Les vacances sont, par excellence, le moment pour les élèves de se recréer afin d’aborder l’année scolaire avec du tonus. Si pour certains, c’est une aubaine pour se consacrer aux voyages et autres activités ludiques, pour d’autres, par contre, ce temps de repos n’en est pas un. Aux abords des voies, des marchés, dans les lieux publics, ces vacanciers s’investissent dans le petit commerce. Parfois au risque de leur vie, ils sillonnent artères, coins et recoins de Ouagadougou, la capitale burkinabè, à la recherche de sous.
En ce début d’après-midi du dimanche 11 août 2013, il est 13 heures sur le boulevard Charles-de-Gaulle quand le feu tricolore situé à proximité de la Radio nationale passe au rouge. Entre les automobilistes et les engins à deux roues qui marquent un arrêt, un jeune homme, la quinzaine d’années, coiffée d’une casquette bien dressée contre le soleil, des sachets de citrons en main, se faufile entre les engins et voitures à la recherche d’un éventuel client. « Monsieur, madame, il y a des citrons », lance-t-il sans cesse. L’élève, devenu commerçant en ces vacances scolaires, a plus d’un argument pour inciter à l’achat : « Ça coûte 500 F CFA. Vous voulez pour combien ? Vous prenez la monnaie ? » Interrogé sur les raisons qui l’ont conduit à abandonner tout projet de voyage, activités ludiques …, pendant ces vacances pour commercer aux abords de la voie, cet élève de la classe de 3e dans un lycée de la capitale, confie sous anonymat : « Pendant les vacances, je ne fais rien. Et sur les conseils de mes parents, j’ai opté pour la vente des citrons. Les bénéfices que j’obtiens serviront à l’achat de mes fournitures et de ma tenue scolaire ».
Comme lui, nombreux sont les élèves qui parcourent les rues de Ouagadougou avec des articles divers, qu’ils vendent afin de faire face à leurs frais de scolarité à la reprise des cours. Elève en classe de 5e, Abdoul Rahim Kaboré a 15 ans. Tous les soirs, à partir de 14 heures, il se rend au marché de Boinsyaaré, situé côté Nord-Ouest de l’aéroport international de Ouagadougou, pour proposer des sachets plastiques et des dattes aux ménagères. « Je vends des sachets de 100, 50, 75 FCFA. Pour les dattes, je les vends à 25 ou 50 FCFA ». Ce commerce, précise-t-il, lui rapporte entre 1000 et 1250 F CFA par jour. « J’ai pris la décision de venir vendre des sachets et des dattes de mon propre gré. Mes parents ne m’ont pas obligé à le faire. Ce que je gagne par jour me permettra d’avoir un peu d’argent de poche à la rentrée scolaire », déclare-t-il, en compagnie d’autres camarades.Forte d’une dizaine de gamins, la bande à Rahim Kaboré se bouscule à l’arrivée des clients pour leur proposer leurs produits ou encore tenir leurs sacs pendant les achats, en échange de quelques pièces de monnaie. « Nous nous proposons de tenir les sachets des clientes durant tout le temps que prendra leur course, en échange de quelques pièces de monnaie. Cela nous permet d’augmenter nos bénéfices », souligne Issa Bouda, admis en classe de CM2 à l’école primaire Tang-Zugu, sise au quartier Koulouba. Ainsi, ces élèves entendent soutenir leurs parents, en menant ces petites activités lucratives.
Une autre école de la vie
Mme Ludovique Compaoré, institutrice dans une école de Ouagadougou, a l’habitude de faire ses achats à Boinsyaaré. Pour elle, ces élèves s’exposent à de nombreux risques en bravant les voitures et autres engins à deux roues pour écouler leurs marchandises. « Ces élèves, en flânant à longueur de journée sur la route, mettent leur vie en danger. L’année dernière, j’ai perdu un de mes élèves qui a été mortellement fauché par un véhicule alors qu’il vendait sur la voie », regrette-t-elle.
En dépit des risques, ces élèves, pour la plupart, tiennent, contre vents et marées, à garantir leur scolarité. « Nous savons que vendre aux abords des voies comporte d’énormes dangers. A l’appel d’un client, nous traversons la route sans nous soucier de ce qui peut nous arriver ou du danger que nous courons », reconnaît Wilfried Ouédraogo, qui a choisi la vente des parapluies sur le boulevard Charles-de- Gaulle, en cette période de pluies. Il poursuit en disant que c’est à cause de tous ces risques d’accidents que les forces de l’ordre viennent parfois les chasser ou les tenir à une distance « réglementaire ». Mais les élèves commerçants soutiennent que, contrairement aux marchés, les chaussées, les boulevards et les avenues sont des espaces pour faire de bonnes affaires. « C’est une autre école de la vie. Il faut être fort, dynamique et courageux, sinon, tu n’auras rien », lance Martin Ouédraogo, élève en classe de 3e au lycée municipal Rimvougré au quartier Yamtenga (ex-secteur n°30). Outre les grands axes routiers, les feux tricolores, la présence de ces élèves-commerçants est aussi remarquable dans les maquis, les bars-dancing et autres lieux publics.
