Les attaques terroristes ont engendré de nombreux déplacés internes (486 360 à la date du 12 octobre 2019). En plus de l’Etat qui leur apporte soutien et réconfort, des structures de la société civile ont décidé de mettre la main à la pâte. Parmi elles, l’association Semfilms qui a lancé, le 1er août 2019, une action humanitaire dénommée «Faisons un geste» pour collecter des dons en faveur de ces personnes en difficulté. Dans cet entretien accordé à Sidwaya, le fondateur de Semfilms, Gideon Vink, revient sur la genèse de cette campagne et fait le point de l’opération.
Sidwaya (S.) : Vous avez lancé une action humanitaire dénommée « faisons un geste », le jeudi 1er août 2019, à Ouagadougou. Dites- nous ce qui a motivé la mise en place d’une telle opération ?
Gideon Vink (G.V.) : C’est une idée qui est venue tout naturellement. Pour la première fois, au Burkina, nous avons vu en janvier 2019, des Burkinabè fuir leurs propres villages. Ce sont des milliers de personnes qui sont parties de chez elles, non pas par plaisir mais pour échapper aux attaques terroristes et aux tueries intercommunautaires. La première vague de ces déplacés est venue de Yirgou, pour se réfugier à Barsalgho, Kaya, Boromo, Manga, Houndé, Arbinda et à Ouagadougou.Des mouvements de populations qui ont été diffusés dans les médias et sur les réseaux sociaux. Dans leurs contenus médiatiques, il y avait des hommes, femmes et enfants qui vivaient dans la précarité. Pour nous, ces images étaient aussi bien parlantes qu’interpellatrices. Et nous nous sommes dit qu’au lieu de se mettre à critiquer les actions du gouvernement, il fallait agir et exprimer notre solidarité envers ces personnes.
C’est vrai que nous ne sommes pas des humanitaires, mais nous pouvons avoir ce geste humanitaire en tant que citoyen. Je ne suis pas Burkinabè. Mais vivant sur le territoire depuis 18 ans, je me considère comme un citoyen à part entière. Par conséquent, je suis touché par tout ce qui passe dans ce pays. En référence à l’une des citations du célèbre journaliste Norbert Zongo, «le pire, ce n’est pas la méchanceté des hommes mauvais mais le silence des hommes bien». L’idée est venue comme cela. C’est tout.
S. : Quelles sont les structures partenaires de cette opération de collecte de don?
G.V. : Je suis membre d’une structure de défense des droits humains, Semfilms, qui a des partenaires dans d’autres structures de défense des droits humains et de la société civile. Entre partenaires, nous avons commencé à nous mobiliser dans le cadre des activités du groupe plaidoyer «sécurité humaine» avec la CODEL, le Centre national de presse Norbert-Zongo, le Réseau Afrique Jeunesse (RAJ), West Africa network for peacebuilding (WANEP Burkina), le Réseau d’action pour la prévention et la protection des enfants en danger(RAPPED).Nous avons été rejoints par l’Association des bloggeurs du Burkina (ABB), l’Union nationale de l’audio-visuel libre du Faso (UNALFA), le Balai citoyen, «l’opération du 28 juillet» de Alino Faso et de Raïssa Compaoré, le Cadre deux heures pour Kamita, le Conseil national des femmes, Soleil management et l’Union africaine des ONG de développement et bien d’autres structures. Nous avons élargi le comité à toutes ces structures parce que c’est une opération d’envergure qui nécessite une grande mobilisation des hommes et des femmes pour la collecte et le déploiement sur les sites d’hébergement.
S. : Quel est le dispositif mis en place pour recevoir les contributions des citoyens ?
G .V. : Les besoins des déplacés sont multiples. C’est pourquoi, nous recevons les dons de toute nature : vêtements, vivres, couchettes, chaussures, savon, etc. Ces dons sont réceptionnés au Centre de presse Norbert-Zongo à Gounghin, à la CODEL à Cissin, au siège du Balai citoyen à Wayalghin, à SFB à la Zone I et à l’ABB au 1200 logements et au siège des structures partenaires. Pour les numéraires, ils peuvent se faire par transferts aux numéros Orange Money 07694141 et Mobicash 01565355. Ils peuvent se faire également à travers des urnes disponibles sur les différents sites.
