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Ecole en milieu carcéral : une chance pour la réinsertion sociale

Publié le jeudi 13 juin 2019  |  Sidwaya
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© Autre presse par DR
La Grâce présidentielle accordée à des prisonniers
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Détenus à la prison civile de Bobo-Dioulasso, des élèves et des prisonniers non scolarisés mettent à profit leur séjour derrière les barreaux pour prendre ou reprendre le chemin de l’école. Plus qu’un droit, c’est un privilège… Reportage !

Des pas de rangers… Des bruits de clés… La grille métallique de sécurité s’ouvre. Sortie de cellules ! Il est 6h 12 minutes. Des dizaines de détenus sur les 599 de la prison civile de Bobo-Dioulasso se précipitent dehors. Sur les visages, des traces de salive et de couchettes. Le réveil semble avoir été douloureux. Petite toilette…Déjeuner «rachitique…» Chacun vaque à ses occupations. Vendredi 12 avril 2019, c’est jour de classe pour Lamine*, Issa et Ismaël… Ils sont autorisés à prendre place sous un hangar, situé à l’extrémité de la cour, entre le service social et l’église catholique. Vieilles sandales, tenues délavées et feuilles mortes se disputent les lieux. Quatre tables-bancs sont disposés, çà et là. Lamine, Issa et Ismaël sont tous des candidats au baccalauréat. Une nouvelle vient de tomber : «les examens sont prévus du 21 juin au 9 juillet 2019». Le trio ironise sur ses chances de réussite. «Non… je ne suis pas prêt. On ne peut pas repousser ?», lance Issa. Réplique de Ismaël : «Attends l’année prochaine… Dans tous les cas, ce n’est pas ta première fois ».

Hilarité… Lamine, visiblement plus âgé, tranche : «Nous avons intérêt à nous mettre au sérieux». Le groupe se met au tableau. Lamine démontre, avec aisance, les limites d’une fonction à l’infini. Le jeune homme n’aura pas le temps d’expliquer son résultat à Issa et Ismaël. Ils sont rejoints par Rodrigue Yao, un professeur de français. Les civilités se veulent brèves. Il soumet les élèves à un exercice de résumé de texte, portant sur le travail des enfants. Ensuite, l’enseignant s’entretient avec eux sur les techniques de résumé de texte. Mais Issa met en doute la technique de décompte des mots du professeur. «Ce n’est pas une bonne méthode », s’insurge-t-il. Sous le regard effaré de ses «camarades », il se perd en conjectures.

«Je ne sais pas comment vous expliquer, mais ce n’est pas comme ça », se résigne-t-il, en manque d’arguments. Les échanges entre les élèves sont houleux. A plusieurs reprises, M. Yao les rappelle à l’ordre. L’enseignant tient à éclairer leur lanterne. Mais, il n’aura pas le temps de le faire. Lamine et sa « bande » sont invités à passer à une autre activité. Ces jeunes ont été mis au «gnouf» à la Maison d’arrêt et de correction de Bobo-Dioulasso (MAC-B), pour divers chefs d’accusation. Certains sont en attente de jugement pour connaître leur sort, pendant que d’autres purgent des peines d’emprisonnement fermes allant de 24 à 36 mois.

156 détenus-élèves

Grace à la loi n°010-2017/AN du 10 avril 2017 portant régime pénitentiaire au Burkina Faso, Lamine, Issa, Ismaël…suivent les cours à la MAC-B. A son article 173, cette loi institue l’école en milieu carcéral pour les détenus mineurs et/ou en classe d’examen et pour les non-scolarisés, désireux d’apprendre les B.A.-BA de la langue de Molière. A la prison civile de Bobo-Dioulasso, sise à Bolomakoté, les cours ont débuté en février 2019 et se déroulent tous les mercredi, jeudi et vendredi. Les encadreurs, à l’image de Rodrigue Yao, disposent chacun de deux séances de deux heures par semaine. «Pour les classes d’examens, nous avons choisi uniquement les matières de base», précise Siaka Siri, responsable du service social du centre pénitentiaire. Les cours de Science de la vie et de la terre (SVT), de mathématiques, de Physique-chimie (PC) et de français ont été retenus pour les candidats au Brevet d’études du premier cycle (BEPC). Pour la Terminale (Tle) D, la PC, les mathématiques et le français font office de matières fondamentales. Les élèves de la Tle A4 bénéficient uniquement de cours de français et de mathématiques. «Ce sont des cours de maintien de niveau.

