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Aéroport international de Bobo-Dioulasso : diagnostic d’une plateforme sous perfusion

Publié le jeudi 26 septembre 2019  |  Sidwaya
Aéroport
© Sidwaya par DR
Aéroport international de Bobo-Dioulasso
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L’aéroport international de Bobo-Dioulasso peine à décoller. Les chiffres du trafic sont à la traîne depuis un bon moment. Qu’est-ce qui est fait pour redonner du souffle à cette plateforme aéroportuaire ? Reportage.

L’arrière-cour de l’aéroport international de Bobo-Dioulasso grouille de monde en cette nuit du 13 au 14 juillet 2019. Le bruit d’un haut-parleur, mêlé au brouhaha de la foule, domine les lieux. Le premier convoi de pèlerins pour le Hadj 2019 s’envolera dans quelques heures pour l’Arabie Saoudite. Les formalités d’embarquement viennent en effet de débuter. La sécurité est de mise, des dizaines de policiers et de gendarmes quadrillent l’aéroport. 362 candidats devront embarquer dans le premier avion, mais à terme, sept vols quitteront Bobo-Dioulasso pour un effectif total d’environ 2 100 pèlerins. Leur départ et retour constituent l’un des moments où l’aéroport est très animé. Hormis ces circonstances, très rarement, un aussi grand nombre de passagers y embarque. Cette soirée bien animée cache mal une face moins reluisante de l’infrastructure qui connaît depuis un bon moment une sous exploitation.

Sécurité irréprochable

Mais qu’est-ce qui explique la rareté des «oiseaux de fer» sur le tarmac de l’aéroport de Bobo-Dioulasso ? Les causes sont à rechercher partout, sauf sur le plan sécuritaire. Du moins, à en croire le commandant de l’aéroport de Bobo-Dioulasso, Jean Marie Konkisré. Très prolixe et ouvert, l’ingénieur en aviation explique que sa section a pour mission d’assurer la sécurité de tout vol dont elle a connaissance, et la sécurité au sol des avions qui atterrissent. Il a sous sa coupe, la tour de contrôle, le service pompier, et d’autres services connexes comme la douane. La tour de contrôle de Bobo-Dioulasso s’occupe des avions du sol jusqu’au niveau de «vol 245» (Ndlr : jusqu’à 8 km d’altitude). L’aéroport fonctionne de 6h à 20h avec possibilité de prolongation d’ouverture du terrain. Contrairement à la piste, la tour de contrôle ne chôme pas. En moyenne une dizaine d’avions survolant Bobo-Dioulasso sont surveillés par jour, confie le commandant de l’aéoroport. Il dit être convaincu que le faible trafic de l’aéroport n’est pas lié à la sécurité de la navigation. «Le trafic à destination de Bobo-Dioulasso ne dépend pas de l’Agence pour la sécurité de la navigation aérienne en Afrique et à Madagascar (ASECNA) ou du contrôleur. Il y a peut-être des causes commerciales», a-t-il affirmé. Celui qui est dans le domaine de la navigation aérienne depuis 1997, avoue avoir vu plus de trafic dans les années 1990 à Bobo-Dioulasso que maintenant. «J’ai vu Air Ivoire, Air Mali, d’autres avions en provenance d’Afrique du Sud», se remémore-t-il. Et d’ajouter que rares sont les avions qui ne peuvent pas être reçus à l’aéroport de Bobo-Dioulasso. Même le plus gros avion du monde, l’Antonov 225 (AN-225), dit-il, a déjà foulé leur piste. «En matière d’équipements, nous n’envions personne», se félicite le commandant.

Des équipements de pointe

Après une trentaine de minutes d’entretien, il nous fait visiter les locaux. Première étape, la tour de contrôle. Par un tour d’ascenseur, puis quelques marches d’escalier, nous voilà dans la vigie de la tour, perchée à 42 mètres du sol. Le contrôleur aérien, Adama Ouédraogo, est de garde ce jour-là. Il a déjà «géré» sept avions. Cette tour, qui a coûté environ quatre milliards F CFA, a été construite en 2010 à l’occasion du cinquantenaire de l’indépendance du Burkina Faso. Elle a été érigée, selon le commandant, pour avoir une meilleure vue de la piste d’atterrissage et des parkings. Après quelques échanges, nous poursuivons notre visite. Cette fois-ci, nous sommes en plein milieu de la piste d’atterrissage, à bord d’un pickup du service pompier de l’aéroport. Le léger brouillard du jour ne joue pas sur la visibilité de la piste qui mesure 3 300 m de longueur, sans compter les 80 m de prolongement d’arrêt, et 45 m de largeur avec deux accotements de 7 m chacun. Notre tournée se terminera dans la caserne des sapeurs-pompiers, où trônent majestueusement trois véhicules d’intervention.

