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Finance islamique «Ce n’est pas une affaire de religion», l’expert Yaya Touré

Publié le jeudi 21 novembre 2019  |  Sidwaya
L`expert
© Autre presse par DR
L`expert ivoirien, Yaya Touré
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Qu’est-ce que la finance islamique ? Quels sont les règles qui la régissent ? Quels types de produits offre-t-elle ? A quelles conditions ? Pour répondre à ces interrogations, Sidwaya a rencontré l’expert ivoirien, Yaya Touré, le 10 novembre 2019, à Korhogo, en marge du 5e Salon des banques et des PME de l’UEMOA.

Sidwaya (S.) : Qu’est-ce que la finance islamique?

Yaya Touré (Y.T.): La finance islamique est une forme d’intermédiation financière qui se veut respectueuse des principes de la jurisprudence islamique. Ces principes sont, entre autres, l’interdiction de l’intérêt sous toutes ses formes, l’interdiction du financement des activités illicites telles que l’alcool et les armes. C’est une finance, qui met les cocontractants sur un pied d’égalité.

S. : Dans la finance islamique, la banque ne prend pas d’intérêt sur les prêts. Que prélève-t-elle alors ?

Y.T.: Elle prend le profit. La finance islamique encourage au partage des profits et pertes par la prise de risques. Elle estime que prêter de l’argent avec prélèvement de l’intérêt ne crée pas de valeurs. La finance islamique considère que lorsque, nous nous engageons dans un projet, nous devons partager les risques. Elle fait la nuance entre l’intérêt où l’argent se reproduit simplement par l’écoulement du temps, et le profit où il y a un risque à prendre.

S.: Comment peut-on faire pour bénéficier d’un financement auprès d’une banque islamique ?
Y.T.: Vous vous approchez d’un établissement financier islamique, qui peut être une banque islamique, un fonds d’investissement islamique ou une société de capital-risque. Cette structure va apprécier votre maîtrise de l’activité et la pertinence de votre plan d’affaires. Ensuite, elle va vous proposer un certain nombre de produits. Un partenariat où vous prenez et partagez le risque ensemble. Ou encore, elle peut vous proposez une vente avec marge, ce qu’on appelle la Mourabaha. Cela veut dire que si vous avez besoin du matériel, la banque vous demande de lui donner la promesse que vous allez racheter le matériel avec elle, moyennant une petite marge. Une fois que vous signez cette convention, la banque achète le matériel et vous le cède en ajoutant sa marge. Et c’est à vous de payer à la banque, selon un échéancier préétabli sur une période donnée que vous allez définir.

S. : En plus de ce que vous venez de développer, quelle autre différence y a t-il entre la banque islamique et la banque conventionnelle ?

Y.T.: L’une des différences se situe au niveau des outils, des instruments qui sont proposés par la finance islamique. Il y a des instruments financiers pour développer son business, tout comme des instruments pour assister les personnes en difficulté. Elle dispose d’instrument même pour les Etats. On peut citer, entre autres, Takaful (assurance islamique), wakala (contrat d’agence), Zakat (donation aux pauvres), Qard al-Hassan (prêt sans intérêt), Mourabaha (vente plus marge), Moudaraba (contrat de partenariat) et Moucharaka (contrat de société). Ce sont autant d’instruments financiers permettant au client de s’adapter en fonction de sa situation. Et c’est là, l’une des grosses différences avec la finance classique. La deuxième chose, la finance islamique repose sur la solidarité et la justice contractuelle qui va au-delà des intérêts de la banque et du client, pour prendre en compte les intérêts des autres, ainsi que ceux de la communauté. Elle s’oppose au fait qu’une convention quoique consentie par des parties, nuise aux tiers ou à l’environnement. En outre, sa dimension éthique constitue l’une des différences majeures entre les institutions financières islamiques et les autres établissements financiers classiques. La finance islamique, le financement vert, le financement participatif font partie du grand groupe de la finance dite éthique, qui est plus respectueuse de l’être humain, de l’avenir du monde et de nos sociétés.

