Dans une interview accordée à votre portail abidjan.net ce samedi 07 mars 2020, le Directeur Général de African Guarantee Fund (AGF), Félix Bikpo s'est prononcé de façon générale sur la journée internationale de la femme et plus spécifiquement sur les problèmes liés au financement des entreprises dirigées par les femmes ainsi que les solutions proposées par African Guarantee Fund.
Monsieur le Directeur Général, pouvez-vous nous situer sur la mission de votre institution ? Et dites-nous ses grands axes d’intervention ?
La mission au sens large de AGF est de contribuer à la réduction de la pauvreté en Afrique en accélérant le levier moteur qu’est le développement économique. L’African Guarantee Fund fait le pari de faciliter le volume et la qualité des financements octroyés aux PME pour stimuler le développement économique de notre continent. Les grands axes d’intervention sont de deux ordres :
Il s’agit d’abord de l’octroi de garanties financières aux banques et institutions financières afin de couvrir 50 du risque qu’elles prennent en finançant les PME à tous les stades de la vie de celles-ci (y compris les start-up), en privilégiant tous les secteurs et principalement l’agro-industrie, les énergies, les infrastructures étant donne leur rôle multiplicateur et catalyste pour l’économie. Il s’agit également d’une offre de renforcement des capacités qui vise d’une part à atténuer les risques liés à l’octroi des crédits aux PME par les Institutions Financières Partenaires d’AGF et de les aider à accroître leurs activités en faveur des PME d’autre part. Cette assistance technique, taillée sur mesure, offre aux institutions financières partenaires dans l’optique d’accentuer leur courbe d'apprentissage et rendre leur prise de risque moins réticente face à une catégorie de la clientèle qui ne bénéficie pas encore de leur attention. En sus, l’amélioration des compétences managériales des PME est un enjeu non négligeable est indispensable au succès du système de garantie. A cet égard, AGF contribue également au renforcement des capacités des PME afin de leur faciliter l’accès au financement (il leur faut véritablement comprendre toute la boucle des services financiers – de l’obtention du prêt à son remboursement intégral - pour prétendre accéder à ces derniers selon les besoin de leur organisation). Le soutien aux PME est assuré par les institutions financières partenaires et les prestataires de services
Expliquez-nous alors les difficultés auxquelles les entreprises sont confrontées de façon générale qui ont conduit à la mise en place de ce fonds de garantie ?
Nos PME sont encore confrontées à un ensemble de contraintes qui retardent, voire empêchent leur émergence. Ces contraintes peuvent être classées en trois grandes catégories : Le niveau et la qualité de nos infrastructures ; L’accès au marché ; La difficulté d’accès au financement. ce dernier point fait l'objet de toute notre attention. En effet, l’un des principaux freins à l'essor des PME est la difficulté d'accès au financement. Sachant que le financement du secteur privé est en majorité dominé par les Banques, l’African Guarantee Fund s’est fixé pour objectif de vaincre la réticence du secteur bancaire à orienter les ressources collectées au financement des PME.
L’apport EN TANT QUE Fonds de garantie est de soutenir le secteur bancaire en réduisant les risques de défaillance qui pourraient résulter de leurs actions. Notre apport est également de contribuer à améliorer l’offre de financement afin de l’adapter aux besoins des PME. Notre rôle est enfin d’assister le secteur financier dans ses efforts de maîtrise du risque PME et d’aider les PME elles-mêmes à améliorer la qualité de leur management.
Il est important de savoir que les besoins du continent en matière de garantie de prêts se monte à plus de 200 milliards de dollars américains. Tel est le défi qui permettra au continent africain de libérer le potentiel de ses entreprises avec en perspectives les millions de créations d’emplois que réclame son économie et sa vibrante démographie.
Quels sont les problèmes spécifiques liés au financement des entreprises dirigées par des femmes en Afrique ?
Un premier constat ne peut-être éludé : Les femmes entrepreneures ont historiquement un accès limité aux financements bancaires par rapport à leurs homologues masculins.
Par ailleurs, selon une étude de la Banque Mondiale, sur 5.169 entreprises étudiées, seules 13% seulement sont majoritairement détenues par des femmes.
