L’Etat burkinabè a instauré une taxe dénommée: «Contribution financière en matière d’eau ». Des sociétés minières, grandes consommatrices de cette denrée, refusent cependant de s’acquitter de cette taxe. Alors que l’exploitation industrielle de l’or pollue l’eau dans plusieurs zones, sans aucune compensation. Enquête.
En ce mois de juillet 2019, les habitants de Essakane mine, tout comme ceux de Essakane village, deux localités situées à 25km de la commune rurale de Gorom- Gorom dans la province de l’Oudalan, région du Sahel, vaquent tranquillement à leurs occupations. Ils n’ont pas de difficultés à trouver l’eau pour abreuver leurs troupeaux de bœufs, de moutons ou de chèvres à satiété.
Le ciel a ouvert ses vannes sur cette partie aride du pays. Toutes les retenues d’eau sont pleines. Il n’en est pas toujours ainsi. En effet, pendant les périodes de canicule, l’eau se fait rare. Hommes et animaux se « disputent » cette denrée rare. « Ici, en saison des pluies, il n’y a pas de problème d’eau.
Mais au mois d’avril et de mai, nous partageons l’eau que nous devons boire avec le bétail. Nombre de pompes sont implantées grâce à IAMGOLD, mais elles connaissent des pannes récurrentes. Tu peux donner à boire au bétail et puis ta famille n’en a pas », confie un des membres du conseil villageois de développement, Mona Traoré.
Autre localité, autre réalité
La situation est tout autre à Sabcé, une commune rurale située dans la région du Centre- Nord, où l’eau est toujours disponible tout au long de l’année. Seulement, sa qualité pose problème. « Notre problème est que l’eau que nous consommons contient de l’arsenic. Lorsqu’on fore, on peut avoir de l’eau, mais elle est impropre à la consommation », déplore un ressortissant de cette commune, Ousséni Ouédraogo.
Nombre d’habitants accusent la mine d’or de Bissa Gold d’être à la base de cette situation. Consciente, la société tente de pallier la situation en envoyant des citernes d’eau potable pour alimenter la population. Toutefois, ce ravitaillement est ponctuel et dépend du bon vouloir de la mine, c’est-à-dire tous les dix jours, soit deux fois par jour. « Imaginez que la mine décide de ne plus ravitailler la commune en eau potable ou tout simplement qu’elle ferme, la population risque de mourir de soif », fait remarquer Ousséni Ouédraogo.
Les populations riveraines des mines souffrent le martyre pour s’approvisionner en eau potable, surtout quand elles doivent partager cette ressource avec des grands consommateurs comme les industriels. Pour autant, elles reconnaissent la pertinence de l’approche de la gestion intégrée de la ressource en eau mise en œuvre au Burkina Faso, en vue de concilier, au mieux, l’ensemble des usages pour le développement continu du pays, tout en préservant les besoins des générations futures.
Ainsi, dans le cadre de cette approche et au nom du principe du préleveur/payeur, la loi relative à la gestion de l’eau a institué une taxe parafiscale dénommée: Contribution financière en matière d’eau (CFE) ou taxe eau.
Pour le Secrétaire permanent (SP) de la gestion intégrée des ressources en eau (GIRE), Moustapha Congo, la CFE est une contribution citoyenne à la préservation et à la gestion des ressources en eau, qui concourt en même temps à la préservation des activités des préleveurs eux-mêmes.
«La loi cible spécifiquement les grands préleveurs, à savoir les industriels, les miniers, les Bâtiments et travaux publics (BTP) et les producteurs d’eau potable. Elle précise aussi que pour tous ceux qui prélèvent moins de 100 litres par jour et par personne ne sont pas soumis à la taxe. On considère les 100 litres par personne et par jour, le minimum vital pour chacun, car l’eau est un droit », explique-t-il.
Un front de refus
…sapent les initiatives des agences de l’eau à rendre cette denrée disponible pour la population et ses besoins.
En effet, la perception de la CFE du secrétariat permanent de la gestion intégrée des ressources en eau est partagée par la plupart des acteurs comme l’atteste Moustapha Congo. « Les sociétés nationales, malgré leur situation économique peu reluisante, s’acquittent de la taxe. Je citerai la BRAKINA, l’ONEA, Djirma, Dafani, Babali, la plupart des producteurs d’eau potable et les usines.