Nous mettons l’accent sur les exercices pour les élèves en classe d’examen», explique Rodrigue Yao. Les cours d’anglais, d’allemand, de philosophie, d’histoire et de géographie ont été remplacés par des annales. L’enseignant justifie cette option par le cadre de travail et le manque de temps. «Nous n’avons pas l’habitude d’enseigner dans ce milieu. Il n’y a pas d’horaires fixes et il nous est difficile de respecter l’emploi du temps», soutient M. Yao. Pour l’année scolaire en cours, plus d’une cinquantaine de prisonniers-élèves ont repris le chemin des classes, dont quatre candidats aux examens du BEPC et trois au baccalauréat. 17 détenus mineurs, dont 14 garçons et trois filles et 33 majeurs apprennent à lire, à écrire et à calculer derrière les barreaux à Bolomakoté. Les «classes» des prisons du Burkina Faso accueillent près de 156 détenus-élèves, selon la Direction de la détention et de la sécurité (DDS).

Apprendre en milieu carcéral s’avère une expérience aussi bien insolite que fascinante, selon les détenus-élèves. A la MAC-B, Lamine, 24 ans, est le seul candidat au BAC série D. Tête coiffée à ras, le regard figé, il a du mal à remonter le cours des évènements du vendredi 3 mai 2018, jour de son arrestation pour «meurtre et complicité de meurtre». «J’étais à la maison, en train de préparer mon dernier devoir de l’année scolaire 2017-2018 (prévu pour le lundi 7 mai 2018, ndlr), quand on est venu m’arrêter», conte-t-il, la gorge nouée. Et d’ajouter : «Lorsque j’ai été déféré à la MAC-B, mon premier souci, c’était mes études ». En prison, Lamine n’a pu composer son devoir. Malgré tout, il a été admis en classe de Tle, avec 11,68/20 de moyenne.

Il passe ses vacances en cellule. A la rentrée scolaire, début octobre 2018, le jeune homme approche le service social de la MAC-B pour connaître le «sort réservé» à ses études. Lamine reçoit une bonne nouvelle : il peut s’inscrire et préparer le baccalauréat depuis sa cellule. Mieux, l’ancien élève du lycée mixte d’Accart-ville apprend qu’il bénéficiera d’un encadrement dans trois matières, notamment les mathématiques, la PC et le français. L’espoir renaît. Son visage s’illumine ! «J’étais très content, mais je n’y croyais pas. Je ne savais pas qu’on pouvait prendre des cours en prison et même composer un examen», dit-il. Lamine informe ses parents qui lui apportent les documents nécessaires pour préparer son bacalauréat. Il est considéré comme un «privilégié». Il partage un «isoloir» avec dix autres pensionnaires. Ce qui lui permet d’apprendre ses leçons, la nuit tombée. «Mon grand problème est que nous n’avons pas de professeur de biologie, pourtant c’est une matière capitale pour la série D», se désole-t-il.

Les «diplômés» de la prison

Issa, natif de Gaoua, a aussi saisi l’opportunité de reprendre les bancs, étant en détention. Isolé sous un arbre, vêtu d’un t-shirt jaune manches courtes et d’une culotte jeans «blessé», il est plongé dans son annale, estampillé : «Préparation aux épreuves écrites et orales d’allemand au baccalauréat, série A4 », dont il ne se sépare plus. A l’intérieur, une panoplie de coupons d’exercices de maths, de français, d’anglais et d’histoire-géographie… «Je m’exerce beaucoup, mais je n’arrive pas à corriger mes erreurs. Les propositions de correction des annales ne sont pas explicites. Aussi, nous n’avons pas tous les enseignants. Le temps que nous passons avec eux est insuffisant», laisse-t-il entendre. Issa, 22 ans et de taille 1m70, s’est fait «choper» en possession de chanvre indien. Il a été jugé et condamné à 36 mois de prison ferme.

