La mise en œuvre de nombreux programmes dans le secteur de l’éducation a favorisé, au cours de la dernière décennie, un accroissement du taux de scolarisation au Burkina Faso. Malheureusement, les infrastructures scolaires n’ont pas suivi cette évolution, provoquant ainsi un manque de classes, notamment au primaire. Des milliers de hangars de fortune ont été ainsi construits pour accueillir des élèves. Malgré les efforts du gouvernement, le constat est loin d’être reluisant dans la commune de Mogtégo, à 85 kilomètres de Ouagadougou.
Le ministre en charge de l’éducation, Pr Stanislas Ouaro : «Nous travaillons à respecter l’engagement du chef de l’Etat».
La saison agricole bat son plein dans le village de Bomboré 7, à environ 120 kilomètres de Ouagadougou, dans la commune rurale de Mogtédo, province du Ganzourgou. La physionomie des champs laisse présager de bonnes récoltes. En cette journée du 26 août 2019, les pluies se succèdent les unes aux autres à des intervalles de moins d’une heure. Cette atmosphère n’est pas propice au labour. Yacouba Ouédraogo abandonne donc son champ au profit de sa boutique, située au marché du village. A ses côtés, Asséta, sa fille de 8 ans. L’air pensif, elle observe son école, distante de près de 100 mètres du marché. A la rentrée scolaire prochaine, elle fréquentera la classe de CP2. Mais, cette reprise des classes angoisse déjà la jeune fille. Comme l’année dernière, elle va encore suivre ses cours sous un hangar d’à peine dix tôles. Ouvert en 2005, son établissement est aujourd’hui une école à six classes dont trois sous abris précaires.
Trois hangars sont construits dans la cour de l’école, l’un jouxte le mur du bâtiment, tandis que les autres sont isolés. Asséta doit faire face aux intempéries (pluie, froid, vent) et…aux reptiles. Son anxiété est partagée par son père. «Cela fait six ans, que les autorités ont promis de nous construire les trois autres classes. Mais à ce jour, rien n’a encore été fait. Auparavant, les hangars étaient en paille. Et les parents d’élèves ont dû se cotiser pour les faire en tôle. Ce qui ne résout toujours pas le problème», déplore Yacouba Ouédraogo. Edith Sawadogo, une autre élève, fera, dès la rentrée des classes, le CM2. Après trois années passées à étudier sous les hangars, elle n’est pas prête d’oublier les dures conditions d’études. «Notre tableau noir était petit, et en mauvais état. Quand il pleuvait, nous étions obligés d’abandonner la classe pour nous réfugier ailleurs. Il nous est arrivé de suivre les cours sous les arbres, parce que notre hangar était tombé», témoigne la petite Edith. Même si ses souvenirs sont derrière elle, le sort de ses petits frères l’inquiète. Elle n’arrive pas à comprendre comment cette situation a perduré pendant tant d’années. Les inspecteurs ont constaté leurs conditions d’études, lors de plusieurs contrôles, mais aucune solution, fulmine-t-elle, n’a été trouvée.
Sept ans sous les paillotes
Le 15 juin dernier, le président du Faso lançait la construction de 100 complexes scolaires équipés, financés par le gouvernement chinois. Le directeur de l’école, Jérôme Ouédraogo, avait nourri l’espoir que les conditions d’études et d’enseignements précaires seront des mauvais souvenirs pour les enseignants et les élèves dès la rentrée scolaire. Mais hélas, à deux mois du début des cours, il n’a pas encore été contacté par sa hiérarchie pour mettre fin à leur calvaire. «Ce n’est pas facile de dispenser des cours dans ces conditions. Il y a un problème de tables-bancs et l’espace n’est pas adéquat. L’année dernière, j’ai recruté 90 enfants au CP1 avec cinq tables-bancs. Nous avions donc dû construire des sièges en banco», fait-il savoir. M. Ouédraogo fustige les discours des autorités relatifs à l’éradication des classes sous paillote, alors que son école est dans la situation depuis des années. Le problème, martèle-t-il, est pourtant connu. « L’impact négatif sur le rendement est évident. Pour faire les devoirs, nous devons diviser la classe en deux ou trois groupes, avant de faire composer les élèves tour à tour», explique M. Ouédraogo. A quelques kilomètres de là, à l’école de Bomboré 4, la situation n’est guère meilleure. Construit en 1998, le bâtiment abritant l’établissement a vu sa toiture décoiffée en 2012. Les élèves étudient depuis cette date sous des paillotes.
Pendant que certains hangars sont construits avec les murs de l’édifice comme supports, d’autres sont totalement en bois et en paille. Aujourd’hui, ceux-ci ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Les vents et les pluies ont eu raison de leur stabilité éphémère. La rentrée scolaire en octobre n’est donc pas évidente dans ce village. «Ici, les enfants reprennent l’école vers la mi-novembre, à la fin des récoltes, afin que nous puissions avoir de la paille et construire les hangars», renseigne le président de l’Association des parents d’élèves (APE) de l’école Bomboré 4, Mathias Manzaba. Ce qui, à son avis, justifie le retard des enfants du village par rapport à leurs camarades. En outre, il y a également, relève-t-il, les risques de morsures de reptiles et les vents violents qui font tomber les hangars. Le directeur de l’école, Marou Dianda, se souvient de ce jour du mois de mai où le hangar s’est écroulé sur les élèves. Heureusement, souligne le directeur, il n’y a pas eu de blessures graves, hormis quelques cas d’égratignures. Cependant, la situation est en passe de trouver une solution, selon le président de l’APE.
