En séjour au Burkina Faso dans le cadre des rencontres avec les députés et certains membres du gouvernement, Michel Filion, consultant international, spécialisé en budgétisation publique, s’est prononcé sur la budgétisation sensible au genre, la réalité de cette approche au pays des Hommes intègres et son rapport au développement
d’un pays.
Sidwaya (S) : Quel est l’objet de votre séjour burkinabè ?
Michel Filion (M.F.) : Je suis au Burkina Faso, à la demande de l’Assemblée nationale, à travers sa Commission du genre, de l’action sociale et de la santé (CGASS), qui a contacté le Programme commun d’appui à l’Assemblée nationale du Burkina Faso (PROCAB), financé par l’Union européenne et les coopérations suisse et suédoise. Je suis donc mobilisé par le Programme qui a saisi le Centre parlementaire canadien pour donner un appui en formation, coaching et conseils aux députés membres de la CGASS, pour qu’ils puissent aider le gouvernement à mieux intégrer le genre dans le budget de l’Etat.
S : Quelle est la contribution du budget sensible au genre au développement d’un pays ?
M.F. : Le budget sensible au genre, c’est la révision de l’ensemble des dépenses et des recettes, des programmes et politiques d’un pays, en regardant leur impact spécifique sur les femmes et sur les hommes. Il permet aux femmes et hommes d’avoir la même chance de réussir, et donc de contribuer au développement du pays. Cela, parce que les filles et les femmes ont moins d’actifs, n’ont pas la même chance d’accès à l’éducation, au crédit. Elles sont donc moins favorisées alors que parmi ces femmes, il y a des probables Einstein, Mozart et autres Africains illustres. C’est pour cela que la budgétisation sensible au genre cherche à répartir de façon progressive et équitable les ressources publiques.
S : Quel constat se dégage au Burkina Faso en matière de budgétisation fondée sur le genre ?
M.F. : J’ai d’abord reçu une série de documents de nature budgétaire, notamment la circulaire budgétaire, que j’ai lue avec attention pour trouver la trace d’une préoccupation de genre dans ces documents. Je n’ai pas reçu l’ensemble de la documentation. Par exemple, je n’ai pas eu l’accès au projet annuel de performance ni au rapport annuel de performance. On me dit cependant qu’il n’y a pas de trace du genre non plus dans ce document. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’action ou d’activités, mais que la documentation elle-même ne révèle pas son souci genre, sa sensibilité au genre. Dans la circulaire budgétaire par contre, il y a quelques paragraphes qui parlent de l’importance du genre et de sa prise en compte dans l’élaboration du budget de la nation.
J’ai aussi consulté mon réseau professionnel de plus de 1 000 Burkinabè. Parmi eux, 150 à 200 personnes m’ont donné leur perception sur la situation du genre. La plupart des professionnels disent qu’ils sont fiers de ce que fait le Burkina en matière de politique nationale de genre, de Plan d’actions, de quota genre, malgré les difficultés. Seulement, ils ont l’impression que cela tient à des actions ponctuelles qui ne sont pas complètement enracinées. Je viens donc présenter une façon d’enraciner cette notion, depuis le début, dans la budgétisation.
En conclusion, l’analyse du genre ne semble pas suffisamment considérée dans les documents budgétaires pour le moment. Elle est considérée autrement, mais pas par écrit dans les budgets ou dans les documents budgétaires. Toutefois, au Burkina Faso, des efforts sont faits et le pays est en avance sur la plupart des pays de la sous-région.
S : Avec le budget de 2020 en élaboration, avez-vous espoir que la donne puisse véritablement changer ?
M.F. : Dans le budget de 2020, il y a des actions ponctuelles, fortes et intéressantes. Par exemple, lors d’une rencontre avec le ministère en charge des finances, je me suis rendu compte que le ministère a créé une crèche en 2016-2017 pour permettre aux femmes du ministère d’y amener leurs enfants et d’être beaucoup plus à l’aise au bureau et de donner le maximum d’elles-mêmes et par conséquent, d’avoir un appui essentiellement pour avoir des promotions. Des actions ponctuelles de cette nature, il y en a beaucoup dans le budget de 2020, mais il n’y a pas encore une prise en compte totale. Il s’agira, au diagnostic du budget, de voir si un ministère comme celui de l’Education nationale reconduit ou réduit l’iniquité du genre en donnant plus de moyens aux hommes qu’aux femmes. En somme, on se demande si l’Etat burkinabè qui collecte des impôts chez les hommes et les femmes le redistribue plus aux hommes qu’aux femmes ou équitablement. Si on se rend compte que 70% va aux hommes, on cherchera les mesures à prendre pour faire le rattrapage. Par exemple, dans certaines mairies, il y a plus de femmes que d’hommes qui travaillent au compte de la collectivité. Mais à voir de près, 80% des salaires sont versés aux hommes qui sont des cadres et 20% aux femmes qui sont pourtant majoritaires, parce qu’elles sont nettoyeuses, balayeuses de rues … et les hommes sont à des hauts postes de responsabilité. Ainsi, la mairie reconduit l’iniquité de genre.