Toutefois, il ne désespère pas. Etre en prison et avoir la possibilité de continuer les études représente, pour lui, une seconde chance. «Ce n’est sûrement pas la même chose que si j’étais en liberté, mais j’ai au moins une occasion en or», indique Issa. Tout confiant, il compte mettre à profit son séjour derrière les barreaux pour obtenir son baccalauréat. «Je suis coincé pour au moins deux ans, autant en profiter pour décrocher un diplôme qui me servira une fois en liberté. Avec l’école, je peux construire mon avenir», se convinc-t-il. Prédite, Daril, Rachid et Aboubacar sont aussi prisonniers-élèves et candidats au BEPC. Ils sont déterminés à porter le surnom de : «diplômés de la prison ». Pour ce faire, ils s’exercent régulièrement, afin de multiplier leurs chances de réussite aux différents examens. Ils mettent tout le monde à contribution : anciens camarades en liberté, parents, diplômés détenus, GSP, etc. Rachid, 21 ans, dit avoir perdu de sa superbe. Des boutons et tâches, dus aux piqûres de moustiques et autres insectes, ont envahi son corps. Pour «une affaire de téléphone qui a mal tourné», confie-t-il, sa vie a basculé. En partance pour une inscription en classe de 3e au lycée privé de l’Immaculée conception, il s’est retrouvé en train de prendre des cours sous un hangar à la MAC-B. «On avait déjà commencé les cours. Je partais pour payer ma scolarité à l’intendance et rejoindre les autres en classe, lorsque la police m’a arrêté devant la cour de l’école. Je n’ai jamais eu aussi honte de toute ma vie», raconte Rachid, la tête baissée, les yeux au bord des larmes. Après sept mois d’incarcération, Rachid attend toujours de passer devant un juge.

Las, il a repris les cours…en prison. Il révise ses leçons entre 14h et 16h, l’entrée en cellule étant prévue pour 16h30. En liberté ou pas, Rachid compte réussir au BEPC. «Avec un peu de persévérance, j’aurai mon mot à dire à l’examen », déclare-t-il. Les détenus-élèves ont des raisons d’être optimistes. En 2018, Adama et Oumar ont réussi l’exploit. Le premier y a décroché son BEPC et le second, le Certificat d’études primaires (CEP). Accusé du vol d’une somme de 150 000 F CFA, Oumar a passé six mois dans les geôles de la MAC-B. Devenu prisonnier en pleine année scolaire, il y a suivi les cours et passé avec succès son CEP. «Cela m’a permis de ne pas perdre une année à cause de la prison», se réjouit-il. Libéré et actuellement en classe de 6e, son oncle Jean-Pierre Kabré souligne surtout le sérieux avec lequel Oumar étudie désormais. Au premier trimestre de l’année scolaire en cours, il a obtenu une moyenne générale de 15,47/20.

De détenue à enseignante


Prédite est la seule fille, à préparer un examen, le BEPC, depuis une cellule de la MAC-B, cette année. Pour avoir arnaqué la somme de 350 000 F CFA, ses vacances dans la ville de Sya ont tourné court. Désormais, la récidiviste purge 24 mois de prison ferme. L’ancienne élève du lycée Newton de Ouagadougou ne promet pas de «miracles» à l’examen, étant sur les bancs de la MAC-B. Pessimiste, elle lance : «Si je n’obtiens pas le BEPC, tout le monde comprendra que c’est parce que je suis en prison». Le cahier n’est pas une priorité dans une cellule, foi de Prédite.

«On a trop de problèmes. On mange mal, on dort souvent debout, on vit avec de grands bandits… On s’efforce de tenir le coup, mais ce n’est pas facile », se plaint-elle. Jérémie, 37 ans, lui, semble plus relaxe. Assis sous le hall de l’église catholique, il apprend à prononcer correctement les lettres de l’alphabet français. Les «x» et «w» sont ses cauchemars. «Je sais écrire. C’est la lecture mon problème. Je n’arrive pas à retenir ces lettres», s’inquiète-t-il. Jérémie, physique blafard, est en classe de CP1, au sein de la MAC-B. Il fait partie de la trentaine de pensionnaires qui suivent régulièrement les cours. Ils ont été repartis en deux groupes : les illettrés et les déscolarisés. Les premiers apprennent les B.A.-BA du français. Quant aux seconds, ils étudient les textes de morale, de civisme et suivent des cours de maintien de niveau. Pour nombre de détenus-élèves, l’école est une fenêtre sur l’extérieur. Elle est un moyen de «s’évader». Le directeur adjoint de la MAC-B (au moment du reportage), l’inspecteur de sécurité pénitentiaire, Adama Sanon, est fortement engagé pour la cause de l’éducation en milieu carcéral. Il tient à s’assurer que les élèves sont mis à la disposition des enseignants et ne manquent de rien pour les cours. Pour lui, c’est une question de conviction. «L’école en prison offre au détenu une autre chance de se racheter vis-à-vis de la société », argue l’inspecteur Sanon. Il explique qu’elle participe non seulement à l’épanouissement du détenu, mais aussi le prépare à affronter sa nouvelle vie avec une personnalité «plus humaine».

