Bourzanga dans la province du Bam est une des communes fortement prises dans la tourmente des attaques terroristes.
Avec ces 27 000 déplacés internes elle a vu une vingtaine de ses villages se vider de ces populations qui se sont retrouvées sur deux sites notamment au chef-lieu de la commune Bourzanga et dans la deuxième plus grande localité, Namssiguia.
Malheureusement la fréquence des attaques ces derniers jours accroît le flux des déplacés et augmente le nombre de villages désertés. Que faire pour arrêter cette hémorragie ? Comment prendre en charge les milliers de personnes qui ont tout laissé derrière eux pour se sauver la vie? Ce sont autant de défis qui se présentent aux autorités. Le plus urgent est d’enrailler les attaques qui se poursuivent.
C’est pourquoi le maire Dieudonné Badini dans les lignes qui suivent lance un véritable cri du cœur pour le renforcement du dispositif sécuritaire par un détachement à Namssiguia comme l’opération Dofu qui avait ramené la quiétude dans la zone.
Présentez-nous la commune dont vous êtes le maire.
La commune de Bourzanga est située sur l’axe Ouaga-Djibo pratiquement à cent cinquante kilomètres de Ouagadougou et pas très loin du Soum. Elle est limitée à l’est par les communes de Dablo, de Namssiguia, à l’ouest par les communes de Rollo, au nord par Djibo et au sud par les communes de Zimtenga et de Kongoussi. C’est la plus grande commune rurale de la province du Bam avec 83 villages et 66 000 âmes.
Depuis quand votre commune est-elle prise dans la tourmente terroriste ?
Nous avons connu nos premières attaques terroristes en 2017, et depuis lors, c’est un nombre impressionnant d’attaques chaque année. En 2018, c’était des attaques sporadiques dans certains villages. Mais en 2019, pratiquement il n’y a pas eu une semaine sans attaque dans l’un ou l’autre de nos villages. Il y a eu beaucoup de morts, d’enlèvements de personnes, de destructions de biens, de pillages et de vols de bétails.
Lorsque nous faisons le point des déplacés en juillet 2019 nous étions à peu près à huit mille sept cents (8 700) dans la commune. En août, on en est passé à dix-huit mille cent soixante (18 160).
Aujourd’hui, avant même mi-septembre nous sommes à autour de vingt-quatre mille (24 000) déplacés. Et parmi ces 24 mille déplacés, il y a trois mille trois cent soixante-deux élèves. Les deux localités de réfugiés, séparées seulement de 20 km sur l’axe Ouaga-Djibo, sont Bourzanga, où nous avons plus de 18 000 déplacés, et Namssiguia plus de 6 000.
Quelles sont les localités qui se sont vidées complètement de leurs populations au sein de votre commune ?
Certains déplacés sont venus d’autres communes, lesquelles sont principalement : Gaslbango, Naregué, Hallalé, Windindaérais et Gaselkoli. Nous avons enregistré des populations de vingt-cinq villages de notre commune qui ont rejoint ces deux localités : ce sont, entre autres, Selnoré, Kourao Alamini, Ankiri, Félinga, Zana, Namassa.
Lorsque les terroristes arrivent, ils leur disent de quitter le village parce qu’ils ne veulent y voir personne. Lorsqu’ils reviennent et qu’ils vous trouvent, ils vous tuent. Au départ ils disaient que les femmes ne doivent pas cultiver, mais par la suite ils se sont opposés à toute activité agricole. Quand les habitants quittent leurs villages, ils ne peuvent pas y retourner chercher leurs biens. Il y en a qui sont repartis pour prendre leurs vivres et ils ont été tués. Je connais des membres d’une famille qui ont été victimes. Ils sont repartis et les terroristes les ont surpris en train de vider les vivres, ils les ont égorgés. Leur message est clair : vous quittez pour de bon et nous sommes désormais maîtres des lieux avec tout ce que vous aviez acquis. A Abra, on a égorgé des gens parce qu’ils étaient partis voir leurs semis. Devant un père ils ont égorgé son fils et son petit frère. Ils lui ont dit : on ne veut plus vous voir ici. Désormais ici, c’est pour nous ! C’est dire à quel point c’est vraiment atroce. Si bien que personne ne veut encore y repartir. Et généralement quand ils s’en vont, ils abandonnent tout. Pas de nourriture, pas de vêtements, pas d’argent…
Comment gérez- vous les besoins vitaux de ces déplacés qui arrivent sans rien ?
