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Burkina - France : « Pour moi, le premier intérêt français au Burkina Faso, c’est que le Burkina Faso soit stable », Xavier Lapeyre de Cabanes, ambassadeur de France au Burkina

Publié le mardi 30 juillet 2019  |  Le faso.net
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© Ministère par D.R
Une convention pour la construction de postes de police frontaliers
Le Ministre d’Etat, Ministre de l’Administration Territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité Intérieure, Simon Compaoré, et l’ambassadeur de France au Burkina Faso, Xavier Lapeyre de Cabanes ont procédé, le jeudi 27 octobre 2016 à Ouagadougou, à la signature d’une convention relative à la construction de postes de police frontaliers (PPF) au Burkina Faso. Photo : Xavier Lapeyre de Cabanes
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Dans une interview accordée à la rédaction des éditions Lefaso.net lors de sa visite d’au revoir, le jeudi 17 juillet 2019, Xavier Lapeyre de Cabanes, ambassadeur de France au Burkina, en fin de mission, après trois ans au pays des hommes intègres, a livré sans langue de bois ses analyses sur l’évolution des relations franco-burkinabè, la situation sécuritaire et le franc CFA.

Lefaso.net : La France, avec les gilets jaunes et leurs différents épisodes récents, etc., comment va-t-elle aujourd’hui ?

Xavier Lapeyre de Cabanes : Vous savez, c’est un pays de 66 ou 67 millions d’habitants. C’est difficile de raisonner en une seule formule, ‘’comment il va ? ». Je n’ai pas l’impression qu’il aille trop mal. C’est un pays libre et démocratique, où les gens peuvent exprimer librement leurs oppositions, s’ils le souhaitent. C’est déjà en soi une très bonne chose. Comme dans toute société, s’il y a des problèmes, il va de soi, qu’il y ait un gouvernement qui essaie de les résoudre pour permettre à chacun de participer sereinement et dignement à la communauté nationale.

Bientôt vous allez quitter le Burkina Faso pour une autre destination. Quelle image du pays vous reste en mémoire, après trois ans passés au Burkina ?

Trois ans, ça passe vite ! Surtout quand on arrive, comme ça été mon cas, dans un pays ou une région qu’on ne connait pas, où on n’a jamais mis les pieds, on a tout à apprendre. C’est exaltant ! L’un des plaisirs d’être diplomate, c’est qu’à chaque fois qu’on arrive dans un pays, et on redevient un débutant. Au Burkina Faso, ça n’a pas été facile. Mais les Burkinabè sont sincèrement très accueillants, très ouverts. Cela a facilité les choses. J’ai passé trois années exaltantes professionnellement et très agréables sur le plan strictement personnel ; même si j’aurais aimé pouvoir davantage visiter votre pays. Les conditions de sécurité ne me l’ont pas permis. Je crois que c’est cela l’image que je garde, celle d’un pays très ouvert.

Vous avez pris vos fonctions au Burkina Faso après l’attaque subie par le Café-restaurant Capuccino en 2016. Quel a été l’impact de cet évènement sur vos attentes, en venant au Burkina Faso pour assumer votre fonction de diplomate ?

Ce qui est déterminant, c’est moins le Cappuccino lui-même que l’attaque de Nassoumbou en réalité, qui avait définitivement fait basculer ma mission dans une dimension beaucoup plus sécuritaire que celle que j’imaginais. Evidemment, je savais, en arrivant, compte tenu du fait de l’opération Barkhane qui était au Maliet de l’attentat du Cappuccino, qu’au fond la problématique de la menace exercée par les groupes terroristes, n’allait pas se limiter au Mali et qu’elle risquait de se développer aussi au Burkina Faso.

Et puis, il y a eu cette attaque de Nassoumbou qui a effectivement été un choc pour tout le monde, avec ses victimes, ces militaires assassinés, surtout pour toute la communauté nationale burkinabé, pour les étrangers vivant au Burkina Faso et même les partenaires qui se sont inquiétés des risques.. Les autorités burkinabè ont pris à ce moment, à bras-le-corps les choses. La constitution de la force conjointe du G5 Sahel a été décidée sous l’impulsion du président Kaboré, au mois de janvier ou février 2017, dans un sommet à trois au Niger avec les présidents IBK et Issoufou. Ensuite le président Kaboré est venu à Paris, au mois d’avril 2017 et il a décidé avec le président Hollande, puisque c’était quelques semaines avant l’élection présidentielle en France, de développer la coopération en matière militaire d’une part et de sécurité d’autre part, par des formations, des équipements, etc.

