La lutte contre le paludisme vient de connaître peut-être une avancée. Une équipe de scientifiques conduite par Dr Abdoulaye Diabaté, chercheur entomologiste, à l’Institut de recherches en science de la santé(IRS), viennent de livrer les résultats de leurs études sur les capacités du champignon transgénique à lutter contre le paludisme. Dans cet entretien, il nous parle des tenants et aboutissants de cette recherche.
Sidwaya(S.) : Vous avez récemment mené une étude sur le champignon transgénique pour le contrôle des populations de moustiques porteurs du paludisme. De quoi s’agit-il exactement ?
Abdoulaye Diabaté(A.D.) : Il s’agit d’un champignon, l’espèce Metarhizium pingsheaense, que nous avons génétiquement modifié pour améliorer sa virulence vis-à-vis des moustiques, vecteurs du paludisme. Du fait de la modification, ce champignon produit désormais une puissante neurotoxine d’une araignée d’Australie qui est fatale aux moustiques. Le champignon libère cette neurotoxine dans l’hémolymphe du moustique, conduisant à une mort certaine et relativement plus rapide que le champignon non modifié. En comparaison, le champignon modifié tue 99% des moustiques en moins de cinq jours au laboratoire, alors que le champignon non modifié ne tue à peine que 50% des moustiques et ce au-delà de 2 semaines.
S : Pourquoi cette étude ?
A. D. : La lutte contre le paludisme a connu d’énormes progrès ces quinze dernières années. De 2 millions de décès par an, la mortalité a chuté à moins de 500 000 décès/an. Bien que cela est dû à une conjugaison de plusieurs méthodes de lutte et d’un acte politique fort, la lutte antivectorielle a joué un rôle prépondérant dans cette diminution spectaculaire des cas de décès. Toutefois, elle est basée essentiellement sur l’utilisation des Moustiquaires imprégnées d’insecticide à longue durée d’action (MILDA) et de la pulvérisation intradomiciliaire.
Cette lutte hélas connaît de plus en plus de difficultés dues essentiellement au développement de la résistance de la plupart des vecteurs du paludisme aux insecticides usuels. Selon le rapport 2018 de l’OMS sur le paludisme, le Burkina Faso fait partie des pays dans le monde où malgré les énormes efforts consentis dans la lutte, l’impact du paludisme est en hausse (nombre de malades et décès). Dans son rapport de 2017 (Rapport du malERA), le malERA group, un comité d’experts de lutte antipaludique, a recommandé entre autres, que la recherche devrait se focaliser sur de nouvelles pistes de lutte antivectorielle afin de compléter les outils existants. Les champignons sont des ennemis naturels du moustique.
Le Metarhizium pingshaense en l’occurrence, infecte spécifiquement les moustiques. Toutefois, il faut d’une part, une grande dose de spores de ce champignon pour tuer le moustique. Mais d’autre part, le champignon tue les moustiques qu’au bout de deux semaines en moyenne. La durée de vie extrinsèque du Plasmodium falciparum (le parasite du paludisme) chez le moustique étant d’environ 12 jours, il est clair que ce champignon aura une efficacité très limitée dans le contrôle de la maladie. Car, le moustique a le temps de transmettre le parasite à l’homme avant que le champignon ne le tue. Nous avons donc adopté une approche génétique pour accroître la virulence de ce champignon vis-à-vis du moustique. Ainsi, en collaboration avec le laboratoire du Pr Saint Léger de l’université de Maryland College Park, nous avons inséré dans le génome de ce champignon, un gène codant pour une neurotoxine d’araignée afin de contrôler très efficacement les populations de moustiques. Les études au laboratoire, en phase 1 de l’efficacité de ce champignon transgénique sur les moustiques de laboratoire ont été concluantes. Mais aucune étude sur l’efficacité de ce champignon transgénique contre les moustiques dans les conditions proches du terrain n’avait jamais encore été réalisée. C’est dans ce cadre que s’inscrivaient nos travaux. L’objectif de nos travaux était d’étudier l’efficacité du champignon transgénique à contrôler les vecteurs du paludisme en milieu confiné et semi naturel, dans une serre, mosquito-sphère que nous avons construite pour cela.
S : Comment les recherches ont été menées ?
A. D. : L’étude s’est déroulée en milieu semi naturel dans une mosquito-sphère construite à Soumousso (4°03’ W ; 11°04’ N) à environ 40 km de Bobo sur l’axe Bobo-Diébougou. La mosquito sphère est composée de quatre cases expérimentales de 3,5 x 4 x 2,5 m chacune, simulant les cases communément rencontrées au Burkina Faso. Ces cases disposent de plafond en chaume. Cela permet de réduire la température à l’intérieur des cages d’environ 4°C par rapport à la température ambiante. Ce sont des sources de jus sucré (plantes) pour les adultes de moustiques qui s’y trouvent, et des gîtes larvaires artificiels sont également présents. L’étude est réalisée sur des populations d’Anopheles gambiae collectés sur le terrain et élevées en laboratoire. Différents tissus en coton sont utilisés pour l’imprégnation avec la souche Metarhizium pingshaense génétiquement modifiée et la souche Metarhizium pingshaense non modifiée (sauvage). Ensuite, les différents tissus imprégnés sont testés dans les cases expérimentales. Les moustiques sont lâchés dans ces cases chaque jour au coucher du soleil et recapturés, le lendemain matin après contact avec les tissus imprégnés. Ces moustiques sont ensuite mis en observation pour le suivi de la mortalité. Différentes souches de moustiques exprimant différents niveaux de résistance aux insecticides sont testées et le Metarhizium pingshaense modifié est comparé au Metarhizium pingshaense conventionnel non modifié. Le temps de rémanence du Metarhizium pingshaense modifié est évalué. Nous avons également évalué la capacité des tissus imprégnés de champignons à contrôler les moustiques sur plusieurs générations.
