Considérée jadis comme une affaire de jeunes filles, la prostitution est en passe de changer de visage. Dans la ville de Ouagadougou, ce sont des femmes, mères de plusieurs enfants et affectueusement appelées ‘’ tanties choco ’’, qui sont devenues les cibles privilégiées des hommes.
Il est minuit. Assises sur des chaises au BP, un bar de Ouagadougou, certaines d’entre elles sont des femmes mariées, d’autres des divorcées ou encore des veuves. Burkinabè comme expatriées, elles sont nombreuses qui font de la prostitution leur gagne-pain dans la capitale burkinabè. MCD, la quarantaine bien sonnée, de nationalité togolaise, raconte: « J’ai commencé ce travail en début mars 2019. J’ai eu un problème avec une banque dans mon pays natal pour une raison d’insolvabilité d’un montant de 400 mille FCFA. J’avais pris le crédit pour mon frère avec qui nous travaillions.
Malheureusement, il a été braqué par des individus au cours d’un voyage et a perdu la vie. Sa mort a bouleversé ma vie et l’entreprise était sur le point de péricliter ». A l’entendre, elle n’est plus une jeune fille pour servir dans les bars à quinze mille ou vingt mille francs CFA le mois. Une somme qui ne lui permet pas de rembourser ses dettes avant l’échéance. C’est sa sœur au Togo qui lui a promis un travail décent au Burkina Faso. Aujourd’hui, elle se dit surprise de se retrouver dans le plus vieux métier du monde. Elle relate que c’est grâce à la prostitution au pays des Hommes intègres que sa sœur, engluée dans une affaire de trois millions avec sa banque, a pu rembourser sa dette, puis regagner son pays et son mari.
Selon des témoignages de A.O, une Burkinabè, des problèmes sociaux l’ont poussé dans cette sale besogne. « Je me suis lancée dans la prostitution six mois à peine après le décès de mon mari. J’ai perdu mon père très tôt et je vivais avec ma mère en Côte d’ivoire. Quand mon mari ivoirien est décédé, j’ai fui avec les enfants, de peur que ses pa-rents me les retirent et m’abandonnent », confie-t-elle. En outre, cette dame de 38 ans et ses collègues disent être frappées par des maux sociaux.
Habillées décemment et assises en groupes sur des chaises du bar, leurs lèvres noircies par la cigarette, elles se taquinent avec des expressions qui font rigoler : « les hommes sont fatigués de coucher avec nous. Ils ont besoin des jeunes filles » ou « les hommes veulent ce qui est gratuit et pourtant nous entretenons nos sexes avec ce que nous gagnons », etc. De passage, le bruit de chewingum se fait entendre sur leurs lèvres.
Certaines d’entre elles se méfient de répondre à nos questions. Mais B.O, une des professionnelles de sexe, de nationalité burkinabè nous livre sa mésaventure : « Je vivais avec un homme. Nous avons eu trois enfants. A un moment donné, il était insupportable. Il me frappait tous les jours. Je n’en pouvais plus. Je suis revenue chez mon père, mes gosses avec», déclare-t-elle.
Des précautions à prendre
Conscientes de leur âge avancé, les ‘‘tantie choco’’ se soucient de certaines ma-ladies lors des rapports
sexuels. Pour ce faire, elles disent consulter chaque deux semaines des agents de santé. « Nous ne faisons pas des rapports sexuels sans préservatif. Si un homme fait sciemment et le préservatif s’éclate, nous le condamnons dans la chambre jusqu’à ce que les examens soient faits.
Il y a des hommes qui nous proposent de faire l’amour sans protection. Nous n’acceptons pas car si la personne est ma-ladive, elle va nous contaminer. Mais, si c’est nous qui le sommes, l’homme peut facilement infester sa femme; chose que nous déplorons», explique MCD.
Les clients des ‘‘’tantie choco’’ sont généralement des hommes mariés. La professionnelle du sexe précise que les jeunes de moins de 22 ans ne sont pas autorisés à coucher avec elle parce que n’ayant pas l’âge de son fils aîné.
Quant à A.O, elle affirme que les hommes sont capables de tout. Selon elle, nombreuses sont ses collègues qui ont été enceintées dans les chambres de passe.
« Un rapport sexuel qui se fait avec contrainte ne donne aucune satisfaction à la femme », lance-t-elle.
Pourtant, les clients de ces dames s’en réjouissent. Selon un habitué du lieu, croisé tout juste à sa sortie de la chambre de passe, il a laissé croire qu’il y vient pendant les périodes difficiles d’avec sa femme. Il dit se sentir à l’aise chez les femmes par rapport aux jeunes filles qu’il qualifie d’enfants.
Autres activités dans la journée
Les ‘’tantie choco’’ ne font pas uniquement de la prostitution. Elles exercent par ailleurs d’autres activités dans la journée.
Veuve et mère de deux enfants, MCD est une couturière dans son pays natal, le Togo. Devenue une professionnelle de sexe depuis son arrivée au Burkina, la dame ne passe pas toute sa journée dans le sommeil à cause de son activité nocturne.
« Dans la journée, je vends des pagnes, des sacs à main et d’autres articles pour femme. La plupart de mes collègues payent mes produits », confie-t-elle. Et d’ajouter qu’avec la prostitution et son petit commerce, elle a pu payer les frais de scolarité de ses enfants dont 650 mille F CFA pour l’aîné qui poursuit ses études supérieures et 280 mille F CFA pour la benjamine qui fait de l’informatique sa passion. De plus, elle compte rembourser les dettes de la banque.
Quant à son homologue de chambre, A.O., ses deux enfants sont dans des écoles privées dont les frais de scolarité sont relativement onéreux. En dehors de son activité de nuit, elle évolue dans la coiffure. « Mon premier enfant va à la conquête du BEPC l’année prochaine et le deuxième fait la classe de CP2. Les frais de scolarité s’élèvent à 120 mille FCFA pour le premier et 55 mille FCFA pour le second », détaille-t-elle.
Malgré les problèmes sociaux, à l’origine de la séparation avec leurs femmes, certains hommes continuent de prendre en charge leurs enfants. « Mes trois enfants sont à l’école et c’est leur papa qui assure les frais de scolarité », confie B.O.
Les ‘‘ tantie choco’’ ne veulent pas voir leurs filles leur emboîter le pas dans le métier de travailleuses de sexe. Par conséquent, elles invitent toutes les jeunes filles à se consacrer à leurs études afin de se donner la chance d’avoir un bon travail qui va leur permettre de venir en aide à leurs parents.