En décembre 2018, un nouvel accord a été signé entre le gouvernement burkinabè et le gouvernement français. Il encadre juridiquement les opérations menées en commun sur le territoire burkinabè contre les groupes terroristes, à la demande des autorités burkinabè. Planifiée et exécutée par les forces de sécurité burkinabè et la force Barkhane, une opération s’est déroulée dans la province du Soum la deuxième quinzaine de mai.

En octobre 2017 à Ouagadougou, à l’occasion d’un forum portant sur la sécurité, vous parliez d’une « redéfinition des menaces auxquelles le pays doit faire face », en déclarant que « le régime du président Compaoré avait comme politique à l’égard des groupes djihadistes (…) de bons offices (…). C’est donc un système qui n’était pas durable ». Pensez-vous que Blaise Compaoré soit l’homme à l’ombre des attaques terroristes du Burkina Faso, aujourd’hui ?

Je n’ai jamais voulu dire ça, et ce n’est pas du tout ce que je pensais ni ce que je pense encore aujourd’hui. A l’époque où le président Compaoré était au pouvoir, la menace contre le Burkina Faso n’était pas la même, les groupes terroristes étaient d’ailleurs sans doute moins puissants. Il y a eu depuis lors – et cela n’a rien à voir avec le régime Compaoré ou le gouvernement actuel, c’est tout à fait indépendant de ça – une sorte de « transfert d’expériences », permettez l’expression, venue du Moyen-Orient avec l’Etat islamique au grand Sahara qui a renforcé la capacité d’un certain nombre de groupes terroristes. C’est quelque chose de récent.

Le régime du président Compaoré n’avait pas eu à gérer ce type de menace directement sur le sol burkinabè. Ce que faisait le président Compaoré, c’était une sorte de politique de bons offices effectivement. C’est tout à fait différent d’aujourd’hui et la période n’est pas la même. Nous sommes aujourd’hui entrés, depuis deux ou trois ans, dans un autre type de menace. La politique menée à l’époque n’aurait pas permis de mettre fin à cette menace.

Le 2 mars 2018, les terroristes s’attaquaient à l’état-major général des armées du Burkina Faso et à l’ambassade de France. Finalement, en termes chiffrés, quelle est la part de la France dans cette « armada » contre les terroristes et quel bilan dégagez-vous ?

La France n’est pas membre du G5 Sahel, c’est clair : la France apporte son soutien au membres du G5 Sahel. Ce soutien est varié ; opérationnel, logistique, politiques financier. En termes d’armements, elle apporte sa contribution aux différents contingents du G5-Sahel, à travers la formation des officiers ; nous soutenons aussi l’Ecole de guerre qui est à Nouakchott. Nous avons fourni un certain nombre d’équipements au bataillon burkinabè et au G5-Sahel. Nous avons également , pour l’équipement de la force conjointe du G5, ajouté à l’enveloppe de l’Union européenne, outre notre part européenne, une part nationale de 10 millions d’euros. Nous participons de ce fait là, au soutien des Etats.

Je le répète, nous ne sommes pas membre du G5 Sahel. Nous avons dans les pays du G5 Sahel comme au Mali, au Niger et au Tchad, nos troupes positionnées, stationnées dans le cadre d’une mission Barkhane, pour lutter contre les principaux groupes terroristes qui ensanglantent la région.

Les opérations qui sont menées par des forces françaises le sont en appui aux armées nationales. Elles consistent, non pas à éradiquer les groupes armés terroristes dans le Sahel, nous n’en avons pas les moyens humains et matériels, mais à diminuer le degré de menace et d’efficacité de ces groupes, afin que les forces de défense et de sécurité des pays concernée puissent, eux-mêmes, rétablir l’ordre et la sécurité.

Le ministre burkinabè de la défense, Cheriff Sy, a déclaré en Afrique du Sud, à propos de la présence française au Sahel : « Ils ont plus de 4 000 militaires dans la région. Je suis surpris qu’ils n’aient pas réussi à éradiquer cette menace terroriste ». Quel commentaire en faites-vous ?

