L’ancien président zimbabwéen, Robert Mugabe, qui a dirigé le pays d’une main de fer pendant 37 ans (de 1980 à 2017), est décédé à l’âge de 95 ans, à Singapour. L’annonce a été officiellement faite, très tôt dans la matinée du vendredi 6 septembre 2019, par son successeur, Emmerson Mnangagwa. « Icône de la libération du Zimbabwe »,
« panafricain », les qua-lificatifs ne manquent pas dans les hommages consécutifs à ce « nuage noir qui a enveloppé le Zimbabwe et bien au-delà ».
Celui qui a pris les rênes de l’ex-Rhodésie, devenue indépendante, en 1980, a, jusque-là battu tous les records de longévité au pouvoir sur un continent africain, qui a la légendaire réputation des règnes sans fin. Un petit rappel historique : cet instituteur, né en 1924 dans une famille pauvre, apprendra le marxisme avec des membres de l’ANC (Congrès national africain), le parti anti-apartheid de Nelson Mandela, lors de ses études en Afrique du Sud, avant d’intégrer dans les années 1960, l’Union nationale du Zimbabwe (ZANU) contre le régime blanc et raciste de Ian Smith.
Après 10 ans de prison, il se réfugie en 1973 au Mozambique, où il continue à consolider son influence sur la ZANU. Il prend la tête de la Zanla, la branche militaire de la ZANU, et continue la guérilla contre le gouvernement. En 1980, après les accords de Lancaster, qui conduiront à l’indépendance de la Rhodésie, le « Camarade Bob », comme l’appelaient ses compagnons de lutte, qui n’avait rien perdu de sa foi marxiste, devient Premier ministre et accède au statut de héros national.
C’est donc peu dire que de soutenir que l’histoire du Zimbawe est liée au nom du « camarade Bob ». Accueilli en libérateur en 1980, sa politique de réconciliation, au nom de l’unité du pays, lui a valu des louanges générales, notamment dans les capitales étrangères. Mais rapidement, le héros se perd dans une dérive autoritaire et le régime se durcit contre ses opposants, le tout, couronné par les fraudes électorales et surtout la violente réforme agraire lancée en 2000.
D’abord, dès 1982, « Bob » envoie l’armée dans la province «dissidente» du Mata-beleland (sud-ouest), terre des Ndebele et de son ancien allié pendant la guerre, Joshua Nkomo. Au bilan, cette répression sanglante a fait environ 20 000 morts. Robert Mugabe vivant l’amour parfait avec l’Occident et principalement la Grande Bretagne, ces affres sont passées inaperçues, parce qu’il était à la tête d’un Etat riche, « le grenier à blé de l’Afrique australe ». L’économie du pays, baptisé Zimbabwe, au beau fixe, Mugabe couronne son « tableau » avec un record alors jamais égalé de 90 % de la population qui sait lire et écrire.
Le déclin
Dix ans après le massacre, le héros anticolonial est anobli par la monarchie britannique, mais le titre lui sera retiré en 2008 par la reine Elizabeth. Dans les années 1990, frappé par plusieurs sécheresses, le grenier à blé du continent se porte beaucoup moins bien. La grogne sociale gagne du terrain, l’opposition aussi, soutenue par la nouvelle génération. Le régime de Mugabe, menacé, se lance dans une vaste répression. Des journalistes et militants sont emprisonnés.
Il faudra attendre les années 2000 pour que l’idylle s’achève. Affaibli politiquement, déstabilisé par ses compagnons d’armes de la guerre d’indépendance, Robert Mugabe décide de leur donner du grain à moudre en les lâchant contre les fermiers blancs, qui dé-tiennent toujours l’essentiel des terres du pays. Des centaines de milliers de Noirs deviennent propriétaires, mais au prix de violences qui contraignent la plupart des
4 500 fermiers blancs à quitter le pays.
La réforme précipite l’effondrement d’une économie déjà à la peine. Les liquidités manquent et 90% des Zimbabwéens sont au chômage. Le petit homme à la fine moustache et aux épaisses lunettes, qui incarnait la réussite d’une Afrique indépendante, rejoint alors définitivement le rang des parias de la scène internationale. En 2013, il est réélu pour une dernière fois au terme d’un scrutin controversé.
En fin 2017, à la suite d’un coup de force de l’armée soutenu par son parti, la ZANU-PF, le plus vieux chef de l’Etat en exercice de la planète à l’époque, est alors contraint de démissionner. Il laisse un pays englué dans une profonde crise économique qui ne cesse aujourd’hui d’empirer.
Robert Mugabe a alors été remplacé à la tête du pays par son ancien vice-président, Emmerson Mnangagwa, qu’il avait limogé peu de temps auparavant, en perspective d’un positionnement de son épouse, Grâce, pour lui succéder au pouvoir.
D’abord héros, Mugabe quitte donc le pouvoir sur la pointe des pieds, devenu « zéro », pour s’éteindre deux ans après. Mais l’histoire retiendra de lui, l’image d’un anticolonialiste avéré, toutefois travesti par le pouvoir.