Tous sont de dernière génération, souligne le commandant de l’aéoroport. Malgré la garantie sécuritaire, les compagnies aériennes ne se bousculent pas sur la piste de l’aéroport. Quelques-unes avaient essayé avec des vols domestiques entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso, mais elles ont vite cessé. C’est le cas de «Colombe Airlines», ou plus récemment de «Air Sarada». Pour le directeur général d’Air Sarada, Louis Barbeau, le premier vol Ouagadougou-Bobo-Dioulasso de sa compagnie date de juin 2017, et le dernier remonte à octobre de la même année. La raison est toute simple : la ligne n’est pas rentable. «A cause des taxes qu’il y avait par passager et du coût d’exploitation de la machine, ce n’était pas rentable», raconte-t-il, avec beaucoup d’amertume. En plus, le prix du kérosène, selon ses confidences, est 30% plus cher à Bobo-Dioulasso qu’à Ouagadougou. Conséquence, «Air Sarada» ne pouvait pas se permettre de se ravitailler à Bobo-Dioulasso. Vu l’expérience douloureuse qu’il a vécue, M. Barbeau est sûr d’une chose : sa compagnie ne va plus s’investir dans le transport de passagers, sauf s’il y a un soutien de l’Etat. «Nous sommes maintenant plus orientés vers les services location, et des évacuations sanitaires», relate-t-il.

Air Burkina, le salut !

Cependant, l’aéroport de Bobo-Dioulasso a retrouvé un certain dynamisme avec la relance de « Air Burkina ». Le renforcement de sa flotte, avec l’acquisition de trois nouveaux avions, a permis de redonner du souffle à l’aéroport. Elle dessert quotidiennement Bobo-Dioulasso depuis le 21 décembre 2018. Aux dernières nouvelles, les rangs pour les réservations ne se désemplissent pas. Des indiscrétions parleraient même d’un taux de remplissage qui atteint 200%. Pourquoi ça atterrit et ça décolle peu à l’aéroport de Bobo-Dioulasso ? Chacun y va de ses arguments. Pour le premier responsable de la représentation de la Délégation aux activités aéronautiques nationales (DAAN), le Dr Thomas Compaoré, la morosité actuelle du trafic, selon lui, n’est pas spécifique à l’aéroport de Bobo-Dioulasso, mais plutôt à toute la destination Burkina Faso. Cela peut, certes, être lié à l’insécurité actuelle que connaît le pays, voire la sous-région. Mais au-delà de la situation sécuritaire, la question suscite d’autres interrogations, aux yeux du technicien de la DAAN. La destination Burkina Faso est-elle promue sous toutes ses formes ? Le pays héberge-t-il assez d’institutions ? Attire-t-il les touristes ? Pour lui, les réponses à ces questions peuvent justifier l’absence de dynamisme dans le secteur aérien. Sans avancer que Bobo-Dioulasso n’est pas attractive, M. Compaoré soutient que des stratégies idoines n’ont pas été mises en place ou que les anciennes ne répondent plus. C’est le lieu pour lui d’exprimer sa reconnaissance au gouvernement qui a permis de relancer «Air Burkina». «N’eut été ce sursaut, on aurait pu dire que la destination Bobo-Dioulasso n’existe pas d’un point de vue aéroportuaire», reconnaît le Dr Compaoré.

Tout compte fait, la DAAN œuvre pour un regain du trafic tant à Ouagadougou qu’à Bobo-Dioulasso. Aux dires de Thomas Compaoré, à l’aéroport de Bobo-Dioulasso, les choses bougent en arrière-plan, et le meilleur reste à venir. «Nous allons présenter d’ici là, aux grands décideurs, des scénarii de dynamisation de la destination Bobo-Dioulasso», annonce-t-il, tout en prévenant que seule, la DAAN ne peut y arriver. «La DAAN a sa partition à jouer mais, c’est le concours de tous qui contribuera au changement», fait-il savoir. Revenant sur le prix du carburant qui est jugé coûteux, il pense que cela peut se comprendre, dans la mesure où peu de compagnies fréquentent l’aéroport. «Si la fréquentation augmente, naturellement les prix vont être nivelés», affirme-t-il.