Il s’agit d’une interview qui n’a pas été véritablement une interview. Ses propos sont d’ailleurs sans doute déformés. Le ministre de la défense commence par dire, ce qui n’a pas été relevé par la presse burkinabè, je le regrette d’ailleurs, que l’opération Serval était absolument indispensable pour pouvoir arrêter, en quelque sorte, la descente vers Bamako des terroristes. Donc, il indique de son point de vue que l’intervention française a été indispensable.

Ensuite, les propos qui ont été rapportés ne me paraissent pas vraiment correspondre avec ce que je vois de son action politique. Ce qui compte pour moi, c’est d’abord son action. De ce point de vue-là, je peux vous dire que nous travaillons extrêmement bien avec le ministère de la défense depuis que Monsieur Chériff Sy a pris ses fonctions.

Avec le chef d’Etat-major également, nous travaillons très bien. Depuis sa nomination, il y a eu des opérations conjointes dont je parlais tout à l’heure, donc je n’ai pas du tout le sentiment que les propos qui sont rapportés comme étant les siens correspondent véritablement à ce qu’il a dit aux journalistes sud-africains. Pour moi, il n’y a pas de problème.

S’exprimant sur la chaîne CNews, à propos du Sahel, votre chef d’état-major des armées, le général François Lecointre, a affirmé : « Si on n’est pas là, ces pays s’effondreront sur eux-mêmes ». Partagez-vous son avis ?

La phrase est extrêmement coupée, si vous la lisez, entre le « Si » et le reste de la phrase, il y a une bonne trentaine de mots que vous avez oubliés ; et du coup on ne comprend pas ce que veut dire la phrase. En outre, la phrase est sortie de son contexte, qui est une explication large de notre action au Sahel ; si vous la replacez dans son contexte, ça n’a plus du tout la même signification ! Quand il dit ça, il veut dire : « Si on ne soutient pas les pays qui sont menacés ».

Et il parle des Nations-Unies, de tous les pays européens, des USA et de la France comme soutiens. C’est donc un appel au fond à ce que la communauté internationale continue de soutenir les Etats du G5-Sahel, particulièrement le Mali qui est le plus fragile et également le Burkina Faso qui est soumis à des menaces très fortes depuis quelque temps. C’est un appel à soutenir ces pays à un moment, où certains partenaires paraissent hésitants.

Pour le G5 Sahel, les choses n’avancent pas de la manière que les Etats membres le souhaiteraient.. Les propos du général ne doivent donc pas être compris comme étant une sorte de mépris à l’égard de vos pays, mais comme un appel à la communauté internationale à vous soutenir davantage. Je ne crois pas du tout, à l’effondrement du Burkina Faso, si vous me posez la question personnellement, et je ne crois pas que ce soit non plus le point de vue du chef d’état-major français.

L’utilité de la force Barkhane dans le combat contre le terrorisme est souvent décriée ; qu’est-ce qui justifie cela ?

C’est normal, parce qu’on ne va pas au combat uniquement par les armes. On peut faire de la contre-guérilla ou du contre-terrorisme. C’est le cas de Barkhane actuellement. Il reste que ce phénomène est apparu pour des raisons qui sont politiques et internes, propres au Mali. Il doit y avoir un problème politique qui explique l’émergence ou le succès relatif de groupes terroristes dans certaines régions du Burkina.

Ces problèmes politiques, ce n’est pas à Barkhane de les résoudre, mais aux Maliens, aux Burkinabè, qui vont évidemment résoudre leurs propres problèmes politiques. Barkhane ne fait que ce qu’elle peut faire. Les militaires ne sont faits que pour la guerre ; voilà, ils ne peuvent pas assurer la paix sur toute la durée ; ce sont les diplomates et les politiques, etc. qui peuvent assurer cela. Je ne suis pas ambassadeur au Mali, donc je ne peux pas donner toutes les réponses. On ne peut pas reprocher à Barkhane de ne pas gagner la guerre, qui n’est pas celle qu’elle est censée gagner.

