgent, une tromperie.

Le plus choquant dans tout cela, c’est que face à une crise sanitaire de cette ampleur, on n’a pas vu l’Assemblée Nationale se réunir (même en trouvant des formes d’organisation de ses sessions compatibles avec les mesures de distanciation sociale) pour contrôler l’action du Gouvernement, appeler son attention sur les attentes et les besoins de la population. C’est grisant de faire étalage d’une fausse générosité en puisant dans les poches des citoyens, mais encore faut-il les représenter dignement et efficacement. Le principal sujet de la communication de l’Assemblée Nationale devrait porter sur ce qu’elle fait pour exercer sa mission de contrôle dans la gestion du COVID 19, en montrant l’exemple de la probité, de la rigueur, de l’humilité et d’une solidarité de bon aloi.
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