Depuis 2001, la cérémonie des Kundé honore chaque année à Ouagadougou les artistes musiciens burkinabè et afro-caribéens les plus méritants. Dix-neuf ans d’existence sans discontinuer constitue déjà une belle performance pour un tel événement sur le continent africain. Un événement qui se tient chaque année, le dernier vendredi du mois d’avril, et qui jouit d’une incontestable notoriété internationale. Cette manifestation des Kundé est en effet la vitrine par excellence de la promotion internationale du travail des artistes musiciens burkinabè. En attendant la 20e édition, prévue le 24 avril 2020, le commissaire général des Kundé, Salfo Soré dit Jah Press s’inquiète de la disparition de cet évènement si l’État burkinabè reste passif.
Fasozine: Peut-on affirmer aujourd’hui que la cérémonie des Kundé a atteint l'âge de la maturité?
Jah Press: Après 18 années sans discontinuer et malgré les contextes parfois difficiles, nous avons fait nos preuves. La cérémonie des Kundé a dépassé le cadre national. Nous n’avons plus rien à prouver. Je peux affirmer que nous avons atteint la maturité.
Il y a quand même eu des hauts et des bas…
Bien sûr, mais nous avons eu beaucoup de chance parce que les cérémonies de cette envergure dans la sous-région et même en Afrique n’ont pas connu cette longévité. Une cérémonie comme celle des Kundé demande beaucoup de ressources financières et un contexte favorable. Avec mon équipe, nous avons essayé d’apporter, à chaque édition, une touche particulière et du rêve au public et aux téléspectateurs. C’est ce qui fait que la cérémonie des Kundé se passe toujours à guichets fermés. En effet, le public est conquis et nous respectons toujours nos engagements vis-à-vis des différents acteurs.
Quelle sera la saveur de l’édition 2020 qui sera la vingtième édition?
Depuis la clôture de la 19e édition, nous avons mené une réflexion sur le contenu de cette 20e édition. Vingt ans d’existence pour une émission de ce type, ce n’est pas rien! Le programme est déjà établi et la particularité du rendez-vous de 2020 sera de disposer de plateaux aux quatre coins de la ville de Ouagadougou. La question sécuritaire sera également prise en compte parce que le contexte est très difficile.
Que répondez-vous à la polémique qui est née au lendemain de la publication des nominés 2019 dans la catégorie Or?
Les critères sont connus de tous. Et le critère principal veut que l’artiste dispose de deux albums au moins, et que le dernier soit sorti entre le mois de mars de l’année écoulée et la fin du mois d’avril de l'année en cours. Nous ne pouvons pas connaître à l’avance les artistes qui sortiront des œuvres au cours de cette période. Donc rien n’est calé d’office. Et en plus du comité restreint qui fait un travail technique et synthétique, nous recueillons également les avis de différents acteurs et ceux du public.
Mais que dites-vous du cas Maï Lingani dont la seconde œuvre était un single selon certaines personnes?
Les choses ont évolué aujourd’hui. Pendant longtemps, on avait parlé d’album à part entière. Mais aujourd’hui, des artistes font le carton avec un seul single parce que le show-biz n’est pas statique. Et lorsqu’on parle des Kundé, on ne parle pas de musicologie pur et dur mais de musique dans un contexte de show-business.
Qu’est ce qui explique les polémiques après chaque édition des Kundé ?
La seule dont je me souviens véritablement est celle au cours de laquelle Smockey était en compétition avec Alif Naaba. Les gens n’avaient pas compris les critères. Mais ce qu’il faut retenir, c’est que c’est le buzz qui fait le show-biz.
Contrairement à d’autres évènements du genre, la cérémonie des Kundé a su résister au temps. Comment vous y prenez-vous?
Il est vrai que ce n’est pas facile mais nous restons assez réalistes. Nous avons nos rêves mais nous faisons toujours ce que nous pouvons et non ce que nous voulons. Nous essayons de faire les choses dans les règles de l’art avec les moyens disponibles.
Qu’est-ce qui coince au Burkina pour que la cérémonie des Kundé ne soit pas portée par l’État, à l'image du Festival des musiques urbaines d’Anoumabo (Femua) en Côte d’Ivoire?
C’est mon plus grand regret. Cela me froisse et me décourage davantage. Lorsque j’ai commencé à organiser cet événement, j’avais pour objectif de faire mes preuves afin que l’Etat s’implique par la suite. Vous conviendrez avec moi aujourd’hui que la cérémonie des Kundé est assez bien organisée et a sa place dans le paysage culturel du Burkina, même s'il y a des choses à parfaire. Le Femua est né après les Kundé mais il est porté aujourd’hui par l’État ivoirien.
Nous sommes arrivés à un stade où nous avons le dos au mur. En effet, lorsque vous regardez la situation économique du Burkina, les sponsors n’arrivent plus à suivre sur le plan financier le rêve que nous portons. C’est à l’État central d’appréhender l’importance de cet évènement dans l’arène culturel du pays et d’y apporter un soutien franc. Nous avons fait nos preuves et nous avons besoin d’être encouragés parce que nous avons amené les Kundé à un autre niveau. Il n’y a pas deux Kundé au Burkina.
Malheureusement, sans le soutien de l’Etat, je crains que la cérémonie des Kundé ne disparaisse les années à venir. Nous nous sommes assez sacrifiés. Et ce n’est pas de gaieté de cœur, ni un caprice. Sachez aussi que les cachets des artistes d’il y a dix ans ne sont pas comparables à ceux d’aujourd'hui. Et les Burkinabè ont aussi ce droit de voir leurs stars et de vivre leur rêve comme les autres. On ne peut pas tout expliquer par le fait que le Burkina est un pays pauvre.