Sa mission est de mettre hors d’état de nuire un certain nombre de groupes terroristes ; elle ne va pas plus loin que ça, comme le disait le ministre de la défense tout à l’heure. On ne peut pas assurer la protection et la surveillance complète d’un territoire qui est plus grand que l’Europe avec seulement 4 000 hommes ; ça c’est impossible. Ce genre de conflits ne se gagnent pas uniquement militairement, amis aussi avec les échanges d’informations et de renseignements.

Le renseignement, c’est évidemment les Etats, à travers leurs forces armées, leurs forces de polices, leurs services de renseignement qui peuvent récolter du renseignement, l’analyser ; et ensuite transformer en action contre tels ou tels groupes terroristes ce renseignement collecté. Que cela soit dans le Macina, le nord du Mali ou le Soum ; nous ne faisons et nous n’apportons que ce que nous pouvons apporter.

Quel bilan dressez-vous de l’apport de la France au Burkina dans la lutte contre le terrorisme ?

Je n’aime pas tellement la notion de « guerre ou de conflit contre le terrorisme ». Le terrorisme est un moyen d’action qui est utilisé par certains groupes. Donc, je préfère parler de groupes terroristes, et chaque groupe, d’une certaine façon, a des objectifs politiques qui sont plus ou moins clairs. S’agissant du Burkina Faso, on n’a jamais entendu une revendication particulière ; je n’ai jamais entendu un groupe dire : nous voulons ceci ou cela. Je ne sais pas ce qu’ils veulent ; il me semble que le terrorisme est un fait qui a toujours existé partout, qui existe malheureusement dans les démocraties.

En France, vous avez eu une vague d’attentats terroristes à la fin du XIXe et au début du XX e siècles. Puis, l’Europe a connu également dans la seconde moitié du XXe siècle, d’importantes vagues d’attentats, en Italie, en Allemagne, en France, en Espagne, en Irlande du Nord… C’est un phénomène qui est un mode d’action utilisé en général par des entités, des groupes, plus faibles que des Etats pour essayer de les faire plier, très souvent un Etat démocratique, puisque dans les régimes très policiers, c’est rare de trouver des groupes terroristes qui arrivent à se soulever parce que l’Etat contrôle complètement toute la population. Ce n’est pas en Corée du Nord que vous allez trouver un attentat terroriste ! On lutte contre des groupes qui, à un moment, émergent pour des raisons particulières liées à une situation politique particulière. C’est un combat difficile à mener.

Quelle stratégie conseillez-vous au Burkina pour venir à bout du terrorisme qui endeuille bien de familles ?

Je ne suis pas conseiller du président Kaboré, ni du gouvernement burkinabè. Je ne peux pas conseiller une stratégie particulière, car je ne suis pas militaire. Nous agissons en fonction des besoins qui sont exprimés par les autorités burkinabè, au niveau politique. Si la France peut apporter quelque chose au Burkina pour qu’il puisse mettre en œuvre la politique qu’il aura décidée pour lutter contre les terroristes, ous le ferons. C’est ce que nous avons toujours fait, depuis Nassoumbou, jusqu’à aujourd’hui, en passant par la rencontre de os deux présidents au mois de décembre dernier. Nous ne sommes pas là pour définir la stratégie du Burkina Faso, ce n’est pas notre rôle. Le Burkina Faso est un Etat libre, souverain et indépendant.

Sur la gestion des déplacés internes, avez-vous des solutions ?

C’est une question extrêmement grave, parce que le nombre de personnes dépasse aujourd’hui les 200 000 personnes. Toute la communauté internationale est aux côté du Burkina Faso, pour permettre à ces personnes de manger, de boire, de vivre dans des conditions d’hygiène sanitaire décentes. Le bureau de coordination des affaires humanitaires des Nations-Unies, le Haut-commissariat pour les réfugiés, la Croix rouge, la FAO, le PAM, la France et d’autres participent à ces programmes de soutien aux habitants aux côté des autorités burkinabè. Depuis le début de l’année 2019, la France a donné 1,6 millions d’euros (environ 1 millard de francs CFA) pour ces programmes d’aide d’urgence, de façon à soutenir les personnes dans les différents camps de déplacers.