Quand ils arrivent, il faut leur trouver un toit d’abord. La commune a pris contact avec les autorités de l’enseignement pour qu’on mette à leur disposition les écoles et les lycées. Ensuite, nous avons demandé aux populations ainsi qu’à ceux qui ont des maisons inhabitées de les mettre à la disposition des déplacés. Aujourd’hui tout local habitable à Bourzanga comme à Namssiguia est occupé. Beaucoup dorment à la belle étoile. Lorsqu’il pleut, ils essaient de s’abriter comme ils peuvent. Il y a aussi des bonnes volontés comme la mission catholique qui ont mis à la disposition de la commune des bâtiments. Tous les bâtiments administratifs, des coopératives ont été réquisitionnés.
Pour l’alimentation, les premiers déplacés ont bénéficié de la bonne volonté des populations. Mais à un moment donné, elles n’en pouvaient plus. Nous avons commencé à lancer un SOS et il y a eu des organisations humanitaires qui nous ont apporté de l’aide. Moi-même en tant que maire, j’ai fait le premier le geste avec cinq tonnes de vivres. Des ressortissants de la commune se sont organisés pour apporter également de l’aide. La CONASUR nous a apporté un soutien de trente-quatre tonnes de vivres. Il y a des échos favorables. Mais c’est loin de satisfaire les besoins. Avec la période qui suit, nous aurons beaucoup de problèmes surtout que des déplacés continuent de déferler dans la commune. Nous continuons d’appeler à l’aide toutes les personnes qui peuvent nous apporter du soutien.
On nous a annoncés hier (ndlr : 11 septembre) qu’il y a des gens qui ont quitté Félenga, Zanna et qui remontent vers Bourzanga. Sur le deuxième site qu’est Namssiguia l’inquiétude se lit sur tous les visages, car la localité est en permanence sous menace.
Pourquoi ce sentiment d’insécurité à Namssiguia ?
Cette localité qui réunit les milliers de déplacés a une gendarmerie mais l’augmentation brusque de la population et la pression permanente sur les villages environnants ne lui facilitent pas la tâche. Dans le cadre de l’opération Dofu on avait un détachement à Namssiguia qui avait permis de stabiliser la situation et de réduire le mouvement de terroristes dans la zone. Cela s’était traduit par la diminution considérable des attaques. Malheureusement on n’a pas su pour quelle raison ce détachement de Namssiguia, qui était un rempart, a été levé à la veille de la Tabaski. Cela s’est traduit par une attaque à Namssiguia la nuit qui a suivi, et depuis lors les localités environnantes sont désertées les unes après les autres, accroissant ainsi le nombre de déplacés. Les terroristes n’hésitent même pas à le dire : vos protecteurs sont repartis. Nous nous sommes là. Si aujourd’hui il y a pratiquement tous les deux jours une attaque dans les environs de Namssiguia, cela est dû au départ de cet détachement. Nous demandons aux autorités de tout faire pour qu’il revienne ou en tout cas de mettre en place une base solide pour barrer la route aux envahisseurs. Si rien n’est fait sans délai nous craignons le pire à Namssiguia ; aucune autre localité ne peut recevoir le monde qui s’y trouve.
A la veille de la rentrée scolaire, quelle est la situation des élèves ?
On a plus de trois mille élèves déplacés qui sont logés avec d’autres dans les écoles. Il faut d’abord résoudre le premier problème qui est de libérer les écoles pour les élèves. Concernant ce cas, l’Etat nous a donné des tentes pour libérer les classes. Ensuite, il faut trouver la solution au problème des élèves déplacés. Nous avons rencontré une ONG à qui nous avons fait le point de nos besoins en la matière. Pour le moment rien n’est précis.
En dehors des questions déjà évoquées, y aurait-il d’autres problèmes liés à la situation terroriste ?
En plus des problèmes de sécurité, d’alimentation, d’hébergement et des scolaires, il y a celui de la santé. Avec l’insécurité, il n’y a que quelques agents qui sont là mais ne peuvent plus prendre en charge les besoins de tout ce monde qui est entassé dans ces deux localités de la commune.
En plus il y a le problème de la communication. Depuis un certain temps, on ne peut plus joindre quelqu’un à Namssiguia ou à Bourzanga. Pour donner l’information ou recevoir de l’information c’est compliqué. Les téléphonies mobiles ne marchent pas bien.
Nous savons que les autorités ne dorment pas mais nous les encourageons à redoubler d’effort et surtout à prendre en compte nos observations pour qu’ensemble nous puissions gagner ce combat et mettre fin au drame qui se joue.