S. : On soutient que la finance islamique est exigeante. En quoi, elle l’est plus que la finance classique ?

Y.T.: Cette exigence se trouve au niveau du projet et de la gouvernance. La finance islamique a cet handicap, du fait de ses principes de solidarité, de ne pas poursuivre le client insolvable pour cause de force majeure. Par exemple, vous recevez un financement d’une banque islamique pour payer une moto et à un certain moment, vous n’arrivez pas à rembourser, parce que vous avez perdu votre emploi ; la banque est obligée de laisser tomber. Pourtant, c’est l’argent de ses clients. Vous comprenez que dans ces conditions, la banque soit très regardante sur les projets des clients. La Banque islamique ne se préoccupe pas du passé de votre projet. Son problème est de savoir si ce que vous lui apportez aujourd’hui est viable ? Est-ce que la banque peut s’engager sur ce projet ? C’est tout cela qui est analysé et qui fait que la gouvernance est rigide.

S. : La banque islamique finance-t-elle la construction de maison au profit des fonctionnaires ?

Y.T.: Oui ! C’est même l’un des produits- phares de la finance islamique, à travers le monde et pas seulement dans nos pays qui sont en train de l’expérimenter. Cela existe déjà en France, un pays d’obédience catholique. On l’appelle Mourabaha immobilier et il consiste pour la banque islamique, à acheter le bien sur ordre de son client, en vue de le lui revendre avec une marge bénéficiaire, contre paiement échelonné sur une période donnée. Il existe aussi dans la fenêtre Coris Barka au Burkina Faso et dans beaucoup de nos Etats. On y trouve des projets immobiliers de 7 ou 8 ans.

S. : Où se trouve le partage du risque dans ce genre de prêt ?

Y.T.: Ici, il ne s’agit pas de prêt mais plutôt d’un financement. Le droit au profit pour la banque islamique se justifie par l’acquisition du bien avec tous les risques que cela comporte, avant de le céder à son client. Mais, elle ne vous la rétrocède pas au même prix. Attention ! Elle peut convenir avec vous, de vous le revendre à 12 millions FCFA, parce qu’elle a du personnel et d’autres charges à gérer. La banque remplace le crédit par du financement. C’est comme un commerçant qui paie une marchandise à un prix A à Bobo, pour venir la revendre à un prix C à Abidjan, en y intégrant sa marge et ses frais de transport. C’est vous qui discutez avec le propriétaire immobilier du prix et vous venez communiquer à la banque ; ensuite vous discutez avec la banque sur la marge de profit qu’elle va ajouter sur le prix. Il y a donc une transparence au niveau de cette transaction.

S. : La finance islamique, est-ce uniquement pour les musulmans ?

Y.T.: La finance islamique s’inspire seulement des principes de la jurisprudence islamique, sinon elle est ouverte à tout le monde. Cependant, la finance islamique, ce n’est pas la gratuité ! Ce n’est pas de l’argent qui est là que l’on distribue sans compter ! Nos Etats ont commencé à faire de la finance islamique, notamment par la levée de Sukuk ou obligations. Il s’agit de lever des fonds sur les marchés par la titrisation d’un droit de propriété ou d’usage d’un bien par un mécanisme juridico-financier complexe faisant appel à plusieurs intervenants. Le Burkina Faso ne l’a pas encore fait, mais la Côte-d’Ivoire, le Sénégal, le Mali et le Togo l’ont déjà fait.

S.: Quel type de Petite et moyenne entreprise (PME) peut avoir accès à la finance islamique ?

Y.T.: A mon sens, toutes les PME. L’une des particularités de la finance islamique est qu’elle a des services financiers adaptés à toutes les catégories sociales. Celles qui ont les moyens, un savoir-faire, des difficultés passagères et même ceux qui sont pauvres.

