Quand le peuple se met à douter de ses gouvernants, cela devient très inquiétant. Or c’est ce qui est en passe d’arriver au Burkina, dans l’affaire Romuald Tuina, du nom de ce soldat qui aurait attenté à la vie du président et qui aurait été abattu. Jusqu’à ce jour, l’opinion publique est traversée par des doutes. La thèse servie par le pouvoir continue de laisser perplexe. Cette situation mine davantage la confiance entre gouvernants et gouvernés. En effet, depuis le début, l’incident est entouré d’un halo de flou qui ne peut que décontenancer le grand public. La gestion de cette affaire semble avoir été faite de façon spéciale, sans tenir compte des procédures en matière d’atteinte à la sécurité de l’Etat, comme cela se doit dans un Etat de droit. La présidence du Faso est une Institution de la république qui devrait être, comme les autres, soumise aux mêmes règles de transparence. Elle ne constitue pas, en principe, un monde à part, une institution créée ex nihilo. Il doit y avoir des normes claires de gestion de l’institution , dans tous les domaines, y compris sécuritaires. Car le chef de l’Etat a aussi un devoir d’imputabilité sur toutes ces questions. Le peuple, qui l’a mandaté, a le droit de savoir pourquoi et comment un incident aussi grave a pu se passer au palais présidentiel, quelles sont les dispositions de droit qui ont été prises pour gérer l’affaire, et quelles mesures sont envisagées pour éviter de tels dysfonctionnements à l’avenir. Tout cela suppose donc une enquête en bonne et due forme menée par les services compétents, et une juste information du public. Certes, il ne s’agit pas de tout dévoiler -rien que pour les besoins de l’enquête une certaine discrétion est parfois nécessaire- mais il ne faut pas non plus verser dans la désinformation. Au Burkina, on cultive à tout bout de champ le secret dans tout ce qui concerne la présidence du Faso. Cette façon de faire a son revers, celui de couper le président du peuple et, pire, de créer un climat de méfiance entre eux. Ce qui est le comble de l’absurdité, quand on sait que gouverner, c’est d’abord avoir la confiance des électeurs. Or, malheureusement, le Burkina est en plein dans cette défiance réciproque. L’équation est pourtant simple : ou nous sommes dans un Etat de droit avec toutes ses exigences de transparence et tout le monde, même le président du Faso, s’y plie, ou nous n’y sommes pas. Il faudra donc que le pouvoir se résolve enfin à inscrire l’information, sans tabou, sur tous les sujets, dans son mode de gouvernance.
A sa décharge, le pouvoir de la IVe République n’avait pas jusqu’à présent une opposition capable de lui faire respecter toute la transparence requise dans la gestion des affaires de l’Etat. De même, la société civile a été relativement faible et n’a donc pas pu peser d’un poids efficace sur la marche des affaires publiques. La plupart des réformes engagées par le pouvoir l’ont été suite à des événements incontrôlés, comme la mort de Norbert Zongo en 1998 et les émeutes de 2011. Mais avec l’avènement de Zéphirin Diabré, comme chef de file de l’opposition, la donne a légèrement changé. Le pouvoir peut reculer sous la pression de manifestations impulsées par l’opposition. Toutefois, le substrat du régime demeure foncièrement le même, celui de la culture du secret, de l’érection de la présidence du Faso en tour d’ivoire, de l’organisation non consensuelle de la sécurité d’Etat. Sur ce dernier point en effet, on a souvenance du rapport du Collège des sages, recommandant que la sécurité du président, comme des autres hautes personnalités de l’Etat, soit assurée par la gendarmerie et la police en ces termes : « organiser la protection républicaine du chef de l’Etat par la Gendarmerie et la Police». C’est une exigence républicaine qui n’a pas été prise en compte. Après les graves incidents du 30 août dernier, on voit bien que le Collège des sages avait vu juste. La sécurité du chef de l’Etat doit être prise dans le sens global du fonctionnement des institutions de la République. Si l’on s’en tient à la version officielle de l’affaire Romuald Tuina, il est évident que le temps est venu pour la Nation de répondre à cette question : quelle sécurité pour le chef de l’Etat? Une question qui va au-delà des individus, pour interroger la fonction hautement régalienne qu’est celle du président du Faso. Car si l’on continue dans ce système opaque, on donne libre cours à toutes les dérives et à tous les risques pour le pays dans son ensemble.