« Burkina : Faut-il négocier avec les terroristes ? »Cette question ne doit point être tabou. Il faut courageusement poser le débat sur la table et y trouver une réponse et une stratégie adéquate. En matière de lutte contre le terrorisme, l’approche doit être multidimensionnelle. Les opérations militaires n’excluent pas l’action diplomatique pour faire face aux problèmes sécuritaires. Les grandes puissances elles-mêmes finissent souvent par négocier. Pourquoi le Burkina Faso dérogerait-il à la règle? La question reste entière. Lors du dialogue politique initié par le Président du Faso du 15 au 22 juillet dernier, les différents acteurs ont donné quitus à Roch KABORE pour enclencher les négociations. L’idée en elle-même n’est pas mauvaise. La véritable prouesse consistera à l’opérationnaliser et à parvenir surtout à des résultats probants face à des individus non encore clairement identifiés, dont les revendications demeurent méconnues et qui ne connaissent que le langage de la gâchette. Jusqu’à quel point le Burkina Faso est-il prêt au compromis sans prendre le risque de tomber dans la compromission ?
Sur le plan sécuritaire, les participants au dialogue politique recommandent aux autorités actuelles de « faire usage des moyens diplomatiques en faisant recours à des personnes expérimentées en complément des autres moyens de lutte ». La recommandation est formulée de façon sibylline. Mais une lecture entre les lignes laisse percevoir clairement que les acteurs politiques sont favorables aux pourparlers avec les terroristes. Si les attaques terroristes sont circonscrites depuis 2015, s’il est indéniable que les opérations militaires produisent des résultats, il n’en demeure pas moins que le Burkina Faso demeure dans le giron des terroristes. Une guerre d’usure est entrain de s’installer. De nombreuses victimes sont déjà enregistrées. Pendant combien de temps le Burkina Faso pourra-t-il faire face à cette situation ? Malgré l’ardent désir de venir à bout du terrorisme, en dépit des moyens déployés pour la lutte, l’évidence est là : la situation demeure complexe voire inextricable au Burkina Faso avec son lot de victimes et de personnes déplacées internes. Une décision audacieuse s’impose donc. Nonobstant la clameur ou la réprobation quelle pourrait engendrer, la négociation avec les groupes qui attaquent régulièrement le Burkina Faso n’est pas à exclure. La négociation dont il s’agit n’est guère synonyme de faiblesse ou de capitulation.
C’est la voix du réalisme. Dans la lutte contre le terrorisme, c’est une carte non négligeable. Même les grandes puissances qui proclament urbi et orbi qu’ils ne négocient « jamais avec des terroristes », y ont recours par moment lorsque les contingences l’imposent. Les Américains ont dû se résoudre à négocier avec les talibans en Afghanistan. Les Algériens ont fini par discuter avec les islamistes. Londres avait fini par discuter avec l’IRA, Madrid avec l’ETA, Tel-Aviv avec l’OLP. Le Mali voisin négocie tous les jours avec les groupes terroristes. Sous Blaise Compaoré, la France par des individus interposés au Burkina Faso a négocié la libération de plusieurs otages des mains de leurs ravisseurs terroristes. Dans le schéma actuel, il ne s’agit pas de reproduire mécaniquement les méthodes de Blaise Compaoré qui ont fortement contribué à installer la chienlit actuelle dans le pays.
Nous touchons du doigt… Aujourd’hui, le pays dispose de personnes ressources, de stratèges qui peuvent bien parler aux groupes radicaux droit dans les yeux et parvenir à des concessions salutaires pour le Burkina Faso . Il ne s’agit pas, comme l’ont fait et continuent peut-être de le faire certains régimes de la région, de négocier secrètement la paix en la monnayant, de signer un obscur pacte de non-agression finalement contre-productif. Il ne s’agit pas non plus de se plier aux revendications des groupes terroristes, ni de les absoudre de leurs crimes, ni même de légitimer leur idéologie mortifère. Ce dont il s’agit, c’est de comprendre les motivations réelles des groupes qui nous attaquent pour trouver une solution adéquate en tenant compte des atouts et contraintes du Burkina Faso. Comment y parvenir ?