S. : La finance islamique est-elle une alternative crédible pour le financement de l’économie ?

Y.T.: Tout à fait ! Mais la finance islamique n’est pas venue pour remplacer la finance classique, loin de là. Seulement, aujourd’hui, l’Afrique cherche des solutions. Elle a besoin de se construire, de se développer et tout ce qui peut l’aider à aller de l’avant doit être accueilli favorablement. La finance islamique a fait ses preuves. Si vous arrivez en Malaisie, l’un des «sanctuaires» de la finance islamique, vous voyez son impact sur le quotidien des populations. Les Etats-Unis, l’Angleterre ont des indices boursiers islamiques pour capter la manne financière issue du boom pétrolier. L’Afrique a plus besoin de ces fonds que ces pays. Promouvoir la finance islamique, c’est permettre aux Etats africains de capter des opportunités de financement, et même de pouvoir mobiliser l’épargne à l’interne pour accompagner son développement. C’est une alternative à laquelle il faut aller sans retenue.

S. : Aujourd’hui, il y a un certain engouement autour de la finance islamique. Qu’est-ce qui explique cela ?
Y.T.: Il y a essentiellement deux éléments majeurs qu’il faut noter. Dans le domaine de la microfinance, l’initiative de la Grameen Bank avec Muhammad Yunus, considérée comme le père de la microfinance sous sa forme moderne, a été une réussite. Mais des études ont démontré qu’au moment où l’on parlait de cette banque comme un modèle de réussite, il y avait trois institutions de finances islamiques qui existaient et faisaient de meilleurs résultats. Deuxièmement, les gens ont vécu la crise financière de 2008 qui a ouvert les yeux de certains spécialistes des marchés financiers sur les opportunités qu’on a avec les finances islamiques. Pendant que toutes les banques, toutes les places financières au monde étaient déboussolées, on s’est rendu compte que les banques islamiques ont résisté à la crise en raison des principes éthiques, de la transparence, de la gouvernance de leurs produits. Et à travers cette crise, beaucoup de gens ont compris qu’il fallait aller au-delà de certaines considérations de nom. Cela a encouragé nos Etats qui ont des besoins de financements à aller vers cette finance. Aujourd’hui, partout dans le monde, il y a des formations, des Masters, des MBA sur la finance islamique. Dans nos régions, il y a des banques islamiques qui se mettent en place. Nous sommes en retard, car ailleurs, la finance islamique a pris son envol.

S. : Mais certains se méfient de la finance islamique, surtout dans le contexte sécuritaire difficile…
Y.T.: Aujourd’hui, on a le contexte sécuritaire au Burkina Faso, au Mali et même en Côte-d’Ivoire. Cette donne fait qu’il y’a une certaine psychose, disons l’islamophobie ; et très souvent on confond finance islamique et islamiste. En réalité, il y a des principes, des règles de fonctionnement. La finance islamique n’est rien d’autre que de la finance, ce sont des techniques d’intermédiation financière ; ce n’est pas une affaire de religion où l’on vient prier ! La sensibilisation doit permettre de résoudre ce problème. La finance islamique offre beaucoup d’avantages, mais elle est avant tout une finance. Elle demande que nous soutenions les institutions qui existent en allant ouvrir des comptes et y déposer notre argent. Car, à travers l’épargne qu’elle va collecter, elle pourra financer des PME et des projets de développement.

S. : Dans quelles institutions financières dans la sous-région peut-on avoir accès aux services financiers islamiques ?
Y.T.: On a les fenêtres Coris Baraka de Coris Bank International, qui est au Burkina Faso, en Côte-d’Ivoire, au Bénin, au Mali, au Sénégal et au Niger. En Côte-d’Ivoire, il y a quatre institutions à savoir Al Barakat (une micro-finance basée à Daloa), Raouda-Finance et deux banques qui sont Coris Bank et Afriland FirstBank. Un peu partout, il y a des institutions de microfinance islamique.

Interview réalisée par
Mahamadi SEBOGO
(Depuis Korhogo, RCI)
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