En décembre 2016, lors de la levée de fonds à Paris pour financer le PNDES, le Burkina Faso s’était vu promettre plus de 18 milliards de F CFA. Quatre ans après, quelle est la participation de la France et quels sont les secteurs concernés ?
Nous avons augmenté notre aide au Burkina Faso, aux politiques d’appui au gouvernement du Burkina Faso, notamment dans les domaines de l’adduction d’eau et de l’électrification. Ce sont les deux principaux secteurs d’activités de l’Agence française de développement (AFD) au Burkina. Je suis allé moi-même inaugurer avec le ministre de l’eau à Tougan au mois de décembre dernier, un branchement d’eau qui avait été financé par l’AFD.

Nous avons fait la même chose à Ouahigouya et à Bobo-Dioulasso. Cela a permis à beaucoup de gens de bénéficier de l’accès à l’eau. Cela a permis dans ces localités de limiter les corvées d’eau. Nous avons financé l’adduction d’eau depuis le barrage au nord de Ouahigouya et à une quarantaine de km pour permettre à la ville de bénéficier de plus d’eau.

J’étais à Tougan à l’inauguration de ces branchements de l’ONEA, financés par l’AFD. Pour les habitants, c’est quelque chose de très précieux. Imaginez une femme qui faisait trois à quatre km pour aller chercher de l’eau, elle peut désormais faire tout autre chose pendant ce temps-là ; elle peut s’occuper de son champ, de ses bœufs et même avoir une autre activité productive qui lui rapporte des revenus supplémentaires.

En matière d’électricité, nous avons financé l’installation de lignes à moyenne tension de Ouagadougou jusqu’à Dori-Djibo. Nous travaillons sur un projet avec la Banque mondiale pour des lignes électriques régionales. Cela sera un grand réseau d’électricité qui reliera le Bénin, le Togo, le Nigeria, le Burkina Faso, le Niger, etc. Car les infrastructures nationales ne suffisent pas, il faut pouvoir mutualiser les sources d’énergie entre les pays.

Un autre projet sera en bonne partie financé par la BAD pour permettre à de petites villes et à des villages d’avoir de l’électricité. Ce ne sont pas des choses qui ne sont pas toujours visibles, mais utiles au développement économique et au bien-être local. Nous avons également financé, en partenariat avec l’Union européenne, le barrage de Ziga et la centrale solaire de Zagtouli.

Un certain nombre d’investisseurs français s’étaient engagés à financer des projets au Burkina Faso. Orange s’était ainsi engagé à investir cent cinquante millions d’euros sur trois ou quatre ans. Cette société française, a beaucoup investi au Burkina Faso, elle a installé ses propres fibres optiques, de façon à augmenter la capacité d’internet et du réseau. La France poursuivra son accompagnement de la ville de Ouagadougou par la création de nouveaux centres urbains, afin de la déconcentrer. Il y aura de nouvelles voiries, de nouvelles gares routières, etc. Il ne faut jamais oublier également la coopération dans l’éducation et la formation. Cela n’est pas très visible, mais ça permet de construire des écoles, et former des élèves et d’acheter des manuels. Le bilan est positif. Ce travail aux côté des autorités burkinabè est une œuvre de longue haleine.

Où en sont les relations commerciales et bilatérales entre la France et le Burkina ?

Malheureusement, ce n’est pas brillant, surtout avec la situation sécuritaire. : il devient plus difficile de convaincre les investisseurs français à venir investir au Burkina Faso. Malgré tout, un certain nombre de sociétés françaises sont au Burkina Faso, et elles travaillent bien. Effectivement, il y a matière à améliorer, de manière équilibrée, les relations commerciales entre le Burkina Faso et la France qui sont trop faibles.

On ne sent pas tellement la France dans le domaine de l’exploitation minière. Comment expliquez-vous cela ?

Il n’y a aucune grande entreprise française qui travaille dans le domaine aurifère, même en Guyane. Du coup il ne peut pas y en avoir au Burkina Faso. Il y a des champs aurifères, des sites aurifères, mais il n’y a pas de firmes françaises. En revanche, en ce qui concerne la mine de manganèse de Tambao, une entreprise française est intéressée et l’a signalé aux autorités burkinabè.

Pensez-vous que les intérêts de la France sont toujours menacés au Burkina Faso ?