S. : A ce jour, quel bilan peut-on faire de «faisons un geste» ?
G. V. : L’opération est toujours en cours et il est difficile de faire un bilan exhaustif. Mais déjà, la grande réussite, ce sont les actions de communications qui ont permis de voir la réalité du phénomène. Après cet aspect communicationnel, il y a eu la phase de collecte des dons.Et actuellement, nous en recevons beaucoup. Tous les jours, il y a des gens qui passent avec un sac de céréales, un carton de savon. C’est petit mais beaucoup de petites choses combinées font une grande chose. Le plus important c’est que les gens fassent quelque chose. Il y a aussi des dons en espèces. Mais l’important est que les gens fassent un geste. Le bilan est là, il n’est pas spectaculaire, mais consistant et c’est cela qui est important. Nous avons l’impression que c’est maintenant que les gens commencent à se manifester. On a reçu plusieurs millions de francs via Orange Money, Mobicash, internet. D’autres ont donné en espèces. Je pense que c’est dans les 4 à 5 millions. Nous avons reçu plusieurs dizaines de tonnes de vivres, des sachets d’eau et des vêtements. Comme je le dis, c’est petit à petit que ça devient consistant, comme le fait le colibri. Si chacun donne 100 francs, ça devient un milliard. Et c’est ça qui est bien aussi. Des enfants sont venus avec leurs habits, des familles ont vidé leurs armoires. C’est ça qui est important pour nous aussi : la mobilisation citoyenne. Pour l’instant, nous n’avons pas un bilan définitif car l’opération est toujours en cours. Même si la réaction des Burkinabè est positive et encourageante dans l’ensemble, il faut savoir que les besoins sont énormes. Nous étions sur place à Ouahigouya la dernière fois pour la remise des vivres. Même si nous donnons beaucoup, ça reste toujours très peu par rapport aux besoins des gens.
S. : Comment se fait le déploiement sur le terrain ? Est–ce que vous associez les autorités ?
G. V. : Nous saluons d’abord le travail abattu par le gouvernement et les institutions comme le PAM pour la prise en charge des déplacés sur les sites officiels. Toutefois, il existe des sites non officiels, donc des personnes qui échappent à leurs actions. Aussi pour des rasions sécuritaires, il y a des structures qui ne veulent plus aller au Nord et dans certaines localités du Centre-Nord comme Barsalgho et Dablo. Donc nous nous sommes associés à des structures qui connaissent bien le terrain afin d’éviter les doublons et bien cibler les zones d’intervention. Aussi, il y a toujours des déplacements de population autour de Kongoussi.
S. : Est-ce que tout ce qui est reçu est remis aux déplacés ?
G. V. : Nous recevons vraiment du tout, à part les médicaments et les denrées périssables. Sans être méchants avec les donateurs, nous faisons des tris. Parce qu’il y a certaines choses que nous ne pouvons pas convoyer sur les sites des déplacés. Par exemple des restaurateurs voulaient à chaque convoi, nous fournir des kits de repas pour les déplacés. Malheureusement, ce sont des choses que nous ne pouvons pas accepter, faute de logistiques adéquates, et au risque d’ exposer davantage les bénéficiaires à des intoxications. Aussi, nous voulons que les déplacés aient aussi un sens de dignité et ne pas avoir l’impression qu’on vient vider nos poubelles devant eux. Nous avons reçu d’une femme, des chaussures hauts talons pour les boîtes de nuit. Ce sont des choses qui ne peuvent pas servir sur un site de déplacés. Néanmoins, ces genres de dons sont mis de côté et nous sommes en train de réfléchir à comment les vendre. Chaque semaine, on trie et on réemballe les layettes, les habits des enfants, hommes et femmes pour les expédier.
S. : Vous êtes à combien de remises et combien de personnes en ont bénéficié ?
G. V. : Nous avons pu faire trois remises de dons dans les centres d’accueil des déplacés. La première remise des dons a eu lieu le 9 août à Barsalogho, une ville qui enregistre plus de 45 000 déplacés. Une partie de la collecte a été remise au conseil départemental du secours d’urgence CODESUR et l’autre au doyen Issaka Ouédraogo, l’hôte de plus de 400 déplacés à Barsalogho. Ces dons sont composés de vivres, de nattes, de seaux, de savon, de couvertures et de vêtements. Quant à la deuxième remise, elle a eu lieu à Ouahigouya, le 14 septembre où vit toute une communauté de 700 personnes qui ont fui les terroristes au Mali en juillet. elles n’ont pas encore été recensées, mais nous étions les premiers à faire un geste en début septembre. Les vivres reçus pouvaient leur servir pour deux mois. La remise a eu lieu à Kongoussi. Nous prévoyons également d’ autres remises avant la fin de l’opération le 31 octobre.