S. : A quels résultats êtes-vous parvenus ?
A. D. : Les moustiques vecteurs du paludisme infectés par la souche transgénique du Metarhizium avait une durée de vie significativement plus courte (100% de mort entre 2,5 jours et 5 jours) que celle des moustiques infectés à la souche sauvage du champignon (qui tuait environ 50 % à 70% des moustiques au bout de 14 jours). Nous avons également démontré que la souche transgénique avait d’importants effets pré-létaux, notamment une réduction de la capacité d’alimentation en sang et réduction de la capacité de vol des moustiques infectés. En outre, les moustiques infectés par la souche transgénique pondaient moins d’œufs que les moustiques infectés par la souche sauvage du champignon. De plus, la souche transgénique du champignon nécessite deux fois moins de spores pour tuer les moustiques. L’efficacité du champignon transgénique dure plus longtemps (au moins 11 semaines) par rapport à la souche sauvage qui dure entre 4-5 semaines. Un autre fait très marquant de cette étude est que le champignon modifié réduit 99% de la population de moustiques en sphère (milieu semi-naturel ou toutes les conditions sont réunies pour permettre aux moustiques de se maintenir sur plusieurs générations) au bout seulement de deux générations.
S : Quelle est la particularité de cette nouvelle trouvaille en matière de lutte contre le paludisme ?
A. D. : Ces travaux montrent que le champignon transgénique est un outil écologique et très spécifique, car ne tuant rien que les moustiques, vecteurs du paludisme, contrairement à d’autres méthodes conventionnelles de lutte antivectorielle. Par ailleurs, du fait de la résistance aux insecticides, les MILDA et autres stratégies de lutte antivectorielle à base d’insecticides, ont une efficacité très limitée, désormais à contrôler les populations de moustiques, mais ce champignon génétiquement amélioré, les tue sans aucune résistance et pourrait donc être un outil supplémentaire idéal.
S. : Qu’est-ce que cette étude va changer concrètement?
A. D. : Cette étude représente une étape importante dans la progression des biotechnologies émergentes dans la lutte antivectorielle du paludisme et leurs applications réelles sur le terrain. Il reste toutefois les aspects règlementaires de la technologie utilisée pour mettre au point ce champignon à gérer avant qu’un tel produit ne puisse être appliqué en conditions réelles pour le contrôle des vecteurs du paludisme. Le champignon, évidemment doit être testé en conditions naturelles pour évaluer son impact à la fois entomologique et épidémiologique/clinique avant qu’il ne puisse pleinement intégrer l’arsenal des outils de lutte antivectorielle. De façon générale, nos résultats auront de vastes implications pour tout projet proposant d’utiliser des technologies nouvelles, complexes et potentiellement controversées pour l’éradication du paludisme.
S. : Est-ce à dire que les méthodes traditionnelles de lutte ne sont pas efficaces ?
A. D. : Au Burkina Faso, les cas de paludisme sont en augmentation. Un des problèmes majeurs, les outils conventionnels de lutte (moustiquaire imprégné et la pulvérisation intradomiciliaire) ont fait un travail formidable en réduisant les cas de paludisme, mais ont atteint leurs limites fondamentales protectrices. Car, les moustiques sont devenus particulièrement résistants à la plupart de ces insecticides. On doit continuer d’utiliser ces moustiquaires.
La 2e génération qui arrive essaie de prendre en compte ce problème de résistance, mais le moustique aura toujours la capacité de résister. La communauté scientifique est unanime que si on veut éliminer le paludisme, ces outils conventionnels à notre disposition ne nous permettront pas de franchir la dernière étape de l’élimination. Il faut nécessairement des outils additionnels. C’est pourquoi, nous avons commencé à travailler sur ces champignons. Ce sont des ennemis naturels des moustiques, mais leurs capacités à pouvoir tuer les moustiques est très lente. C’est pourquoi, il faut utiliser la technologie du génie génétique pour pouvoir augmenter leur capacité à tuer.
S. : Peut-on espérer que cette technologie soit intégrée dans le programme de lutte contre le paludisme ?
A. D. : Nous avons échelonné nos travaux en différentes phases. Nous sommes actuellement à la phase 2 de nos travaux en milieu semi naturel confiné. Les résultats que nous venons de publier concernent les résultats scientifiques majeurs à ce stade. Cependant, l’intégration de cette technologie dans l’arsenal d’outils de lutte antivectorielle pour le contrôle du paludisme va nécessiter une évaluation de son efficacité en milieu ouvert à petite et à grande échelle. Les questions de biosécurité s’imposent et il faut que nous fassions l’analyse des risques et la gestion de risques éventuels. Aussi, il faut que nous obtenions les approbations réglementaires auprès des autorités compétentes, mais aussi l’acceptation sociale par les populations et la consultation des parties prenantes.
S. : Certains citoyens sont sceptiques quant aux Organismes génétiquement modifiés. Quelle assurance pouvez-vous leur donner ?
A. D. : Toute nouvelle technologie peut créer des problèmes aux citoyens, s’ils ne comprennent pas ce qui s’y trouve. Nous avons rencontré beaucoup de décideurs (politiques, religieux, des OSC…) qui savent ce que nous faisons. Nous sommes engagés dans la discussion pour ceux qui veulent comprendre pour qu’ensemble nous prenions, cette technologie pour vaincre le paludisme. Ce travail se fait dans la légalité et est encadré par les textes et lois en matière de biosécurité.