Non, je ne crois pas. Car, quel est l’intérêt de la France au Burkina Faso ? Pour moi, le premier intérêt français au Burkina Faso, c’est que le Burkina Faso soit stable, parce que quand on a un partenaire, on a envie que chez lui tout se passe bien. Si le Burkina Faso est déstabilisé, nous sommes tenus de répondre à la demande des Burkinabè, éventuellement de fournir des équipements militaires, des soldats, etc.
Cela coûte très cher en vies humaines et en argent.Vous aurez pu remarquer que deux militaires sont morts au Burkina Faso en tentant de sauver des otages français et étrangers au mois de mai 2019. Nous avons perdu 28 hommes au Mali et dans le Sahel depuis janvier 2013. Le prix du sang est très élevé. Cela coûte également très cher à la France et au contribuable français. L’opération Barkhane coûte plus de 680 millions d’euros par an.

Ensuite, nous avons une langue commune, une histoire commune. Notre intérêt est donc d’aider le Burkina Faso à se développer, à former la jeunesse burkinabè, la former en France et au Burkina Faso. Le président Macron l’avait dit, il y a 18 mois à Ouagadougou, l’augmentation des partenariats entre des universités françaises et des universités et institutions burkinabè est une priorité. Si j’avais pu consacrer ma mission beaucoup plus à cela et moins aux questions sécuritaires, j’aurais été plus heureux.

Que reste-t-il de la visite de Macron au Burkina Faso ?

Le discours de Macron a été un moment exceptionnel ! Pour l’ambassadeur que je suis, c’était un moment rare et précieux de recevoir le Président de la République française. Il a prononcé ce discours, devenu historique. Le président Macron a décidé d’ouvrir les archives produites au moment de l’assassinat de Thomas Sankara, pour permettre au juge d’instruction burkinabè de faire son enquête, pour voir s’il s’y trouve des informations intéressantes.

Il y aura une saison Afrique-France, appelée Africa 2020 qui se déroulera en France pour permettre aux artistes du monde intellectuel et culturel burkinabè et africain en général de s’exposer et de se produire en France, de se faire connaitre en France et de faire connaitre l’Afrique créatrice dans toutes ses dimensions.

Il y a également la proposition du président Macron de restituer les objets d’art qui ont été volés pendant la colonisation. Avec les acteurs culturels burkinabè, nous souhaitons mettre en oeuvre une coopération muséale. Finalement beaucoup a été fait, mais ce n’est pas toujours très médiatisé.

En ce qui concerne les objets d’art burkinabè, après la publication d’un rapport demandé par le Président Macron, au mois de décembre dernier, le ministère burkinabè de la cultulre a organisé une conférence de presseEn substance, le secrétaire général du ministère avait dit ceci (je résume)« la liste des biens considérés comme volés dans les territoires qui sont aujourd’hui le Burkina Faso ferait l’objet d’un examen attentif ; puis les burkinabè feraient un travail bilatéral avec la France pour voir dans quelles conditions ces objets pourraient être restitués ».

L’idée n’est donc pas que la partie française prenne tous les objets présents dans les collections françaises et ayant été volés au cours de la période coloniale puis de vous ls remettre. La première étape est une demande de restitution venant de vos autorités. Pour ce faire, le ministère burkinabè de la culture préfère que nous démarrions une coopération muséale pour améliorer la fonctionnalité des musées nationaux.

J’ai discuté avec des archéologues, des anthropologues qui m’ont dit : « vous vous rendez compte, un masque c’est un objet avec lequel nous faisons des rituels. Je ne le vois pas dans un musée, c’est une pièce cultuelle, un objet rituel, ce n’est pas un simple objet d’art ». Pour moi, qui ne suis pas de cette religion-là, c’est un objet d’art, donc ça n’a pas la même signification. La façon dont ces objets doivent être restitués ne doit pas être décidée par les seuls Français.

« Le franc CFA est une monnaie africaine avec des intérêts français », dit-on. Qu’est-ce qui ne va pas, surtout lorsqu’on parle du franc CFA avec la France ?

Non, le franc CFA est une monnaie africaine, avec des intérêts africains, il n’y a aucun problème ! Le problème, il est dans la tête de certains qui croient que cette monnaie est coloniale. Son origine l’est, bien entendu, et personne ne pourrait dire le contraire. Mais, presque 60 ans après les indépendances, il n’est plus possible de le dire.

