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CARDINAL PHILIPPE OUEDRAOGO:« Jusqu’à quand tiendrons-nous nos efforts pour le vivre-ensemble ? »

Publié le mardi 28 janvier 2020  |  Autre presse
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© Autre presse par DR
Cardinal Philippe Ouédraogo
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Le cardinal burkinabè, Philippe Ouédraogo, archevêque de Ouagadougou, a participé, pour la première fois, aux Journées Saint-François-de-Sales qui se sont tenues à Lourdes, du 22 au 24 janvier. En marge de ses rencontres avec des professionnels des médias catholiques, il a livré à La Croix son regard sur la crise qui mine son pays et menace son modèle traditionnel de coexistence religieuse.

La Croix : Depuis cinq ans, le Burkina Faso s’enfonce dans des violences qui ont déjà fait plus de 750 morts. Que sait-on des fauteurs de troubles ?

Cardinal Philippe Ouédraogo : Les attaques étant rarement revendiquées, nous n’avons pas d’interlocuteurs pour pouvoir discuter ou négocier. Au début de la crise, en 2015, c’étaient les symboles de l’Etat qui étaient visés par les terroristes (armée, police, douane). Puis, ils ont voulu nous embourber dans des violences intercommunautaires, en s’en prenant à des communautés religieuses dans le nord du pays, notamment des prêtres. Nos frères protestants n’ont pas été épargnés, ni les musulmans. Je crois qu’on ne peut pas parler d’un conflit religieux : la crise est globale. Nous, catholiques, sommes touchés comme les autres.

Le modèle burkinabè de coexistence religieuse est-il en train de s’effondrer ?

Culturellement, notre société est marquée par un vivre-ensemble fraternel. Au sein d’une même famille, on peut trouver des musulmans, des protestants, des catholiques et des croyants des religions traditionnelles. Les liens du sang semblent plus forts que les liens de foi ! Le dialogue interreligieux et interconfessionnel est un pivot important de notre pastorale. Encore le 10 janvier, nous, les autorités religieuses, avons adressé un message au pays pour la nouvelle année. Il nous paraissait important que les Burkinabè nous voient ensemble : malgré la difficulté, nous restons unis. Jusqu’ici, nous avons pu éviter les dérapages interethniques et interreligieux. Il y a bien eu des représailles contre des Peuls, accusés d’avoir hébergé des tueurs, mais cela n’a pas enclenché un cycle de violences. Mais jusqu’à quand tiendrons-nous nos efforts pour le vivre-ensemble ?

Comment éviter de sombrer dans le chaos ?

A vrai dire, on peut déjà parler d’effondrement : des centaines de Burkinabè ont été tués, environ 2 100 écoles ont fermé… Et on compte déjà plus d’un demi-million de déplacés internes ! Pour ne pas sombrer, je crois que l’essentiel est de sensibiliser les différents groupes aux efforts de solidarité. En novembre, nous, l’Eglise catholique, avons organisé une journée pour les déplacés à Ouagadougou. Ils étaient plus de 3 000. Nous avons prié pour toutes les victimes, sans distinction de religion, et nous leur avons apporté un soutien matériel. J’ai été touché par la solidarité qui s’est manifestée, comme celle d’une femme venue du Togo voisin avec trois grands sacs d’habits pour les déplacés.

Les réactions des autres pays ont-elles été à la hauteur, selon vous ?

Le Mali et le Niger subissent, comme nous, les attaques horribles des terroristes. Nous ne saurions relever ce défi tout seul. Certains pays ont une expertise bien plus avancée que la nôtre, et des moyens plus conséquents. Nous avons besoin de leur aide. Comme on dit chez nous : « un seul doigt ne ramasse pas la farine, il en faut plusieurs » ! Ce fléau étant mondial, il est nécessaire qu’il y ait un sursaut de solidarité à tous les niveaux. Nous avons été très sensibles à la voix du Saint-Père, qui a invité à prier pour nous à plusieurs reprises. Nous avons aussi senti la solidarité des associations caritatives, en Europe et en Afrique.

Vous avez 75 ans ce samedi 25 janvier : vous remettrez donc bientôt votre lettre de renonciation au pape. Quel bilan tirez-vous de votre vie au service de l’Eglise africaine ?

Il est indéniable que l’Eglise a beaucoup apporté à la société africaine, en matière d’éducation, de santé et de promotion humaine. Mais l’évangélisation, même si elle a beaucoup progressé en cinquante ans, reste la priorité des priorités. Les chrétiens ne représentent qu’environ 17 % de la population africaine, contre 30 % au niveau mondial.
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