Les problèmes spécifiques liés aux financements des femmes en Afrique sont de quatre ordres. Il s’agit de :
-La perception du risque liée aux prêts aux femmes est artificiellement plus élevée, des taux d’intérêts prohibitifs leurs sont appliqués et un manque de garanties bancaires et réelles
-Le manque de capacité des banques à comprendre les femmes entrepreneures et de répondre à leurs besoins de manière spécifique de façon adéquate
-Un manque de compétence et capacité en gestion de ces femmes pour répondre aux exigences des banques et autres institutions financières
-Un cadre légal et un environnement des affaires actuelles qui sont actuellement un frein à la pleine participation des femmes dans des rôles et des secteurs souvent considérés comme éminemment masculins.
-Des pesanteurs culturelles propres à nos environnements
Il est à noter que la faiblesse des compétences chez les femmes a un ancrage historique et culturel dans beaucoup de pays africains comme cela a longtemps été le cas en Inde ou cet écueil n’a pas complètement disparu. En effet, les familles pauvres ont tendance à privilégier la scolarité des garçons à celle des petites filles, ce qui n’est naturellement pas sans conséquences directes quant à leur capacité à gérer efficacement leurs PMEs.
Selon vous, pourquoi ces femmes sont-elles si discriminées en matière de financement entrepreneurial ?
Plusieurs écueils concourent à cet état de faits. Notre premier constat est la perception que les femmes ne sont que des acteurs de l’économie sans réel potentiel et, qui plus est, des entrepreneures fragiles. Notre deuxième constat est celui lié à la culture, la perception que la société, les financeurs et les femmes ont de leur propre genre et qui fait qu’elles sont un ensemble minoritaire en tant que bénéficiaire de financement. Notre troisième constat est lié aux implications des deux précédents sur le plan patrimonial. En effet, ne disposant souvent pas de patrimoine ou d’héritage comme leurs homologues masculins, elles ont du mal à répondre aux critères de sélection des banques et à apporter les sûretés exigées par celles-ci.
Quelles sont alors les solutions qu’AGF propose pour permettre aux femmes dirigeantes d’entreprises d’accéder plus facilement aux financements des banques et/ou institutions financières ?
AGF incite les banques et institutions financières au travers
De ses axes stratégiques – le suivi des entreprises dirigées totalement ou partiellement par les femmes
Du programme AFAWA
Mais, dites-nous les raisons pour lesquelles est-il si nécessaire de soutenir les entreprises dirigées par des femmes en Afrique ? Quel est ou quel pourrait être l’impact réel de ce soutien ?
Le service et le soutien aux entreprises gérées par les femmes dont remarquables à plus d'un égard. Premièrement, les chiffres le démontrent sans ambages : les entreprises majoritairement détenues ou dirigées par des femmes se démarquent par leur performance financière. Un rapport de Catalyst, publié en 2007, confirme cet état de fait et révèle que des entreprises génèrent une performance supérieure respectivement de 42%,53% et 66% en ce qui concerne les bénéfices sur les ventes, le rendement des capitaux propres et celui des capitaux investis.
Deuxièmement, les femmes sont un réel pilier des économies africaines et y occupent une place encore peu comprise par les acteurs clés de la sphère financière. Peu sont conscients que le continent affiche le pourcentage le plus élevé de femmes entrepreneures au monde. Cette forte présence et cette segmentation devraient se refléter dans la nature de la clientèle des institutions financières, ce qui est loin d’être une réalité. Troisièmement, les femmes sont véritablement porteuses d’impact social. En effet, elles réinvestissent jusqu'à 90 % de leurs revenus dans l'éducation, la santé et l’alimentation de leur famille et de leur communauté, contre 40 % au maximum pour les hommes. Autrement dit, investir dans les entreprises détenues ou gérées par des femmes peut transformer fondamentalement les sociétés africaines.
Pour finir, en ce jour de célébration de la femme, quel est votre message à l’endroit des banques et institutions financières concernant le financement des entreprises dirigées par des femmes ?
Les entreprises détenues ou codétenues par les femmes sont plus rentables. Pourquoi en avez-vous si peu dans votre portefeuille ? Aux banques et institutions financières nous disons – Soyez vecteurs d’équité et mettez-vous réellement à la recherche de nouvelles opportunité en ouvrant réellement vos produits aux femmes, élevez leurs ambitions au niveau de celles des hommes en les décomplexant. Dans vos services, créez des moyens d’accès au crédit, favorisez l’audace, incitez à hisser les ambitions de l’entreprenariat féminin. Actionnez ces leviers pour accélérer le mouvement – créez vos futures clientes championnes !