La monnaie, votre monnaie, vous en faites ce que vous voulez, ce n’est pas la monnaie des Français, c’est la monnaie des Etats membres de l’UEMOA. Si vous ne voulez plus de cette monnaie, vous en changer. D’ailleurs le président Macron l’a dit, vous avez décidé de faire une monnaie unique CEDEAO en 2020, allez-y.

Vous confondez les choses ; ce qui est très dérangeant, c’est que sur le franc CFA, on n’entend à 99% que des choses fausses. Les gens ne comprennent absolument rien. La moitié des réserves de changes du Burkina Faso sont au Trésor français : ces réserves sont rémunérées,par l’Etat français..

On le lit dans la presse et les réseaux sociaux, que de bêtises sur le Franc CFA, sauf de certains économistes. Vous vous rappelez il y a plusieurs mois, quand l’ancien ministre des finances de Thomas Sankara a été longuement interrogé dans un quotidien,, je ne sais plus lequel, il a parlé du franc CFA. Il a dit à peu près, ce que je viens de dire. Quelle a été la réaction sur les réseaux sociaux ? Que c’est un traitre, un vendu, etc. Les réactions n’étaient absolument pas rationnelles, elles ne se fondaient pas sur des faits objectifs, sur une analyse économique et monétaire.

Elles se fondaient sur le fait que la monnaie, le franc CFA est une « monnaie coloniale ». Il faut arrêter de dire des bêtises pareilles, aujourd’hui, c’est complétement faux. Il faut partir du fait que la monnaie est un outil économique, ce n’est pas un outil de souveraineté, contrairement à ce que la plupart des gens pensent. La France a abandonné sa monnaie pour l’Euro, ce n’est pas pour autant qu’elle a perdu sa souveraineté.

A quel niveau se trouve la coopération franco-burkinabè sur la décentralisation et les jumelages des communes ?

Le Burkina Faso est l’un des premiers partenaires des actions de coopération décentralisée des collectivités territoriales françaises. Le premier c’est l’Allemagne, ensuite l’Italie et des pays africains, le Sénégal, le Mali, le Niger, le Burkina et la Côte-d’Ivoire. Cela se passe de commune à commune et de région à région. C’est très bien, c’est une très bonne chose. Plusieurs villes du Burkina Faso sont jumelées aux villes françaises depuis plusieurs années et ça marche bien.

Les relations de coopération décentralisée créent des liens très forts, des jeunes étudiants, élèves burkinabè vont en France et les jeunes français viennent au Burkina Faso ; c’est très bien, car cela permet de connaître véritablement le pays partenaire et cela fait disparaître les clichés et les idées reçues, qui sont fausses, le plus souvent

Quelle impression avez-vous sur le déroulement du procès du putsch ?

Je le regarde avec beaucoup d’admiration et d’intérêt. C’est un procès exemplaire. Je crois que ce que vous faites-là, c’est impeccable. Tellement de gens sont impliqués, que ce soit comme acteurs, complices ou victimes, il est indispensable que le procès dure longtemps car il faut que les juges les entendent, afin d’établir la vérité. Je sais qu’il y a des gens qui critiquent en disant que le procès prend trop de temps ; mais je crois qu’il est important que les juges entendent toutes les parties. C’est ça la justice en démocratie.

Après tant d’années passées au Burkina Faso, vous avez certainement côtoyé les médias burkinabè et quelques journalistes. Qu’est-ce que ces contacts suscitent en vous comme commentaires et appréciations ?

La presse burkinabè est libre et professionnelle. J’ai eu accès à une presse libre, indépendante et professionnelle, c’est très confortable. Quand la presse est professionnelle, quand on est interviewé, on répond. Il y a une relation de confiance qui s’installe.

A quand le renvoi de François Compaoré vers le Burkina Faso ?

Cela dépend du décret d’extradition. Je ne sais pas combien de temps cela va prendre.

Que souhaiteriez-vous que l’on garde de vous comme souvenir ?

J’ai presqu’envie de vous répondre rien ; je ne suis qu’un ambassadeur, donc représentant de mon pays. Si ceux que j’ai connus personnellement gardent de moi un souvenir amical, c’est le mieux pour moi.
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