Les débats contradictoires de même que les plaidoiries des différentes parties au procès du putsch manqué de septembre 2015 au Burkina Faso, ont été clos vendredi dernier au tribunal militaire de Ouagadougou, avec une ultime charge de la défense contre ce qu’elle qualifie de contre-vérités du parquet militaire qui n’aurait rien trouvé de probant ou de compromettant contre ses clients. Elle a donc brocardé le « vide sidéral » du dossier de l’accusation, et a demandé subséquemment, la relaxe de la plupart des accusés pour infraction non constituée.
Vont-ils être entendus par le président de la Chambre de jugement du tribunal militaire et ses juges accesseurs ? Rien n’est moins sûr, car les faits reprochés à leurs clients sont suffisamment graves. Mais comme c’est aux membres du tribunal de s’interroger, dans le silence et dans la sincérité de leur conscience, sur la pertinence des preuves rapportées contre chaque accusé et les moyens de sa défense, on attendra jusqu’au 02 septembre prochain pour connaître le sort de chacun des 84 accusés dans cette retentissante affaire de tentative de coup d’Etat de septembre 2015 qui avait fait 14 morts et 270 blessés.
La Chambre criminelle s’est, en effet, donné une semaine pour plancher sur les arguments des uns et des autres contradictoirement débattus à la barre pendant ces 18 mois d’instruction, avant de prononcer le verdict tant attendu probablement dès le début de la semaine prochaine. Certains accusés seront, au terme des délibérations, peut-être acquittés, d’autres certainement condamnés, mais l’essentiel pour tous est que le droit soit dit à l’issue de ce procès fleuve, qui ne finira pas pour autant de tenir le pays en haleine d’autant qu’il est certain que les condamnés se pourvoiront en cassation. Dans tous les cas, la tenue de ce procès à multiples rebondissements, est déjà une bonne chose en soi dans ce Burkina Faso où on avait l’habitude de voir des personnes supposément impliquées dans des tentatives de coups d’Etat, jugées à la hussarde et passées par les armes sans avoir jamais eu droit à un procès équitable.
Les Burkinabè ont une longue tradition de cohésion sociale
Ces méthodes inhumaines et expéditives sont fort heureusement bien loin derrière nous, et cela est à mettre au crédit de l’ensemble des Burkinabè qui ont œuvré au retour de l’Etat de droit et à l’avènement d’une Justice indépendante. Le procès en cours en est une parfaite illustration et au-delà des condamnations et des réparations des préjudices, c’est le fait qu’il pourrait permettre à notre pays de tourner définitivement le dos à l’immixtion intempestive de l’Armée dans le jeu politique qu’il faut retenir et saluer. On peut, en effet, espérer au terme de ces 18 mois d’instruction à la barre, qui ont révélé des fissures et des dysfonctionnements énormes au sein de notre Grande muette, que notre armée reste désormais dans ses casernes et deviendra définitivement républicaine en se mettant résolument au service du politique et non le contraire, comme on l’avait malheureusement vécu dans notre pays pendant des décennies.
Ce feuilleton judiciaire aura été une véritable catharsis si, de l’homme du rang à l’officier supérieur, on prend conscience du fait que la prise du pouvoir par la force est désormais passée de mode, et passible de lourdes peines qui détruiront fatalement des carrières et peut-être même des vies. C’est ce qui semble être le cas chez tous ces éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) qui sont dans le box des accusés, du moins si l’on en juge par leur demande de pardon adressée au peuple et aux victimes, et par leur contrition publique. Tous ces faits et gestes n’absoudront pas évidemment les auteurs des crimes monstrueux qui ont été commis, car ils devront subir pour cela la rigueur de la loi.
Pour autant, il ne faudrait pas avoir la rancune tenace ; sans doute la Nation leur pardonnera-t-elle leurs moments d’égarement et leur folie meurtrière qui ont endeuillé plusieurs familles dans notre pays. Cela ne sera peut-être pas aussi simple à comprendre et à accepter du côté des victimes, mais si c’est le prix à payer pour ouvrir les portes de la réconciliation nationale dans le contexte actuel où le Burkina Faso a besoin de tous ses fils pour faire face au péril du terrorisme, pourquoi pas ? Après tout, beaucoup de Rwandais qui ont connu les pires atrocités lors du génocide de 1994 ont dû faire contre mauvaise fortune bon cœur pour remettre leur pays à flots. C’est connu, les Burkinabè ont une longue tradition de cohésion sociale. Peut-être sauront-ils consentir ce sacrifice.
Mais pour y arriver, il faudra gommer les frustrations diverses nées des derniers soubresauts politiques dans notre pays, en ne donnant pas l’impression qu’on a plutôt affaire au Burkina Faso, à une justice à géométrie variable, qui s’acharne sur des lampistes et laisse filer les vrais coupables, simplement parce qu’ils sont du côté du manche. Les procès qui sont déjà annoncés pourront accélérer ou parachever le processus de réconciliation si le droit est dit, notamment dans les dossiers de l’insurrection populaire, de l’assassinat de Thomas Sankara, Dabo Boukari et Norbert Zongo, pour ne citer que les plus emblématiques.