Quelques principes cardinaux de négociation
Ce n’est pas le fait de négocier en soi qui incite les terroristes à récidiver, mais plutôt la mesure dans laquelle ils parviennent à atteindre leurs objectifs par la négociation. Si négocier n’aboutit qu’à un résultat symbolique (un communiqué dans les médias), les terroristes jugeront sans doute que le jeu n’en vaut pas la chandelle. De même, si les tractations ne leur permettent que de négocier leur fuite, mais sans qu’aucune de leurs demandes initiales n’ait été satisfaite, ils ne se sentiront vraisemblablement pas incités à renouveler leur tentative.
En revanche, si la négociation conduit à la libération de prisonniers par exemple, cela constituera un précédent pour des négociations ultérieures. Dans le cas du Burkina Faso, les négociations peuvent se mener selon différentes étapes.
1.Constituer une équipe pluridisciplinaire de négociateurs
L’une des premières actions urgentes à mettre en œuvre (si ce n’est déjà fait) c’est de constituer une équipe pluridisciplinaires de négociateurs. Ces personnalités transcendant les chapelles politiques ou idéologiques, doivent maitriser parfaitement la complexité de la question terroriste et être au fait des réalités sociologiques et anthropologiques des zones attaquées. Ils sont nombreux parmi les politiques, les leaders des OSC, les responsables religieux et coutumiers, les chercheurs,… à pouvoir enfiler ce manteau.
Identifier les différents types de terroristes
Ici, l’analyse débute par une distinction entre terroristes absolus et terroristes contingents, c’est-à-dire ceux qui n’ont aucun intérêt à négocier par opposition à ceux qui agissent dans le but de négocier. Il n’y a pas de frontière nette entre ces deux catégories. Le défi de la négociation est donc de transformer les terroristes intégraux (les plus radicaux des terroristes absolus) en terroristes conditionnels, et ensuite de travailler sur les besoins négociables de ces derniers. Les terroristes absolus ne veulent pas que la société refasse son unité, ils la veulent meurtrie, ensanglantée. Pour être capable de répandre la terreur, ils doivent être convaincus de la justesse de leur position.
Le terrorisme contingent ou instrumental implique principalement des prises d’otages et des kidnappings. La violence pratiquée n’est pas absolue ou définitive. Elle se manifeste principalement par la prise d’otages et, pour le reste, par la menace qui plane sur la vie des otages si les demandes des terroristes ne sont pas satisfaites. Les terroristes conditionnels cherchent à négocier afin d’échanger leurs victimes contre autre chose (de la visibilité, une rançon, la libération de leurs militants,…) Pour atteindre leurs objectifs, ils instrumentalisent la vie d’autrui dont ils réclament le prix fort. La plupart du temps, des otages vivants sont une monnaie d’échange de plus grande valeur que des otages morts. Au Burkina Faso, il est impératif de savoir exactement à quelle catégorie de terroristes nous avons à faire.
3.Traiter avec les terroristes absolus
Ce serait une erreur de considérer que tous les terroristes absolus sont radicalement opposés à toute négociation, ou encore que cette catégorie de terroristes « intégraux » est fixe et immuable. De même, concevoir que les terroristes « intégraux » le sont pour toujours est une erreur. Le problème est alors d’identifier parmi eux ceux qui pourraient basculer et devenir des terroristes conditionnels, leur montrer le caractère désespéré de leur situation afin de leur faire entrevoir l’espoir d’une sortie de crise par la négociation. Les parties ne négocient pas tant que la situation n’est pas mûre. Elles doivent en effet se rendre compte qu’elles se trouvent dans un blocage mutuellement dommageable pour rechercher une issue par la négociation. En un mot, les autorités doivent savoir manier le bâton et la carotte, circonscrire les terroristes par la force et leur offrir une contrepartie s’ils acceptent de renoncer à une stratégie fondée sur la terreur. Ces deux mesures ne s’excluent pas l’une l’autre mais sont complémentaires. Il est bien évident que, tant que les parties (autorités légales comme terroristes) perçoivent qu’elles peuvent arriver à leurs fins sans avoir à négocier, elles n’ont aucun intérêt à engager une négociation. Dans une situation crée par les terroristes, les autorités légales doivent évaluer si elles sont dans un blocage dommageable et, de ce fait, si elles sont intéressées par les perspectives ouvertes par une négociation. La difficulté est alors de placer également les terroristes dans une même impasse intenable, afin que le caractère dommageable du blocage soit partagé. Il faut amener les terroristes à prendre conscience que leurs tactiques ne les mèneront nulle part et leur feront même perdre tout espoir d’atteindre, en totalité ou en partie, leurs objectifs. La pression militaire doit être maintenue car une démonstration de force ne représente pas une entrave à des négociations parallèles.