«L’éducation est l’un des moyens les plus objectifs de réinsertion d’un prisonnier», affirme-t-il. Pour Paulin Bado, président de l’Association « Les chemins de la réinsertion et de la prévention de la récidive», l’école permet au détenu de concevoir un projet de vie. Celui-ci ne sort pas de prison pour être astucieux, mais pour travailler, afin de s’occuper de lui et des siens.
Juliette est enseignante du primaire dans la province des Balé. Elle a décroché le BEPC durant son séjour à la Maison d’arrêt et de correction de Ouagadougou (MACO). «C’est en prison que j’ai fait la 3e. La première année, j’ai échoué au 1er tour. La seconde fois, j’ai réussi au 1er tour», relate-t-elle. Une fois en liberté, elle a poursuivi sa scolarité et réussi au concours de l’Ecole nationale des enseignants du primaire (ENEP). Son secret, la prière et la persévérance. Prise en détention illégale de cannabis, elle avait été condamnée à six ans de prison ferme. «J’ai fait appel, ça n’a rien donné. J’ai introduit des demandes de liberté provisoire, sans suite. J’étais obligée de me concentrer sur l’école», relate-t-elle. Aujourd’hui, elle exhibe fièrement son diplôme de BEPC.

Chasse gardée des partenaires

L’aumônier de la MAC-B, abbé Soumaïla Kindo, est tout aussi fier de présenter la trentaine d’attestations d’alphabétisation, décernées aux détenus. Il nous reçoit dans une «bicoque», jouxtant la chapelle et servant de bureau. Sur la table occupant plus de la moitié de la pièce, sont disposés bibles, cahiers, boîtes de craies, de stylos, de crayons et livres de CP1. Il se réjouit de contribuer à mettre fin au double emprisonnement: la cellule et l’ignorance. Après dix ans d’alphabétisation à la MAC-B, l’église catholique a fait sa mue. Elle a ouvert sa première classe de CP1. Pour l’année scolaire 2018-2019, 33 détenus y suivent régulièrement les cours. Ils y apprennent les bases de l’écriture, de la lecture et du calcul, en français. L’aumônier affiche clairement ses ambitions : «Notre vision est que si quelqu’un reste ici, pendant trois ans, qu’il puisse passer son CEP. De nombreux détenus purgent des peines d’au moins 3 ans.

Il faut rendre leur séjour utile et leur détention la moins douloureuse». L’ONG Humanité et Inclusion (HI) a «rendu utile» le séjour de 28 mineurs en 2017 et 52 autres en 2018 dont 14 filles et 38 garçons, dans sept centres pénitentiaires. Les intéressés ont pu reprendre leur cursus scolaire après la prison, notamment à travers le projet Formation et réinsertion sociale des personnes détenues (FORS). HI a engagé les enseignants (Rodrigue Yao notamment) pour encadrer les apprenants, a doté ces derniers de kits scolaires et les a inscrits aux différents examens, en qualité de candidats libres. L’école en milieu carcéral est la propriété exclusive des personnes morales, des associations et des partenaires techniques et financiers. Ils ont choisi les matières à dispenser, engagé le corps enseignant et acquis les manuels scolaires pour les détenus. «Les partenaires interviennent sous forme de projets. Quand leurs programmes prennent fin, tout s’arrête. Il n’y a pas de suivi régulier. Au moindre problème rencontré par les partenaires, l’éducation en prison prend un coup», explique le chef du service social de la MAC-B, Siaka Siri.

Espérant toujours bénéficier des bonnes grâces des partenaires, Lamine et ses camarades regagnent leurs cellules, après une journée de classe bien chargée. Mais ce n’est pas la fin de son calvaire. Il faudra encore se battre la nuit pour avoir une place sur la «natte» à coucher. Le cahier ? Rachid l’ouvrira à la prochaine visite du «prof» !
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Sidwaya N° 7229 du 8/8/2012

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