C’est aussi le cas de certaines sociétés minières qui déclarent les quantités d’eau qu’elles prélèvent et paient régulièrement la taxe de la CFE à l’agence de l’eau dont elles relèvent », dit-il. Les bons payeurs sont, selon M. Congo, sont Houndé Gold, Burkina mining company (BMC), Nantou Mining et d’autres petites sociétés. Pourtant, tous n’ont pas la même perception de la CFE. « Il y a de la résistance avec certaines sociétés étrangères qui paient pourtant dans les autres pays, mais refusent de payer au Burkina.
C’est le cas de certaines grandes sociétés minières qui, depuis cinq ans, sont toujours à l’avant-garde de la résistance au paiement de la taxe et veulent entraîner les autres dans leur refus à travers la Chambre des mines», déplore le secrétaire permanent de la GIRE. Il a dit garder l’espoir que ces derniers s’exécuteront, au regard des concertations qui se poursuivent sur la question. Qu’à cela ne tienne, les recherches ont permis d’identifier trois gros mauvais payeurs. Il s’agit de Bissa Gold, Iamgold Essakane et Semafo. Depuis l’entrée en vigueur de la taxe sur la CFE, ce trio n’a versé aucun copeck auprès des différentes agences de l’eau dont il relève.
Les arguments du refus
Après différentes tentatives et plusieurs mois d’attente pour avoir un rendez-vous avec la Chambre des mines du Burkina Faso, son directeur exécutif, Toussaint Bamouni, a bien voulu se prêter à nos questions concernant le refus de certains de leurs membres à s’acquitter de la contribution financière en matière d’eau. Pour lui, il convient d’évoquer plutôt les préoccupations des compagnies minières concernant la CFE.
Il ressort des échanges que la clause de stabilité fiscale concédée aux entreprises minières par le Code minier, qui vise à maintenir en l’état un certain nombre de taxes et d’impositions déterminé par le législateur et dont l’évolution causerait une imprévision significative dans le cours normal des opérations d’investissements, est l’un des arguments phares. « La loi créant la CFE date de 2009 et celle du décret d’application est de 2015.
Avant la création de la CFE, la plupart des sociétés minières opérant au Burkina Faso disposaient de conventions minières leur garantissant une stabilité fiscale de leur modèle économique et ce, pendant la durée de la convention. Cela veut dire que l’Etat s’est engagé à ce qu’aucune nouvelle taxe ou impôt ne s’applique à ces sociétés dont les conventions minières datent d’avant 2009 », explique-t-il.
Par ailleurs selon M. Bamouni, le taux de la taxe à savoir 125 FCFA pour cinq barriques d’eau prélevées et les investissements réalisés par les compagnies pour le stockage ou le pompage de l’eau par les miniers revient aussi comme des préoccupations à leur niveau. « Il est important de noter, les différentes initiatives menées en appui à l’état burkinabè par la mine parfois seule ou en partenariat avec différents organismes pour résoudre les problèmes d’accès à l’eau pour les populations du Sahel », souligne le coordonnateur des communications externes de IAMGOLG Essakane SA, Mohamed Ag Ibrahim.
La riposte de l’administration
« Il faut considérer que la CFE contribue en même temps à la préservation des activités des préleveurs eux-mêmes », clame le SP /GIRE, Moustapha Congo.
Les griefs soulevés sont battus en brèche aussi bien par les représentants de l’administration que ceux de la société civile. Ainsi, pour le SP de la GIRE, l’argument de la clause de stabilité fiscale pour se soustraire à la taxe n’est pas valable. En effet, il relève que c’est la loi d’orientation relative à la gestion de l’eau qui a institué la taxe de 2001. « Même, si ses textes d’application ont été pris en 2011, on ne peut pas évoquer l’antériorité de la clause de stabilité fiscale comme motif.
Ce, d’autant plus que les différents Codes miniers (ndlr : 2003,2015) citent cette loi », soutient Moustapha Congo. Le chargé des programmes de l’ONG Orcade, Jonas Hien, estime que la clause de stabilité fiscale est un non-sens. «Cette clause nous vient des investisseurs eux-mêmes. C’est eux qui ont fixé les règles, mais vous pensez qu’ils vont parler des conditions qui ne sont pas à leur avantage ?