Un engagement intenable
Il affirme, en effet, que les Engagements nationaux se sont portés volontaires pour construire un complexe de six classes dont trois, d’ici la rentrée scolaire. Mais le constat sur le terrain n’est pas des plus rassurants. Car, l’entreprise chargée de l’exécution des travaux n’est qu’à la phase de confection des briques et ce, à peine un mois de la rentrée. La situation de Bomboré 7 et Bomboré 4 est loin d’être isolée dans la commune de Mogtédo. Selon le maire de Mogtédo, Joseph Tibo Guigma, sa circonscription compte 57 classes sous abris précaires dont cinq à l’intérieur de la ville. Pour lui, cette situation empêche les élèves d’étudier dans la sérénité. Le chef de la Circonscription d’éducation de base (CEB) de Mogtégo II, Yamba Ernest Ouédraogo, regrette également cet état de fait. Sa circonscription compte 20 classes sous paillote. «Le problème est que dans les villages où il y a des écoles, les parents d’élèves demandent aux enseignants d’ouvrir d’autres classes afin d’éviter le transfert de leurs enfants dans des établissements voisins. Sinon, depuis quelques années, le gouvernement a interdit l’ouverture d’écoles sous paillote», explique M. Ouédraogo. Même si ces conditions précaires peuvent impacter sur le rendement, relativise-t-il, l’engagement des acteurs peut permettre d’obtenir de bons résultats. «Nous connaissons des élèves qui ont étudié dans ces conditions, et sont parvenus à achever leurs études universitaires», soutient-il. Au conseil municipal de Mogtédo, la résorption des classes précaires figure en bonne place dans le plan de développement, à écouter le maire.
Cette année, mentionne-t-il, la municipalité a investi 85 millions de francs CFA dans la construction de salles de classe. Le ministre de l’Education nationale, de l’alphabétisation et de la Promotion des langues nationales, Pr Stanislas Ouaro, rappelle que la résorption des écoles sous paillote d’ici à 2020 est un engagement du chef de l’Etat, Roch Kaboré. «Au début du mandat, nous étions à 4 353 salles de classe à effacer. Mais à la date d’aujourd’hui, nous sommes autour de 5 501 salles parce qu’il y a eu pendant une période donnée, en 2016 notamment, des créations de paillote sous la pression des populations», laisse-t-il entendre, précisant que l’engagement concerne les 4 353 salles. Si ce nombre est résorbé, foi du ministre Ouaro, il y aura encore des classes sous paillote.
Impliquer les communautés
A ce jour, il relève un peu plus de 2 500 salles de classe réalisées, soit près de 65%. «Nous continuons à travailler et nous verrons en 2020, si l’engagement sera tenu», souligne le chef du département de l’éducation. Le coordonnateur national de la Coalition nationale pour l’éducation pour tous (CNEPT), Tahirou Traoré, fait le constat de la croissance des classes à abris précaires. «Le chef de l’Etat s’est engagé à résorber ces classes. Mais quand on observe la part du budget alloué à l’éducation pour la construction d’infrastructures, elle n’atteint pas les 20%. D’année en année, on constate d’ailleurs une régression alors que le nombre de classes à construire croît», indique-t-il. Pour lui, cette situation amène le gouvernement à faire appel à des partenaires extérieurs pour satisfaire le besoin.
C’est pourquoi, il propose que l’Etat implique les populations dans la réalisation des infrastructures.
Son idée est partagée par le chef de la CEB II de Mogtégo. Celui-ci estime que les communautés doivent s’approprier le système éducatif en contribuant à la réalisation des classes. Le coordonnateur national de la CNEPT en veut pour preuve l’exemple du Rwanda. Le pays de Paul Kagamé a résolu ce problème de classes sous paillote en deux ans grâce à une méthode: l’Etat recense tous les villages qui ont besoin d’infrastructures scolaires. «Il prend, ensuite, en charge l’achat de matériaux et la main-d’œuvre pour la construction. Les populations apportent, enfin, les agrégats et participent à la construction», détaille-t-il. M.Traoré se pose la question de savoir pourquoi ce procédé, inspiré de la politique du chef de la révolution burkinabè, Thomas Sankara, n’est pas appliqué par les autorités actuelles au regard du manque de ressources. A son avis, pour obtenir l’éducation pour tous, il faut nécessairement des infrastructures de qualité et en quantité. C’est ce plaidoyer, dit-il, que sa structure mène. «Le ministère en charge de l’éducation avait introduit en 2012 auprès du ministère en charge de l’économie une requête permettant la réalisation d’infrastructures qui prend en compte la participation des communautés. Mais il nous est revenu que la requête a été rejetée, sous prétexte que cette méthode ne fait pas partie des procédures du gouvernement», témoigne M. Traoré. Cette méthode, soupçonne-t-il, n’est pas dans l’intérêt «de certaines personnes qui ont des profits à préserver». Il souhaite, du reste, qu’il y ait une réflexion et une réelle volonté politique pour résorber les classes sous paillote.