A la Maison d’arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MAC-B), des détenus ont fait de la fabrication d’objets d’art, un passe-temps et un gagne-pain. Porte-clés, sacs à main, colliers et bracelets sont, entre autres, les chefs-d’œuvre des pensionnaires de Bolomakoté. Privés de leur liberté, ils laissent cependant libre cours à leur imagination.
La devanture de la prison civile de Bolomakoté (Bobo-Dioulasso) a changé de décor. Mardi 18 juin 2019, il est 9h30 mn. Le hangar de fortune s’est transformé en un mini-marché d’objets d’art. Les murs sont parés par- ci, par-là, de bracelets, de porte-clés, de sacs à main, etc. Le génie créateur des détenus s’est « évadé ». Divers métaux (pièces de monnaie usées, bronze…), fils, morceaux de tissu, calebasses, bois, plafonds… constituent leur matière première. Et le produit fini est digne d’un chef-d’œuvre. Assis sous un hangar, pieds joints et entourés de fils en polyester, sous le regard de camarades détenus, Pierre* et Paul* ont le cœur à l’ouvrage et les mains au tissage. Ainsi, ils donnent une seconde vie aux fils. Petit à petit, des sacs se dessinent. L’artisanat a été intégré comme une activité d’humanisation des détenus.
Au quotidien, une cinquantaine de détenus de la Maison d’arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MAC-B) quittent leurs cellules pour investir des petits hangars de la cour de détention. Ils occupent ainsi leur temps libre. Paul* est incarcéré depuis sept ans. Pour lui, la confection des objets est un passe-temps. Cela lui permet de ne pas se tourner les pouces durant son séjour carcéral. Quelques mètres plus loin, un autre groupe de détenus est à la tâche. Les uns installés sur des bidons, les autres assis à même le sol, ou encore sur pieds, sous un soleil de plomb, ils transforment les fils en articles. Pour Diarra*, en attente de jugement depuis 2016, la confection d’objets est un divertissement. « Nous sommes en prison. Il n’y a pas de travail. C’est pourquoi, j’ai décidé d’apprendre à tisser les sacs et cela me permet de me débrouiller », fait-il comprendre, l’air enthousiaste. Outre la fabrication de sacs, de paniers…d’autres détenus ont opté pour la bijouterie.
Sources de revenus
Xavier*, quadragénaire, est passé maître dans la confection de bijoux. Autodidacte, il a tout appris en prison. Il transforme les anciennes pièces d’argent en bracelets, bagues, boucles d’oreilles… « J’ai appris ce métier en prison. A ma sortie, je peux l’exercer et arrêter le vol », affirme-t-il. Installé hors de la cour de détention, Abdou* a déjà purgé deux des cinq années de condamnation.
La trentaine, il s’est révélé être un artiste peintre hors pair, à la MAC-B. Ce talent, croit-il, est providentiel. « J’ai ce don depuis ma naissance, mais je ne l’avais jamais mis en pratique. Depuis mon incarcération, j’ai décidé de mettre mon génie créateur en application. Cela fait deux ans que je peins », déclare-t-il. Il décore à la main, des calebasses, des tableaux, tous exposés à la prison civile de Bobo-Dioulasso. Au sein de la MAC-B, il est le seul à s’intéresser à la peinture. Le jeune craint qu’après sa sortie de la prison, cette activité ne disparaisse à la MAC-B. Son souhait est alors de transmettre son savoir- faire aux plus jeunes avant sa libération. La peinture permet surtout à Abdou de se faire des sous. Les tableaux sont vendus entre 2 000 et 25 000 F CFA. Le prix de la calebasse décorative dépend de la taille. Elle est vendue au minimum à 2 000 F CFA. La commercialisation des objets artisanaux est d’un soutien financier « important » pour les pensionnaires de la MAC-B. « La vente des objets est source de revenus. Cela nous permet d’avoir de l’argent afin de subvenir à nos petits besoins », fait savoir Paul. Les prix des sacs de Diarra et ses compagnons varient en fonction des modèles. Ils vendent leurs produits entre 6 000 et 10 000 F CFA. Aujourd’hui, les pensionnaires de la MAC-B se disent heureux de « s’exprimer » ainsi lors de leur séjour en prison. Si l’artisanat en milieu carcéral semble rentable, économiquement, il rencontre d’énormes difficultés. Parmi elles, figure le manque de matières premières. Pour bon nombre de détenus, le manque de fils constitue le problème « majeur ». Le service de production pénitentiaire et de la formation professionnelle de la MAC-B dispose d’une boutique où les détenus « artisans » se ravitaillent régulièrement en matière première. Incarcéré pour une peine de dix ans, Lasso* est chargé de la gestion du bazar.