Qui sait ce qui va se passer d’ici à 10 ou 15 ans et un Etat accepte de conclure une entente pour 20 ou 30 ans. Pour nous, on ne peut pas discuter de ces questions, là où la vie des populations est compromise», martèle-t-il. Le juriste-expert en législation et gouvernance environnementale, Firmin Ouédraogo, insiste également sur l’invalidité de cet argument. Il fait remarquer que l’article 93 du Code minier de 2003 et l’article 169 alinéa 2 du Code de 2015 précisent chacun, la liste des impôts concernés par la clause de stabilité fiscale et la CFE n’y figure pas.
En outre, selon lui, chacun de ces codes enlèvent du champ d’application de la stabilité fiscale, les règles générales relevant d’autres lois de portée générale comme la loi d’orientation relative à la gestion de l’eau de février 2001. « Du reste, la stabilité fiscale n’est pas applicable aux règles qui intéressent la protection et la gestion de l’environnement », ajoute le juriste. Concernant le taux de la taxe jugé élevé, Jonas Hien préconise de se conformer au montant prévu par la loi.
« Comme la loi ne l’a pas prévu, la conséquence est qu’exonérer les sociétés minières du paiement de la taxe, équivaut à prendre des mesures qui vont entraîner des pertes d’argent à l’Etat », dit-il. L’expert de l’environnement poursuit que le taux actuel de 125 F CFA/m3 d’eau est en fait le fruit d’une concertation avec les opérateurs miniers. Il s’avère que le décret portant fixation des taux et des modalités de recouvrement de la CFE qui fixait le taux à 200 FCFA pour les industriels et le secteur minier, a été relu sous la Transition en 2015 au taux actuel.
Il fait remarquer par ailleurs que le système de paiement de la CFE prévoit que l’entreprise déclare, elle-même, les quantités d’eau qu’elle a consommées. L’agence de l’eau se contentant de calculer le montant dû en fonction des quantités déclarées. Elle ne dispose d’aucune mesure pour vérifier si les quantités déclarées ont été minorées. Le SP de la GIRE soutient qu’aucune société n’a été taxée à coup de milliards F CFA. Le montant des arriérés au titre de la CFE qui se chiffrait à 9 milliards F CFA en 2018 représente pour M. Congo, le cumul de leurs arriérés depuis 2011.
L’argument de la responsabilité sociale des entreprises minières est, quant à lui, taxé de faux-fuyant. « Je n’ai jamais vu un pays où faire du social dispense de respecter la réglementation. Sinon, n’importe quel commerçant pourra avancer qu’il fait de l’aumône et ne peut pas remplir ses obligations légales», tranche Moustapha Congo. Firmin Ouédraogo soutient à ce propos qu’on ne saurait demander une exonération de la taxe CFE, parce que les populations riveraines s’approvisionnent dans les barrages construits par les firmes. Selon la loi, nul ne peut être propriétaire de l’eau.
Selon Toussaint Bamouni, la Chambre des mines sollicite un moratoire sur les procédures de recouvrement forcé à l’encontre des sociétés minières.
Elle précise que seule la digue peut être revendiquée. En principe, les entreprises ayant réalisé des infrastructures hydrauliques, conformément à la loi devraient payer une taxe pour avoir modifié le régime de l’eau, mais faute de texte d’application, cette taxe n’est pas encore en vigueur. Selon le journal L’Economiste du Faso, dans sa parution n°308 du lundi 22 juillet 2019, le gouvernement a décidé que toutes les sociétés minières s’acquittent de leur taxe même si, le recouvrement doit se faire au contentieux.
«Le gouvernement a décidé de siffler la fin de la recréation en recommandant, le paiement de la CFE par les sociétés minières…En attendant, il a été demandé aux agents comptables dans les différentes agences de l’eau de dérouler toute la procédure règlementaire. Mieux, ceux-ci ont émis des avis à tiers sur l’ensemble des mines et la procédure va aller jusqu’aux contentieux pour celles qui refuseraient de payer la CFE…A défaut, l’Etat sera obligé de les attraire en justice », lit-on dans ladite parution.