4.Traiter avec les terroristes contingents
Les terroristes contingents sont ceux dont les actions incluent la négociation. Les preneurs d’otages prennent par la force le contrôle de l’existence d’autres personnes, ce qui leur donne les moyens d’exercer une menace crédible à l’endroit d’une cible (un gouvernement, une entreprise, une famille,…). Les demandes des terroristes contingents varient. Si leurs revendications portent sur une rançon, la libération de prisonniers, l’accès aux médias, une négociation peut alors être engagée. L’analyse du contexte, des demandes, des preneurs d’otages et des parties prenantes au sens large est une étape essentielle en vue de la négociation. Quel est le contexte général de la prise d’otages ? Quels sont les antécédents du problème ? Quelle est la gravité du conflit ? Parfois les preneurs d’otages cherchent davantage à impressionner l’opinion qu’à obtenir quelque chose dans le cadre d’un échange. Est-ce que les parties en présence se connaissent ? Quel type de relation entretenaient-elles avant cet événement ? Les preneurs d’otages agissent-ils dans un milieu qui leur est favorable ou hostile ? Si le preneur d’otages est à l’œuvre dans un environnement hostile (comme dans le cas de séquestration d’otages dans une ambassade, une école, un hôtel, une banque,…) il se retrouve pris au piège comme un poisson dans un bocal. Parce que les risques sont nombreux, le preneur d’otages tend à exercer une pression maximale sur le négociateur. La dépendance des terroristes par rapport au monde extérieur les rend vulnérables. La fourniture d’eau, de nourriture, d’électricité, de médicaments peut être utilisée comme monnaie d’échange. L’anxiété, la fatigue, l’isolement jouent un rôle crucial. Une des réponses des preneurs d’otages à ce genre de situation défavorable est de déplacer le lieu de détention vers un environnement plus accueillant, tel un État complice. Si les preneurs d’otages retiennent les captifs dans un environnement qu’ils contrôlent, les négociateurs se trouvent privés de beaucoup de moyens d’action tels que le recours à des moyens techniques sophistiqués pour recueillir des informations. Ils ne peuvent utiliser ni sondes optiques, ni microphones haute performance, ni micro-lasers, ni mouchards électroniques durant le processus de négociation. Ce sont des techniques classiques pour entamer la carapace psychologique dont le terroriste s’entoure pour ne pas révéler ses propres hésitations, dilemmes, rancœurs, sentiments.
Il faut maintenant faire le bon choix
Les outils généralement employés dans la négociation avec les terroristes comprennent l’enquête, le contact et la communication. Pour établir un diagnostic de la situation, il est important de connaître le milieu d’où sont originaires les terroristes. Les motivations des terroristes sont un ensemble complexe d’antécédents et de perceptions qui ne peuvent être évoqués lors d’une négociation. Toutefois, elles aident à comprendre l’origine des demandes énoncées et sont à prendre en compte pour élaborer des contre-propositions et des arguments. Les négociations nécessitent une préparation qui prend la forme d’une large enquête sur les actions passées des terroristes, leurs biographies, les affiliations du groupe, ses expériences. En effet, autant que le contexte ou le milieu dont ils sont issus, ce sont de petits événements anecdotiques qui peuvent expliquer leur participation à la négociation. Les amis d’antan, la famille et les collègues des terroristes sont à interroger car ils sont susceptibles d’aider à comprendre les motivations des terroristes et leur représentation du monde. Il est important d’établir et de maintenir le contact afin de récolter des informations et de pouvoir communiquer avec les parties dès qu’elles sentent qu’une négociation est possible. La discussion permet de recueillir de l’information et d’approfondir la compréhension des terroristes tout en offrant l’occasion de jouer au jeu des « et si ? ». Il s’agit là d’une démarche essentielle car elle permet d’élargir le champ de la négociation par des offres conditionnelles.
Au stade où nous en sommes, il ne faut guère se voiler la face ou s’enfermer dans des certitudes ex cathedra. Toutes les options doivent être envisagées. Les autorités burkinabè ont, à travers la diplomatie souterraine, la lourde responsabilité d’opérer des choix stratégiques et judicieux.