« Les fils sont vendus la douzaine à 3 000 F CFA, et les détails à 250 F le rouleau. Le fil le plus cher est vendu à 3 250 F CFA, mais cela est en rupture, même à l’extérieur.», fait-il savoir. Lasso joue sa réinsertion sociale. Celui-ci compte après sa sortie de prison, ouvrir une boutique. Les matières sont non seulement chères mais insuffisantes, se plaint Diarra. La peinture, les pièces de monnaie usées… sont des denrées rares en prison. Ce qui n’arrange pas la bonne marche du travail. « Il nous manque les moyens pour acquérir de la matière première, tels les fils, les tableaux, la peinture, la calebasse », soutient le responsable des arts et de la culture de la MAC-B, l’assistant de Garde de sécurité pénitentiaire (GSP), Daouda Traoré.
Changer le regard sur la prison
D’où son appel aux personnes de bonne volonté pour un accompagnement financier et technique. Pour l’« ami » des artisans, la prison est délaissée alors qu’elle est un lieu de transmission des savoirs. Les « artisans » de la Maison d’arrêt ont également relevé des problèmes d’écoulement des marchandises, à cause notamment des préjugés liés à la prison. « Les clients viennent souvent de l’extérieur pour faire les achats, mais beaucoup ont peur du caractère carcéral de la structure », déplore Abdou, l’artiste-peintre. Pour sa part, Salfou* regrette que la MAC-B ne dispose pas de centres de formation. Tous ceux qui exercent ces différents métiers l’ont appris sur le tas, en prison, informe le jeune, l’air déçu. Et de poursuivre : « L’apprentissage des métiers dans les maisons d’arrêt doit être bien organisé pour inciter les uns et les autres à s’y intéresser ». L’assistant Daouda Traoré est du même avis. Il estime que des ateliers de formation pourraient créer une chaîne de solidarité entre détenus. Les activités sont bien organisées, de l’acquisition de la matière première à la commercialisation des produits finis, foi de Daouda Traoré. En effet, l’assistant GSP rassure que le service de production pénitentiaire se charge de la commercialisation de tous les objets d’arts. « Tout d’abord, nous avions commencé l’exposition à l’interne. Chaque weekend, des parents rendent visite aux détenus et par la même occasion, contemplent leurs chefs-d’œuvre », explique Daouda Traoré. Grâce à certains parents de détenus, ajoute-t-il, les produits sont connus hors de la prison. La MAC-B facilite et soutient l’organisation de certains évènements dans l’enceinte de la prison, notamment le festival « Donner le sourire aux détenus », le festival « Un vent de liberté », la « Journée internationale Nelson Mandela », au cours desquels les objets sont donnés à voir.
A l’en croire, ces événements sont des opportunités pour promouvoir et vendre les créations des détenus. Le règlement pénitentiaire, précise le gardien de prison, n’autorise pas un détenu à posséder une grosse somme sur lui dans sa cellule. Pour les commandes de 25 000 F CFA et plus, l’acheteur est obligé de passer par l’administration pénitentiaire, dit le responsable des arts. Toujours dans le but de promouvoir les objets artisanaux des détenus, la MAC-B a pris part à la 19e édition de la Semaine nationale de la culture (SNC), à travers l’exposition-vente de ses produits. « La population était agréablement surprise de voir les objets fabriqués par les détenus », fait-il remarquer. Daouda Traoré souhaite que cette expérience soit réitérée. « Nous demandons de l’aide aux autorités, afin de nous permettre de participer au SIAO et pourquoi pas à l’international, cela pourrait valoriser aussi l’artisanat burkinabè », plaide l’assistant pénitentiaire.