S. : Comment les déplacés apprécient votre geste ?
G.V. : C’est très difficile pour eux. ils n’ont pas fui leurs localités parce qu’ils avaient faim ou étaient pauvres. Ils ont fui tout simplement du fait de l’insécurité. Le paradoxe est que leur seul principal souhait, c’est de retourner chez eux et retrouver leur quotidien. Mais en tant que déplacés, il y a des besoins secondaires qu’il faut satisfaire. C’est là que nous intervenons avec le minimum vital : vivres, vêtements, savon, couchettes, etc. Ce sont des gestes qui soulagent. Ils sont très émus, pas à cause des vivres mais du fait que des citoyens aient pensé à eux. Avant même que nous ne déchargeons, que les femmes ont demandé déjà à prendre quelques sacs pour préparer parce qu’elles disent n’avoir pas mangé depuis 2 jours.Elles se sont mises à cuisiner devant nous. Juste pour dire que souvent, ce n’est pas une question de tonnes ou de millions de francs.C’est avant tout une approche humaine, citoyenne, un élan de solidarité simplement.
S. : Est-ce que vous avez mis en place un système de gestion des dons pour plus de transparence ?
G.V. : La transparence est vraiment fondamentale dans une action pareille pour mériter la confiance des populations. Ainsi, pour cette campagne de collecte, nous ne sommes que des intermédiaires, des transitaires. A ce titre, nous avons le devoir de redevabilité à travers une transparence absolue.Nous en sommes conscients . Les dons récoltés ne sont pas gérés par des individus mais par une dizaine de structures crédibles de la société civile, avec plusieurs années d’expérience et connues par beaucoup de personnes. Il y a des contrôles internes et les décisions sont prises à l’unanimité.Nous travaillons également avec des partenaires avec les mêmes principes de comptabilité. A ce titre, il y a deux comptables, un gestionnaire de fonds et les bilans sont certifiés par les responsables des autres structures et publiés sur internet et sur le site de «Droit libre TV».Tout est vérifiable. Celui ou celle qui a un doute, peut toujours nous saisir. C’est très important. Voilà pourquoi toutes les opérations de remises sont médiatisées.
S. : Comment les Burkinabè ont-ils réagi à votre appel ?
G. V. : Au départ, il y a eu beaucoup de débats autour de la question. Mais notre action a permis de poser le débat sur la table. Je pense que les polémiques sont naturelles. C’est dans la logique du Burkina post-insurrectionnel où tout le monde s’exprime en remettant en cause les propositions des autres. C’est un esprit difficile, d’où la nécessité de les rassurer à travers la communication et la transparence. Nous ne faisons pas fi des critiques, mais notre priorité, c’est la réussite de l’opération.Nous n’avons pas voulu rentrer dans ces polémiques, c’est normal que les citoyens se posent des questions et il nous appartient de les convaincre de notre bonne volonté. Au- delà des polémiques, les Burkinabè ont légitimé notre action. Dans l’ensemble, ils ont réagi positivement et c’est déjà l’essentiel. Nous leur disons merci d’avoir répondu positivement à notre appel, mais aussi pour nous avoir fait confiance. C’est une prise de conscience collective sur une situation qui nous concerne tous. «Faisons un geste» prend fin le 31 octobre et peut-être que d’autres actions plus efficientes vont naître.Mais déjà, il y a une grande mobilisation au niveau des citoyens, des autorités politiques, des religieux et des communautés au profit des déplacés.
S. : Comment les autorités ont-elles apprécié votre initiative ?
G. V. : Au début, nous n’avons pas eu l’impression que les autorités l’on appréciée. Il y a avait comme à leur niveau, une sorte d’élan gouvernemental pour maîtriser les choses. La ministre en charge de l’action humanitaire a vraiment été hésitante. Toutes nos tentatives de la rencontrer furent vaines. Pour nous, «faisons un geste» constitue l’une des actions de plaidoyer du gouvernement, dans l’instauration d’un climat de sécurité. Mais, le plus important est que par la suite, le gouvernement a fini par accepter la réalité et la nécessité d’agir. Et à ce sujet, la ministre de l’Action sociale a fait savoir que 1,2 million de personnes ont besoin d’une assistance humanitaire. Elle a, au cours d’une conférence de presse, en collaboration avec le Système des Nations unies, lancé le 14 février, le plan d’urgence.
S. : Bientôt c’est la fin de l’opération «faisons un geste», un appel à ceux qui n’ont pas encore fait un geste ?
G.V. : C’est tout simplement leur dire de faire le geste. D’une manière ou d’une autre, chaque citoyen peut venir en aide à son prochain. Il reste un dernier concert des artistes burkinabè.
Une soirée au cours de laquelle,ils vont collecter des dons.Les dernières semaines de l’action seront aussi importantes que les premières. Donc il n’est pas tard car ce n’est pas une course de vitesse, mais une course d’endurance. Par conséquent, les dons qui viendront les derniers jours vont aussi servir que ceux des premiers jours.
Pour ceux qui hésitent ou qui nous observent toujours, ils ont encore 6 jours pour se manifester. Tout le monde est concerné, que chacun fasse un geste, peu importe le canal.