La particularité, c’est que ces activités de vacances ne sont pas exclusivement exercées par les garçons. De nombreuses filles mènent de petits commerces afin d’appuyer leurs parents dans la prise en charge de leur scolarité. C’est le cas de Odette Ouédraogo. Au-delà de la vente des condiments, elle excelle aussi dans la coiffure et la décoration de chaussures au marché Sankaryaré ( ex-secteur n°3). Venue donner un coup de main à sa mère, elle pratique aussi, à l’en croire, ce commerce circonstanciel, chaque année pour subvenir à ses propres besoins et payer sa scolarité.
« Avec les retombées de ce commerce, j’arrive à payer parfois même mes frais de scolarité, sans avoir recours à mes parents », a laissé entendre Odette Ouédraogo qui s’apprête à « affronter » la classe de 1re D à la rentrée scolaire 2013-2014,au lycée privé Les Cracks, sise à l’ex-secteur n°22 (Tampouy).
Eviter les mauvaises compagnies
Djamila Kaboré est élève en classe de 4e au lycée John Kennedy à Ouidi. Même si elle reconnaît que les vacances scolaires riment avec repos, voyages…, elle dit ne pas avoir une autre alternative que d’exercer une activité commerciale. « Je n’ai pas le choix. Si pendant les vacances tu restes à la maison sans rien faire, tu n’auras pas d’argent de poche à la rentrée. C’est pour cela que j’aide ma mère à vendre ses condiments », souligne-t-elle. Si pour certains, cette activité est un moyen de s’offrir une « rentrée scolaire », pour d’autres, c’est un passe-temps. Abdoul Fathaf Ouédraogo, élève en classe de 5e au collège municipal de Boulmiougou, est de ceux-là. « Je n’ai rien à faire à la maison. Avec l’accord de mon père, je passe toutes mes journées dans sa boutique. A la fin de la journée, il me donne 200 F CFA », explique-t-il, tout sourire. Quant à Mahamadi Compaoré, élève en classe de Tle D au Groupe scolaire le Messager, il a décidé d’aider son frère aîné qui gère une boutique au marché de Sankaryaaré. « Comme je n’ai pas d’activités à mener pendant les vacances, je viens donner un coup de main à mon frère et c’est la famille qui gagne », affirme-t-il.
Sur décision personnelle ou sur proposition des parents, la plupart des élèves parcourent les artères de la ville sans aucun complexe. Pour ces vacanciers-commerçants, ces activités lucratives leur permettent de réduire, d’une manière ou d’une autre, les charges des parents. Cela, soutiennent-ils, est d’autant plus nécessaire au regard de l’augmentation, d’année en année des frais de scolarité. Les activités permettent aussi d’être à l’abri des mauvaises compagnies. « Dans mon quartier, les enfants qui ne font rien sont des voleurs. Aussi, rester à la maison sans rien faire peut nous amener à avoir de la mauvaise compagnie. Toute chose qui peut impacter négativement notre comportement et nos études », explique Martin Ouédraogo.
Et les droits des enfants !
Ces activités que mènent les enfants ne sont-elles pas en contradiction avec leurs droits ? Selon la directrice de la Protection contre les violations des droits humains, Kadidia Ouédraogo/Zabsonré, l’enfant est la personne âgée de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt, en vertu de la législation qui lui est applicable. « Cela signifie, en principe, que l’enfant est la personne âgée de moins de 18 ans sauf, si au regard des réalités de chaque Etat, la majorité est acquise plus tôt », explique-t-elle.
Et de dire que la loi du 14 septembre 2004 portant Code du travail, en son article 147, dispose que : « l’âge minimum d’admission à tout type d’emploi ou de travail ne doit pas être inférieure à 15 ans ». Outre cette disposition, affirme la conseillère en droits humains, le décret de 2009 portant détermination de la liste des travaux dangereux interdits aux enfants au Burkina Faso en son article n°2 indique que : « sont des travaux dangereux interdits aux enfants des deux sexes, les travaux qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles ils s’exercent, sont susceptibles de nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant ».
A en croire Kadidia Ouédraogo/Zabsonré, l’enfant dont l’âge est compris entre 15 et 18 ans peut exercer des activités qui ne portent pas atteinte à son intégrité morale, physique et à sa dignité. C’est la raison pour laquelle, souligne-t-elle, le Code du travail en son article 148 interdit les pires formes de travail des enfants. Elle cite, entre autres, la vente et la traite des enfants, l’utilisation et le recrutement d’un enfant à des fins de prostitution, d’activités illicites comme la production et le trafic de stupéfiant.