Un service fret inexistant

Si le volet passager est prometteur avec la déserte quotidienne de «Air Burkina», le service fret quant à lui, est carrément inexistant. Ce qui réduit la marge de manœuvre des acteurs économiques de la région, parmi lesquels les marchands de fruits. D’Arondel de Phillipe est le gérant de la société «Houet Select», spécialisée dans l’exportation de la mangue et du haricot vert par avion. Ce franco-burkinabè né à Bobo-Dioulasso est dans l’activité depuis 1993. Pour lui, l’aéroport de Bobo-Dioulasso est un gros potentiel, mais malheureusement sous-exploité. «Il y a des compagnies qui sont prêtes à venir mais toutes les conditions ne sont pas réunies», regrette ce chef d’entreprise.

«Houet select», à en croire son premier responsable, a fait 105 tonnes de haricot vert entre mi-décembre 2018 et fin février 2019. A la date du 17 mai 2019, il était déjà à 60 tonnes de mangue exportées, mais il projette 150 tonnes pour les trois mois de la saison, s’il y a de la place dans les avions. «A l’aéroport de Ouagadougou, j’ai actuellement droit à deux avions par semaine. J’envoie six à sept tonnes et c’est insuffisant», se plaint-il. Le terminal fruitier de Bobo-Dioulasso s’occupe principalement du conditionnement de la mangue, mais aussi d’autres produits verts. Là, c’est l’exportation par bateau qui est privilégiée. Le DG du terminal, Adourahamane Maïga, estime la capacité annuelle de traitement de sa ligne automatique à environ 4400 tonnes de produits frais, même si la moyenne ces trois dernières années est de 1700 à 2200 tonnes par an. Cette orientation exclusive vers la voie maritime est en grande partie justifiée par l’absence du service fret à l’aéroport de Bobo-Dioulasso. «Nous ne faisons pas de la mangue-avion, compte tenu de certaines difficultés, la distance à parcourir, et l’irrégularité du fret à l’aéroport de Ouagadougou», justifie M.Maïga. Il n’exclut pas pour autant d’envisager un jour la voie aérienne. «Il y a les mangues, mais également d’autres produits exportables en avion et dont la demande internationale va croissante», énumère le patron du terminal. Un service fret sera incontestablement d’un grand apport pour le terminal, qui compte élargir la gamme de ses produits d’exportation. M. Maïga annonce que le fret aérien a toujours constitué un plaidoyer pour l’interprofession de la mangue.

Un entrepôt pour 5 000 tonnes

Ce plaidoyer est même coporté par la Chambre régionale de commerce et d’industrie des Hauts-Bassins. Son vice-président, Al Hassane Siénou, suit de près le dossier. Il rassure que la relance des activités de l’aéroport est bien inscrite dans le programme de la présente mandature de la délégation consulaire. Un pas est franchi, fait savoir le vice-président, car le problème d’entreposage ne se pose plus à l’aéroport de Bobo-Dioulasso. La Chambre régionale a déjà réalisé un entrepôt avec une chambre froide pouvant contenir 5 000 tonnes. Tout ce qui manque pour faire fonctionner le service fret, c’est un scanner à bagages. Et selon M. Siénou, la mise en place de ce dispositif est du rôle de l’ASECNA et de l’Etat. Il fonde l’espoir que le gouvernement aura une oreille attentive. « Nous ne raccrocherons pas tant que nous n’obtiendrons pas gain de cause pour nos exportateurs», martèle celui pour qui l’aéroport est une «chance» pour la chambre de commerce des Hauts-Bassins. Al Hassan Siénou ne doute pas de la viabilité du projet, quand il imagine que beaucoup d’opérateurs économiques de la région, pour leurs importations, affrètent des avions cargos qui atterrissent à Ouagadougou. «Les conteneurs affrétés auraient pu débarquer directement à l’aéroport de Bobo-Dioulasso si les conditions étaient remplies», évoque-t-il. L’aéroport de Bobo-Dioulasso, à ses yeux, a un atout important, sa proximité géographique avec de nombreux pays de la sous-région. Tout est alors une question de volonté politique.
Il suffit, à ses yeux, de s’asseoir avec les promoteurs des compagnies et s’accorder sur les conditions de desserte.

Alpha Sékou BARRY
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